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Barrage de la Renaissance : La dernière ligne droite ?

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 14 juillet 2020

Lancées le 3 juillet, les négociations sur le barrage éthiopien de la Renaissance, tenues sous les auspices de l'Union africaine, se sont achevées sans accord, faute de volonté politique de la part de l’Ethiopie. Le combat de l’Egypte pour faire valoir ses droits dans les eaux du Nil se poursuit.

Barrage de la Renaissance : La dernière ligne droite ?

11 jours de négociations et toujours le même résultat : « Les divergences continuent sur les questions fondamentales concernant les domaines technique et juridique », notait chaque jour le communiqué du ministère de l’Irrigation à l’issue des négociations entre l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan. Le fossé entre l’amont et l’aval du Nil ne cesse de s’élargir. Lancées le 3 juillet par vidéoconférence, les négociations sur le barrage éthiopien de la Renaissance, tenues sous les auspices de l’Union Africaine (UA), et en présence d’observateurs d’Afrique du Sud, des Etats-Unis et de l’Union européenne, se sont achevées le 13 juillet sans parvenir à un accord. « Le Caire a fait preuve d’une grande souplesse et de compréhension tout au long des négociations, mais encore une fois ce cycle se termine sans accord », a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri. La raison ? « La volonté politique pour trouver un accord juste et équilibré garantissant les intérêts des trois pays fait toujours défaut du côté éthiopien », souligne Sameh Choukri. Le 14 juillet, les ministres de l’Irrigation des trois pays ont soumis leurs rapports finaux sur les résultats des négociations à l’Afrique du Sud, président actuel de l’UA, en prévision d’un mini-sommet africain, dont la date n’a pas encore été annoncée. En fait, la médiation de l’UA est intervenue après presque une décennie de négociations. La crise remonte à avril 2011, lorsque l’Ethiopie a posé la première pierre de ce barrage contesté sans informer ni consulter les pays en aval. Les évaluations de l’impact environnemental et les études socioéconomiques requises par le droit international pour déterminer les effets du barrage sur les pays en aval n’ont pas été accomplies. « Tous les cycles de négociations, qu’il s’agisse des négociations tripartites entre les ministres de l’Irrigation, les ministres des Affaires étrangères et les chefs de renseignements des trois pays, ou celles menées sous le parrainage américain ou encore celles menées sous médiation africaine, n’ont pas changé l’attitude intransigeante de l’Ethiopie », explique Ramadan Qorani, spécialiste des affaires africaines.

Les alternatives pour l’Egypte

« L’Egypte veut que l’Ethiopie donne des assurances réalistes aux peuples égyptien et soudanais dans un accord écrit », a précisé le ministre de l’Irrigation, Mohamad Abdel-Ati. « Tout accord sur le barrage doit être juridiquement contraignant. Il doit inclure des définitions claires et un mécanisme de règlement des litiges », a ajouté le ministre. C’est pourquoi l’Egypte a rejeté la proposition de l’Ethiopie de retarder le règlement des points de litige et de les soumettre au comité technique qui sera formé en vertu du futur accord. « Ces questions constituent le fondement technique de l’accord et ne peuvent donc pas être réglées après sa signature », a ajouté Abdel-Ati. Au cours des négociations, les négociateurs égyptiens ont présenté « des formules alternatives » au sujet des mesures à adopter en temps de sécheresse prolongée et de pénurie lors du remplissage et de l’exploitation du barrage, ainsi qu’au sujet des règles de fonctionnement et de remplissage annuels. Ils ont présenté des propositions « permettant à l’Ethiopie d’atteindre son objectif en matière de production d’électricité tout en évitant de porter gravement atteinte aux intérêts de l’Egypte et du Soudan ». Pour sa part, l’Ethiopie a refusé d’inclure à l’accord la courbe annuelle de l’exploitation du barrage, afin de garder une liberté d’action totale concernant le fonctionnement de l’édifice. Ce qui a été rejeté par le Soudan et l’Egypte. « Un méga-projet de la taille du barrage éthiopien devrait fonctionner selon des règles déterminées et en fournissant des données précises aux pays en aval en ce qui a trait à la quantité d’eau qui sera libérée du barrage dans toutes les situations hydrologiques », explique Ayman Chabana, politologue. Et d’expliquer que les pays en aval ne veulent pas être enfermés dans « des négociations perpétuelles sur des règles opérationnelles qui les soumettent en fin de compte à la volonté de l’Ethiopie ».

