Al-Ahram-Hebdo : L’Ethiopie, qui a annoncé son intention de reprendre les négociations avec l’Egypte et le Soudan, s’apprête à mettre en fonction le barrage de la Renaissance en juillet prochain. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une manoeuvre pour gagner du temps ?
Abbas Chéraki : La position éthiopienne est mitigée. On est entre la manoeuvre et le retour à la table des négociations. Nous devons être prudents. La reprise éventuelle des négociations doit être basée sur ce qui a été fait à Washington en février dernier sous le parrainage des Etats-Unis et la Banque mondiale. Le retrait de l’Ethiopie à la dernière minute lors du dernier round était un acte de défi envers la communauté internationale qui confirme la mauvaise foi d’Addis-Abeba au cours des neuf années passées des négociations. Contrairement à l’Egypte qui a opté depuis le début pour une approche pacifique dans le règlement du dossier, et qui tient encore aux négociations. Il faut attendre ces pourparlers pour pouvoir en évaluer les résultats.
— L’Ethiopie ne reconnaît pas les droits historiques de l’Egypte dans les eaux du Nil …
— L’Ethiopie prétend que les accords signés avec l’Egypte aux XIXe et XXe siècles remontent à l’époque coloniale, durant laquelle elle n’était pas présente. Ce sont des allégations complètement erronées, puisque c’est l’empereur Menelik II qui a signé l’accord de 1902, et le président Meles Zenawi a signé l’accord de 1993 avec le président Hosni Moubarak. L’Egypte a signé d’autres accords avec des pays du bassin du Nil comme l’accord de 1906 avec le Congo. L’accord de 1929 a été signé avec le Soudan et la région équatoriale. Les accords de 1953 et 1991 ont été conclus avec l’Ouganda et l’accord 1959 avec le Soudan. En outre, d’après l’Onu, tous les accords historiques signés à l’ère coloniale ont été reconnus après l’indépendance des pays signataires. Si on ne reconnaît pas les accords de l’eau, on ne doit pas non plus reconnaître les accords sur les frontières et ce serait alors le chaos. L’Ethiopie a violé la Déclaration de principe, qui est un accord international signé le 23 mars 2015. L’article 5 de cette déclaration stipule que l’Ethiopie ne peut remplir et exploiter le barrage unilatéralement, et engage les trois pays à trouver un accord global avant le premier remplissage. L’Egypte a accepté, de bonne foi, de signer cette déclaration de principe, pour faire prévaloir les principes de coopération et de bon voisinage.
— Comment répondre aux allégations de l’Ethiopie selon lesquelles l’Egypte et le Soudan consomment la totalité de l’eau du Nil sans tenir compte des autres pays du bassin du Nil ?
— Si cela était vrai, alors comment vivent les 450 millions d’habitants des neuf pays riverains du Nil ? L’Ethiopie ne tient pas compte du fait que l’Egypte est un pays en aval. C’est le pays d’embouchure. La quantité d’eau du Nil qui arrive à Assouan, qui est de 84 milliards de m3, ne représente que 5 % seulement de la quantité totale des eaux pluviales qui tombent sur le bassin du Nil, et 1 % seulement de la quantité d’eau qui tombe sur les onze autres pays riverains. L’Egypte n’a d’autres ressource en eau que le Nil, alors que l’Ethiopie compte 10 bassins fluviaux en dehors du Nil bleu et 936 milliards de m3 de précipitations par an. Le remplissage du barrage met en péril la sécurité hydrique de l’Egypte, sa sécurité alimentaire et menace l’existence même de plus de 100 millions d’Egyptiens, qui dépendent entièrement du Nil pour leur subsistance .
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