
La nouvelle campagne médiatique « Deux, ça suffit » lancée par le gouvernement.
Avec la naissance de la petite Yasmine, à Samallout, au gouvernorat de Minya, la population égyptienne a atteint 100 millions de personnes. L’Egypte est en plein boom démographique. Une bombe à retardement ? Le pays comptera 119 millions d’habitants en 2030, selon un rapport des Nations-Unies publié en mai 2017. La population égyptienne a triplé depuis 1960, avec un taux de croissance naturelle record enregistrant 2,8 % en 1987. Et, bien que ce taux ait baissé (1,78 % en 2019), un enfant naît toutes les 18 secondes.
Les politiques médiatiques n’ont-elles donc pas été efficaces ? Depuis les années 1970, les médias ne cessent de faire circuler des messages sur le planning familial. D’abord, par le biais de films, puis par des campagnes plus directes, à l’instar de l’opérette de Hassanein et Mohamadein dans les années 1980 qui narre, au rythme d’une chanson populaire, l’histoire de deux frères, le premier, père d’une petite famille, a réussi à bien éduquer ses enfants, et le deuxième croulant sous le fardeau d’une famille nombreuse. Dans les années 1990, le discours médiatique change de ton. Notamment avec les spots de la star Ahmad Maher, qui s’adresse directement aux pères de famille, mettant l’accent sur la valeur de celui qui sait prendre soin de sa famille, non sur celle de l’homme qui a une large progéniture. Et les campagnes médiatiques ne se sont pas arrêtées : une dizaine depuis les années 1980. Spots télévisés, publicités à la radio, affiches et panneaux jonchant les rues. Et à chaque fois, une astuce différente pour faire passer le message. Comme l’affiche, récemment circulée, montrant un billet de 50 livres égyptiennes et posant la question : « Vous voudriez diviser cela en cinq ou en deux ? ». Campagne d’affichage, petites pastilles à la radio et vidéoclips pour la télé et les réseaux sociaux : le gouvernement a désormais choisi d’adopter la stratégie du buzz pour marquer les esprits et martèle le slogan « Deux, c’est suffisant ».
Contre des croyances ancrées
Mais pourquoi donc toutes ces campagnes, aussi différentes soient-elles, n’ont pas donné les résultats espérés ? Selon Dr Mahmoud Khalil, président du département de la presse écrite à la faculté de communications de masse de l’Université du Caire, le problème réside dans le fait qu’elles tentaient de changer une culture et des croyances enracinées, et non de simples tendances, ce qui s’avère hyper difficile. D’où le succès, par exemple, de la campagne pour le traitement de la déshydratation lancée dans les années 1980-1990, par opposition aux résultats mitigés des campagnes de planning familial, qui touchent à des conceptions profondes : une famille nombreuse est synonyme de protection, de prestige social, de fécondité, etc. Bref, une série de valeurs très bien appréciées chez le simple citoyen. « Comment arriver à changer une idée bien ancrée par une chanson simpliste ou bien à travers un discours direct et de prédication, qui est à la fois élitiste et heurte par son héritage culturel ? », s’interroge l’expert.
Aussi, depuis leur lancement, les campagnes se basent sur un message en contradiction avec les croyances populaires. « Une petite famille équivaut à une vie meilleure », dit le message, alors que le récepteur, lui, est convaincu qu’un enfant de plus signifie une source de revenus supplémentaire. « Pour planifier une telle campagne, il faut connaître de près les conditions de vie du récepteur, sa manière de réfléchir et son comportement avant de lui glisser des ordres qu’il ne va pas exécuter aveuglément. Cela pourrait justifier, donc, pourquoi les campagnes de planning familial échouent. Elles n’arrivent pas à démanteler le modèle des idées héritées et semblent être loin de la réalité des citoyens », avance-t-il.
Autre raison de l’inefficacité, estime Dr Abdel-Salam Hassan, expert en démographie, c'est « la centralisation » de ce genre de campagnes, alors que la situation est différente d’un gouvernorat à l’autre et de nombreuses disparités existent : si le taux de fécondité en Egypte est de 3,5 enfants par femme, à Alexandrie, il est de 2,2 enfants, au Fayoum de 4,6, à Sohag de 4,3 et à Matrouh de 4,8. Cela nécessite donc des interventions en fonction des besoins de chaque gouvernorat. Ce qui veut dire que chaque gouvernorat peut avoir être besoin d’un discours médiatique différent de l’autre.
Il est donc nécessaire de tirer les leçons des précédents échecs (ou succès), estime Dr Abdel-Salam Hassan qui conclut que la question du planning familial doit aller de pair avec celle du développement.
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