Un jeu à somme nulle

Mais comment comprendre ce comportement des négociateurs éthiopiens ? « Jamais pendant ma longue carrière je n’ai été témoin d’une affaire où les aspects techniques et scientifiques sont aussi complexes, où les enjeux politiques sont aussi importants, et où la main lourde de l’Histoire est aussi dominatrice », affirme Dr Mohamad Hilal, professeur de droit et conseiller juridique auprès du ministère égyptien des Affaires étrangères, dans son témoignage, en trois parties, publié et intitulé « Si proche, mais encore très loin : Bilan des négociations sur le barrage ».

« La voie vers une solution gagnant-gagnant était toujours claire. Toutefois, l’unilatéralisme implacable de l’Ethiopie et ses perceptions entièrement imaginaires ont transformé les négociations en un jeu à somme nulle », dit Hilal.

Objectif : dominer l’eau

En construisant des barrages sur le Nil, l’Ethiopie cherche non seulement à réaliser ses objectifs de développement, mais aussi à imposer son hégémonie sur l’eau du Nil, c’est ce qu’explique Hamdi Abdel-Rahman, politologue, dans une étude publiée par le Centre égyptien de réflexion et d’études stratégiques. « Cet ouvrage n’est pas seulement un barrage hydroélectrique, c’est un instrument qui permet à l’Ethiopie d’exploiter le Nil bleu et de construire des projets en amont ». Selon Abdel-Rahman, Addis-Abeba est convaincue qu’elle est la « fontaine d’eau » de l’Afrique. La politisation de la question de l’eau et l’utilisation des projets de développement à des fins politiques remontent à l’époque des empereurs éthiopiens qui ont menacé l’Egypte de détourner le cours du Nil et d’arrêter la crue du fleuve. A l’ère de Meles Zenawi, l’Ethiopie a lancé un vaste plan pour construire d’énormes barrages. « La vision de l’élite gouvernementale sous le défunt premier ministre était que les racines de la pauvreté et du sous-développement peuvent être éradiquées de manière décisive grâce à une stratégie de construction de grands barrages et de développement d’infrastructures énergétiques. Les Ethiopiens croient que le Nil bleu ou Abay en langue amharique (le père de tous les fleuves) est un fleuve purement éthiopien », précise Abdel-Rahman.

Quels scénarios

Quels sont donc les scénarios possibles au cours de la période à venir ? Selon Sameh Choukri, le mini-sommet africain attendu « doit déterminer les étapes suivantes et la manière de faire face à la situation actuelle ». « L’Egypte, qui est l’un des principaux pays du bureau de l’UA et l’ancien président de l’organisation panafricaine, respectera le mécanisme africain », explique Ramadan Qorani, avant d’ajouter : « Mais à mon avis, parallèlement au volet africain, le recours au Conseil de sécurité reste largement valable, et ce sera peut-être la prochaine option à laquelle l’Egypte aura recours si la présidence de l’UA ne parvient pas à trouver des solutions pour les trois pays ». Le recours au Conseil de sécurité mettra l’Ethiopie « devant ses responsabilités face au monde entier et ne lui laissera aucune marge de manoeuvre pour gagner du temps », ajoute Qorani. Le Conseil de sécurité tiendra-t-il une autre réunion sur le barrage de la Renaissance ? « Le Conseil de sécurité suit la question de près depuis la dernière séance en juin. L’Egypte a déjà présenté un projet de résolution en noir qui peut être modifié en fonction de l’évolution de la situation », indique Sameh Choukri. Pourtant, selon lui : « L’Egypte ne souhaite pas revenir au Conseil de sécurité des Nations-Unies, mais si la paix régionale et internationale est menacée, la responsabilité incombe entièrement au conseil d’intervenir pour éviter une telle menace ». Et de conclure : « Tout préjudice dû au barrage éthiopien de la Renaissance est une ligne rouge pour l’Egypte ».

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