Le 20 juillet, le parlement a approuvé à l’unanimité, lors d’une séance à huis clos et en présence de 510 députés, « l’envoi d’éléments des forces armées égyptiennes en mission de combat en dehors des frontières de l’Etat, pour défendre la sécurité nationale contre les milices criminelles armées et les éléments terroristes », indique le parlement dans un communiqué. Suite à ce vote, « Les forces armées et leurs dirigeants auront l’autorisation constitutionnelle et légale de déterminer le moment et le lieu pour répondre à ces dangers et menaces », ajoute le communiqué. Cette autorisation est conforme aux dispositions de l’article 152 de la Constitution, qui stipule que les autorités doivent demander l’approbation du parlement avant de déclarer la guerre ou d’envoyer des forces en mission de combat hors des frontières de l’Etat.
Le vote intervient un mois après la mise en garde du président Sissi à Sidi Barrani qu’il ne permettrait pas aux milices terroristes soutenues par la Turquie de franchir la ligne rouge « Syrte et Jufra » et que toute violation de cette ligne serait « une attaque contre la sécurité nationale égyptienne qui nécessite une riposte ferme et décisive ». Selon Kamal Amer, président de la commission de la défense et de la sécurité nationales au Conseil des députés, « la décision du parlement a été basée sur l’évaluation de la situation militaire et politique en Libye par le Conseil de la défense nationale lors de sa réunion le 19 juillet ».
Cette réunion a été organisée au lendemain d’une rencontre entre le président égyptien, Abdel-Fattah Al-Sissi, et le Conseil de la défense nationale qui comprend le président du parlement, le ministre de la Défense, le ministre des Affaires étrangères et les commandants de l’armée. « Le conseil a discuté des efforts de l’Egypte pour stabiliser la situation sur le terrain et a affirmé son engagement en faveur d’une solution politique comme moyen de mettre fin à la crise libyenne », a déclaré Bassam Radi, porte-parole de la présidence. Selon Tarek Fahmi, politologue, le décret adopté par le parlement n’est pas une déclaration de guerre. « Il indique que l’Egypte contrôle toutes les options après avoir entrepris de multiples démarches constitutionnelles, politiques et militaires », dit-il.
Démarches graduelles
Selon Ahmed Youssef, politologue, la position de l’Egypte vis-à-vis de la question libyenne se caractérise par sa « grande clarté » et « ses démarches graduelles ». Au début de l’ingérence turque en Libye, Le Caire a fermement annoncé son rejet des transferts d’armes et de mercenaires vers la Libye. Ensuite, le président Sissi a évoqué la nécessité de trouver une solution pacifique à la crise libyenne et de rétablir le dialogue libyen-libyen. Dans ce contexte, l’Egypte a proposé, le 6 juin, « la Déclaration du Caire », initiative basée sur les accords internationaux, afin de parvenir à un règlement politique de la crise.
Mais la réponse de la Turquie à cette initiative a été d’intensifier les transferts d’armes et de mercenaires vers la Libye. Adoptant une politique provocatrice, Ankara a déployé des unités de sa marine au large des côtes libyennes, confirmant sa détermination de poursuivre son avancée vers l’Est pour contrôler la région du croissant pétrolier. « Ce qui a incité Le Caire à annoncer, le 20 juin, que Syrte et Jufra constituent une ligne rouge, considérant toute tentative d’attaquer cette région stratégique comme une menace directe à sa sécurité nationale », indique-t-il. Un message fort et décisif. Les forces armées ont mis en oeuvre, le 10 juillet, l’étape principale de la manoeuvre terrestre et navale « Hasm 2020 » à l’ouest du pays, avec la participation des principales branches des forces armées égyptiennes.
