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Heba El-Leithy : Il faut une approche qui allie culture, économie et santé

Salma Hussein, Mercredi, 19 février 2020

Heba El-Leithy, experte des politiques de lutte contre la pauvreté, professeure de statistiques et conseillère au Capmas, explique pourquoi les familles pauvres continuent d’avoir beaucoup d’enfants et ce qu’il faut pour briser ce cercle vicieux. Entretien.

Heba El-Leithy

Al-Ahram Hebdo : Une population de 100 millions d’individus, est-ce une malédiction ou une bénédiction ?

Heba El-Leithy : Le phénomène a ses désavantages, mais aussi ses mérites. Quand la population entière reçoit une bonne éducation et profite d’une bonne alimentation et de bons services de santé, le phénomène est perçu comme une bénédiction. Nous trouvons cela par exemple dans le cas des Egyptiens qui travaillent à l’étranger. Ceux-ci sont une source de soutien pour leurs familles, mais aussi une source de devises étrangères importante pour l’économie. Ainsi, élargir la base des gens bien éduqués peut améliorer l’économie et, par-là, être très rémunérant, que les gens travaillent à l’intérieur du pays ou à l’extérieur. C’est toutefois un processus à long terme, qui a ses difficultés.

— Quelles sont ces difficultés ?

— Pour entamer ce processus, il faut y allouer beaucoup de ressources publiques. Et ce, pour mettre en place une infrastructure moderne et efficace pour l’enseignement et pour la santé. Ainsi, il faut prioriser ces secteurs, en plus du logement décent, sur une longue durée. Ce n’est pas une décision politique facile à prendre.

— Pourquoi les personnes pauvres ont-elles beaucoup d’enfants ?

— Il ne faut pas blâmer les personnes pauvres pour leur ignorance. Elles ont une logique solide et veulent surmonter les difficultés dans leur vie. Tout d’abord, un grand nombre d’enfants est un moyen pour augmenter le revenu de la famille. Les parents mettent leurs enfants à l’école, puis entre l’âge de 12 et 15 ans, ceux-ci entrent sur le marché du travail. Ils ne quittent pas forcément l’école, mais leur travail — même s’il est saisonnier ou irrégulier — aide la famille.

Deuxièmement, les personnes pauvres n’ont aucune sorte d’assurance-santé ou de pensions de retraite. Ainsi, avoir beaucoup d’enfants joue le rôle de réseau de sécurité sociale chez elles. Un grand nombre d’enfants sert quand les parents vieillissent ou tombent malades, ce qui arrive plus fréquemment chez les pauvres, car ils travaillent beaucoup depuis leur enfance, et ce, en effectuant des tâches dures. Un grand nombre d’enfants augmente également la probabilité d’avoir un enfant qui réussit sa vie et sort du cercle de la pauvreté, et qui pourra donc aider le reste de la famille.

— Comment donc inverser cette logique ?

— L’approche de toutes les campagnes précédentes de planning familial était entièrement concentrée sur la santé. Autrefois, on expliquait la hausse du taux de natalité par le fait que les gens voulaient compenser le taux élevé de mortalité des enfants, en raison de la diarrhée et d’autres maladies. Ou encore par le manque de moyens de contraception. Cela a permis de bien améliorer la situation sanitaire des enfants et de leur mère. Mais la hausse de la natalité a continué. Il faut donc une approche plus complexe, qui allie culture, économie et santé.

L’augmentation du revenu de la famille peut briser le cercle vicieux. Quand un père ou une mère de famille trouvera un travail décent, avec un salaire permettant de vivre au-delà du seuil de pauvreté, la famille ne sera plus forcée à faire travailler ses enfants. Quand la famille bénéficiera d’une sécurité sociale et de santé, elle ne pensera plus à avoir beaucoup d’enfants et, aussi, sa préférence pour les garçons diminuera.

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