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Barrage de la Renaissance : Et maintenant ?

Ola Hamdi, Mardi, 03 mars 2020

L’Egypte a signé seule l’accord tripartite sur le barrage après que l’Ethiopie eut boycotté, à la dernière minute, la réunion convoquée à Washington par les Etats-Unis les 27 et 28 février pour la conclusion d’un accord final. Les interrogations pèsent désormais sur la suite des négociations.

Barrage de la Renaissance : Et maintenant ?

Surprise. Alors qu’une délégation éthiopienne devait se rendre les 27 et 28 février à Washington pour assister à la signature de l’accord tripartite (Egypte, Ethiopie, Soudan, les trois pays étant engagés depuis novembre 2019 dans des négociations sur le barrage de la Renaissance, sous le parrainage des Etats-Unis et de la Banque mondiale) sur le fonctionnement et le remplissage du barrage, Addis-Abeba annonce, quelques heures seulement avant la date prévue, qu’elle n’y assisterait pas sous prétexte qu’elle avait besoin de temps pour « étudier la question ». Plus inquiétant encore, dans un communiqué conjoint, les ministères éthiopiens des Affaires étrangères et de l’Irrigation déclarent, samedi 29 février, que « l’Ethiopie, en tant que propriétaire du barrage, procédera à son remplissage sans attendre la conclusion de l’accord tripartite ». Réponse égyptienne : « L’absence de l’Ethiopie à un moment critique des négociations est injustifiable », affirment les ministères égyptiens des Affaires étrangères et de l’Irrigation, dans un communiqué conjoint publié le 1er mars. « Il est étonnant que l’Ethiopie demande plus de temps pour étudier la question du barrage, alors que les négociations durent depuis cinq ans. Le document final de l’accord a été élaboré avec l’accord de l’Ethiopie. Il reprend les engagements de l’accord de principe signé le 23 mars 2015 entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie », ajoute le communiqué.

Résultat de cette absence, seule l’Egypte a signé, pour le moment, ce document final. Le Caire a exprimé le souhait que le Soudan et l’Ethiopie lui emboîtent le pas et le signent « le plus vite possible ». Quant au ministère du Trésor américain, qui parraine les pourparlers avec la Banque mondiale, il a souligné « l’importance de ne pas remplir le barrage avant la conclusion de l’accord tripartite », réaffirmant son engagement à rester en contact avec les trois pays jusqu’à la signature de l’accord final, et invitant l’Ethiopie à le signer le plus tôt possible.

Raisons internes

Mais pourquoi cette volte-face de l’Ethiopie ? Et sommes-nous à présent face à un blocage ? Ahmed Amal, chef du département des études africaines au Centre égyptien de la pensée et des études (ECSS), n’est pas alarmiste. « C’est un message adressé à la scène interne, car l’Ethiopie s’apprête à organiser des élections en août prochain et le premier ministre, Abiy Ahmed, a recours à un discours nationaliste pour attiser les sentiments des électeurs. Il veut donner l’image d’un premier ministre qui défend le pays et promeut son image », explique le chercheur. Et d’ajouter : « On constate qu’à la fin de son communiqué, l’Ethiopie réitère son attachement à la poursuite des négociations avec l’Egypte et le Soudan pour résoudre les problèmes en suspens ». L’Ethiopie chercherait-elle donc à retarder la signature de l’accord final après les élections du mois d’août ? Amani Al-Taweel, cheffe du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, appuie cette analyse. « Les divergences internes se sont intensifiées sur la scène éthiopienne à l’approche des élections parlementaires et présidentielle. Abiy Ahmed veut procéder au premier remplissage du barrage en juillet avant les élections et avant la signature de l’accord final avec l’Egypte et le Soudan, et ce, pour des raisons électorales », explique-t-elle.

En effet, l’Ethiopie est en proie à des conflits internes importants. Abiy Ahmed a proposé un projet d’intégration nationale à travers un nouveau parti politique appelé le Parti de la prospérité. Mais les autres partis y voient un moyen d’imposer l’hégémonie des Oromos sur les autres groupes ethniques. La semaine dernière, une bombe a été trouvée dans un lieu de rassemblement électoral appartenant au camp d’Abiy Ahmed. La Constitution éthiopienne est basée sur l’idée de la gouvernance fédérale décentralisée. L’article 39 donne à chaque groupe le droit à l’autodétermination et certains groupes ont commencé à réclamer ce droit. « L’atmosphère est donc extrêmement délicate. Il y a une forte polarisation et toute décision en matière de politique étrangère peut avoir des conséquences fâcheuses pour Abiy Ahmed », explique Amani Al-Taweel. Même son de cloche pour Ahmed Amal qui souligne la position difficile d’Abiy Ahmed : « Il est confronté à une opposition au sein même de son camp. Bien plus, les régions périphériques sont presque hors de contrôle du gouvernement et il y a une crise sécuritaire majeure. Abiy Ahmed a été forcé de reporter la date des élections de mai à août, et certains disent que pendant la saison des pluies en Ethiopie en été, il ne sera peut-être pas possible d’organiser les élections du point de vue logistique ». Amal pense qu’Abiy Ahmed a peut-être utilisé la carte du retrait des négociations pour obtenir le soutien américain en sa faveur lors des prochaines élections.

Mais l’Ethiopie n’est pas la seule à ne pas avoir signé, le Soudan non plus n’a pas encore signé le document final de l’accord tripartite. Selon les observateurs, Khartoum a des intérêts avec les Etats-Unis. Il souhaite lever les sanctions imposées à son encontre, retirer son nom de la liste des pays qui parrainent le terrorisme afin de faciliter les investissements et obtenir un financement international.

Les options du Caire

Quelles qu’en soient les raisons, le retrait de l’Ethiopie met l’Egypte dans une situation délicate. Selon Amani Al-Taweel, la signature de l’accord tripartite par Le Caire a réduit la capacité de manoeuvre de l’Ethiopie. « L’Egypte doit maintenant continuer à faire pression sur les Etats-Unis pour qu’ils jouent un rôle plus actif qui peut aller jusqu’à imposer des sanctions à l’Ethiopie. Elle utilisera également toutes les cartes dont elle dispose au sein de l’Union africaine. Pour l’Egypte, c’est le moment des contacts confidentiels jusqu’à ce que les choses s’arrangent », conclut Al-Taweel. Pour Ahmed Amal, la question ne concerne plus que l’Egypte, car à présent, les Etats-Unis sont impliqués. « La position des Américains et leur affirmation qu’ils resteront en contact avec toutes les parties jusqu’à la signature de l’accord sont un signe positif pour l’Egypte », explique Amal qui souligne aussi l’importance de la Banque mondiale. « L’Egypte continuera sur la voie du dialogue et des négociations, mais elle doit d’abord connaître les vraies intentions de l’Ethiopie », explique de son côté le politologue Sameh Rashed. Si Addis-Abeba ne souhaite plus négocier, l’Egypte a plusieurs cartes en main pour augmenter la pression, notamment aux Nations-Unies et devant les institutions internationales. « La position de l’Egypte n’a pas de point faible », dit-il. Selon Amani Al-Taweel, l’Egypte a déjà fait preuve d’une grande patience et par cette patience, elle a établi des cadres de coopération non seulement dans la question du barrage de la Renaissance, mais aussi à travers son implication dans le barrage de Stiegler’s Gorge en Tanzanie, ce qui signifie qu’elle n’est pas contre le développement des autres pays africains, à condition qu’ils ne nuisent pas à ses intérêts.

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