Une intervention légitime
Une éventuelle intervention de l’Egypte en Libye serait parfaitement légitime. L’article 51 de la Charte des Nations-Unies reconnaît aux Etats « un droit naturel de légitime défense ». De même, le Commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union Africaine (UA), Ismail Sharqi, a déclaré que l’Egypte « a le droit de se défendre et de protéger ses frontières contre toute ingérence en Libye ». L’armée, le parlement et les tribus libyennes ont mandaté l’Egypte pour « défendre la Libye contre l’invasion et le terrorisme turcs ». Le 14 juillet, la Chambre des représentants, basée à Tobrouk, seule autorité légitime élue par le peuple libyen, a donné son accord aux forces armées égyptiennes pour « intervenir et protéger la sécurité nationale libyenne et égyptienne, si elles voient une menace imminente pour la sécurité des deux pays ».
Messages de paix et de dissuasion
Sous le slogan « L’Egypte et la Libye ... un seul peuple et un seul destin », Le Caire a accueilli, le 16 juillet, une grande délégation de chefs de tribus libyennes venus du sud, de l’ouest et de l’est de la Libye, pour mandater eux aussi l’Egypte, afin d’intervenir militairement en Libye en cas de nécessité. « L’Egypte ne restera pas les bras croisés face à des offensives qui menacent sa sécurité et celle de la Libye », avait déclaré le président Sissi lors de cette rencontre, avant d’insister sur le fait que « si l’Egypte intervient en Libye, elle changera de manière rapide et décisive la situation militaire », rappelant que l’armée égyptienne est « l’une des plus fortes au Moyen-Orient et en Afrique ». « Les tribus libyennes ne perçoivent pas l’éventuelle intervention de l’Egypte sur le sol libyen comme une intrusion ou une tentative de mainmise sur les richesses de notre pays, mais plutôt comme l’aide d’un pays frère qui cherche à défendre son voisin », a indiqué le cheikh Ali Al-Tebbawi, de la tribu de Tebbou.
Par ailleurs, le président Sissi a souligné que le principal objectif de l’Egypte est « d’activer la libre volonté du peuple libyen pour un avenir meilleur ». Il a noté que si les forces égyptiennes devaient entrer en Libye, elles le feraient avec les chefs des tribus portant le drapeau libyen. « Nous entrerons en Libye à votre demande et en sortirons sur votre ordre », a promis le président. Selon l’ambassadeur Hussein Haridy, ancien ministre adjoint des Affaires étrangères, « le discours du président prononcé devant les tribus complète celui de Sidi Barrani. Il a donné plus de précision sur les démarches égyptiennes face à la situation actuelle ». « L’annonce faite à Sidi Barrani, selon laquelle Syrte et Jufra sont une ligne rouge, n’était pas une déclaration de guerre, mais un au contraire, un appel à la paix pour stopper toute escalade et frayer la voie aux négociations », a précisé le président.
Que se passe-t-il à Syrte ?
La bataille de Syrte se profile-t-elle à l’horizon ? Les yeux du monde se tournent vers cette ville côtière, considérée comme la porte d’entrée vers les principaux terminaux pétroliers de la Libye. Samedi, Reuters a indiqué qu’une colonne d’environ 200 véhicules se déplaçait vers l’est depuis Misrata vers la ville de Tawergha, à environ un tiers du chemin vers Syrte. Il y a quelques jours, le porte-parole du commandement général des forces armées libyennes, Ahmed Al-Mismari, a déclaré que la Turquie continuait à transférer mercenaires et armes lourdes en Libye, et avait transformé la ville de Misrata en une base « pour gérer ses opérations ». « Nous sommes prêts à faire face de manière décisive à toute menace contre la ville de Syrte », a déclaré Al-Mismari, soulignant que l’armée libyenne ne commencerait pas les hostilités, mais qu’elle tiendrait tête à toute tentative d’infiltration des milices ou des forces turques.
Selon beaucoup d’observateurs, la mobilisation militaire de la Turquie aux portes de Syrte ne donne aucune indication sur les véritables intentions d’Erdogan, cherche-t-il une trêve, une paix ou une guerre ? La décision de l’Egypte dépendra des développements dans les prochaines heures sur le terrain. La balle est aujourd’hui dans le camp des milices du GNA et la Turquie. « Celui qui interprète notre patience comme une hésitation ou une faiblesse commet certes une erreur », a conclu le président.
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