Nous sommes le 11 janvier 2020. Il est 13h. Le compteur électronique installé sur le toit du bâtiment de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (Capmas) est passé de 8 à 9 chiffres. L’Egypte a franchi le cap des 100 millions d’habitants. Avec un nouveau-né toutes les 18 secondes, la population augmente de 1,78 % par an. «
2019 a été l’une des années les plus rapides à atteindre un million de naissances. Ce cap a été atteint en seulement 216 jours », affirme Khaïrat Barakat, président de la Capmas. En fait, ce recensement concerne uniquement la population égyptienne à l’intérieur du pays, alors qu’environ 9,3 millions d’Egyptiens vivent à l’étranger. En 2017, le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait déclaré que la surpopulation et le terrorisme étaient les deux principales menaces pour l’Egypte.
Principaux indices
« La croissance démographique rapide et continue constitue un obstacle aux efforts de développement déployés par l’Etat. Régler ce problème est une nécessité urgente pour parvenir à un équilibre entre le taux de croissance économique et la croissance démographique », explique Abdel-Hamid Charaf, chef du département du recensement démographique à la Capmas. Et d’ajouter : « Il faut au moins trois ou quatre points de croissance économique pour équilibrer un point de croissance démographique ».
D’ailleurs, selon la Capmas, les gouvernorats de la Haute-Egypte, sans exception, comme Assiout, Sohag et Qéna, enregistrent les taux de fécondité les plus élevés. « Ces gouvernorats, qui souffrent déjà d’une pauvreté chronique, contribuent à environ 43 % du nombre total des naissances, soit près de la moitié au niveau du pays. Ce qui engendre un cercle vicieux impliquant pauvreté et surpopulation dans ces régions où, selon la tradition, avoir beaucoup d’enfants est une nécessité économique », souligne Chanab. Pour Hala Mansour, sociologue, le contrôle des naissances est principalement lié au règlement des problèmes d’analphabétisme. 40 % des analphabètes en Egypte sont des femmes. « Les médias et les hommes de religion sont aujourd’hui les deux outils les plus importants pour lutter non seulement contre l’ignorance, mais aussi contre la culture de la pauvreté », dit-elle.
Quelles répercussions ?
Cette progression démographique pose donc de très sérieux défis. Selon Hala Mansour, outre la croissance rapide de la population, la crise démographique se résume en deux autres facteurs : déséquilibre dans la répartition géographique des habitants et affaiblissement des caractéristiques de la population. Si la superficie de l’Egypte couvre un million de km2, la population est concentrée sur 7,8 % du territoire, dans une région étroite de la vallée du Nil et du Delta, provoquant une forte densité de peuplement. La progression démographique réduit drastiquement le niveau des services publics offerts aux citoyens, notamment dans le domaine de l’éducation et de la santé, et pèse lourdement sur les ressources naturelles. Selon un rapport publié par la Capmas, si la croissance se poursuit au même rythme, l’Egypte comptera 192 millions d’habitants en 2052. Ce qui exigera le doublement du nombre d’hôpitaux de 2 000 actuellement à 4 000, et des écoles à 70 000 écoles contre 37 000 actuellement. De plus, la consommation d’eau par habitant va être réduite et passera de 570 m3 par habitant à 370 m3 par habitant en 2052 (voir chiffres page 4).
Comment régler le problème ?
Comment donc réduire le taux de croissance démographique ? Le gouvernement multiplie les initiatives et les campagnes publicitaires. « Contrôler le taux de croissance démographique est un problème de sécurité nationale », a déclaré le premier ministre, Moustapha Madbouli, notant que « le gouvernement entend lancer un nouveau programme national de planification familiale, auquel devrait participer tous les ministères et les organismes officiels ». Le premier ministre a indiqué que les mécanismes de travail et le financement de ce programme, qui devrait être mis en oeuvre avec le début de la nouvelle année fiscale, est en cours d’élaboration. Selon Hala Zayed, ministre de la Santé et de la Population, le programme proposé vise à « développer une stratégie intégrale » afin d’améliorer les habitudes hygiéniques des femmes. Ce programme s’adresse en particulier aux femmes de 15 à 45 ans. Ainsi, la première phase de ce plan sera mise en place dans les 72 régions qui ont enregistré le taux de fécondité le plus élevé. Il comprend également des mesures dites « incitatives » : soutenir les petites et micro-entreprises, promouvoir l’entreprenariat chez les jeunes, octroyer des prêts à taux réduits et limiter les pensions et les subventions à deux enfants par famille. Intensifier la sensibilisation figure aussi parmi les grandes lignes de ce plan. Le programme « Deux ça suffit », lancé en mai 2018 par le ministère de la Solidarité sociale, a élargi son champ d’action, en doublant le nombre de ses visites « porte-à-porte » et ses cliniques dans les villages (voir page 3).
Trois projets de loi en cours d’examen
Sous la coupole, plusieurs projets et propositions de loi visant à « limiter le taux de croissance démographique » sont en cours d’examen, comme l’indique Mohamad Abou-Hamed, membre de la commission parlementaire de la solidarité sociale. Selon Abou-Hamed, les parlementaires examinent actuellement un projet de loi qui stipule l’indépendance du « Conseil national de la population ». Le conseil sera parrainé par la présidence de la République au lieu de dépendre du ministère de la Santé. L’adoption de cette loi « permettra à ce conseil d’exercer pleinement son rôle ». La loi sur « les incitations positives pour la famille égyptienne » est une autre loi en cours d’examen par le parlement. Présenté par la commission de la sécurité nationale, ce projet de loi stipule d’accorder aux « familles idéales » composées de 4 membres (père, mère et deux enfants) des « incitations positives » en matière d’éducation, de logement et de subventions. « Incriminer et maximiser les peines en ce qui a trait au travail des enfants et au mariage des mineures de moins de 18 ans figurent également parmi les lois inscrites sur l’agenda parlementaire de cette session », précise Abou-Hamed.
Quel avenir ?
Selon un rapport publié récemment par l’Institut national de la planification, la population en Egypte continuera de croître en raison de la structure par âge et par sexe de la population. Celle-ci se caractérise par une forte augmentation du nombre d’enfants et de jeunes, résultant d’un taux de fécondité en hausse constante depuis des décennies. Le défi est donc comment transformer cette force démographique en un atout pour le développement. L’article 41 de la Constitution stipule la mise en place « de programmes démographiques qui réalisent l’équilibre entre le taux de croissance démographique et les ressources disponibles, et à maximiser l’investissement dans les ressources humaines afin de réaliser le développement durable ».
Dans la conclusion de son étude publiée récemment par le Centre égyptien des études économiques (ECES) intitulée « Politique démographique en Egypte : Analyse des facteurs de réussite », Abla Abdel-Latif, économiste, souligne : « Pour assurer la pérennité des efforts déployés pour régler la question de la surpopulation et maximiser les avantages de cette force démographique, il faut, parallèlement aux initiatives de planning familial, établir des politiques publiques efficaces. Et ce, pour créer une croissance économique durable et inclusive capable d’absorber toutes formes de main-d’oeuvres et relever le niveau de vie de la population, puisque l’homme est à la fois le moyen et le but du développement ».
Lien court: