Téhéran a franchi la cinquième et la dernière restriction prévue par l’accord nucléaire, à savoir la restriction du nombre de centrifugeuses. (Photo : AP)
« Les activités d’enrichissement d’uranium de l’Iran sont supérieures à celles d’avant l’accord de 2015. La pression a augmenté sur l’Iran, mais nous continuons de progresser », a menacé le président iranien Hassan Rohani mercredi 15 janvier, dans un discours à la télévision nationale. Cette déclaration intervient deux jours après que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, cosignataires de l’accord (JCPOA), ont activé le mécanisme de règlement des différends prévu dans le texte en cas de violation des engagements. « Nous n’avons plus d’autre choix, étant donné les mesures prises par l’Iran. Et ce faisant, nos trois pays ne rejoignent pas la campagne visant à exercer une pression maximale sur l’Iran », ont annoncé les trois chefs de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, Dominic Raab et Heiko Maas, dans un communiqué commun. Les Européens ont haussé ainsi le ton au moment où le régime iranien fait face à de nombreux défis internes et externes étroitement imbriqués.
Cette démarche a été pleinement saluée par Washington, qui s’est retirée de l’accord unilatéralement en 2018, avant de rétablir les sanctions économiques imposées à Téhéran. « Le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont fait ce qu’il fallait face aux provocations de l’Iran en matière de politique nucléaire », a déclaré un porte-parole du département d’Etat américain, appelant à « augmenter encore la pression diplomatique et économique sur l’Iran ». Depuis le mois de mai, Téhéran a réduit ses engagements nucléaires à cinq reprises en riposte à la sortie unilatérale des Etats-Unis, affirmant qu’il reviendrait sur ces mesures dès que l’Europe trouvera des moyens pratiques de protéger le commerce mutuel contre les sanctions américaines. Le 1er juillet, l’Iran a annoncé le dépassement de « la limite des 300 kilogrammes » d’uranium faiblement enrichi imposée par l’accord. Il a ainsi enrichi ce minerai à un niveau prohibé par ce texte, soit plus de 3,67 %. Le 4 novembre, Téhéran a annoncé l’enrichissement de l’uranium à hauteur de 5 %. Le 5 janvier, Téhéran a franchi la cinquième et la dernière restriction prévue par l’accord nucléaire, à savoir la restriction du nombre de centrifugeuses. « Le retrait unilatéral de Trump de l’accord, la réduction progressive de l’Iran de ses engagements et, finalement, le déclenchement du mécanisme de règlement du conflit par les Européens qui pourrait conduire en théorie à l’imposition de sanctions par l’Onu sur l’Iran, toutes ces mesures indiquent que l’accord de Vienne est vidé de son contenu. Il est en état de mort clinique », explique Mohamad Abbas, spécialiste des affaires iraniennes au CEPS.
Mais qu’est-ce que le Mécanisme de Règlement des Différends (MRD) ? Les deux paragraphes 36 et 37 de l’accord nucléaire ou le JCPOA, comme on l’appelle, « Plan d’action global commun », stipulent qu’en cas de non-respect par l’Iran, un mécanisme de « résolution des différends » peut être enclenché. Il s’agit d’une procédure de cinq étapes visant à régler la crise dans une durée de 65 jours. Les signataires de l’accord peuvent convoquer une commission conjointe. Celle-ci dispose d’un délai de 15 jours pour se prononcer. Si elle échoue à régler la situation, les ministres des Affaires étrangères des Etats membres de l’accord disposent à leur tour de 15 jours pour tenter d’agir. De son côté, l’Iran peut solliciter un panel tripartite pour une enquête parallèle. Si ces recours sont épuisés, la voie est ouverte à une notification au Conseil de sécurité des Nations-Unies, pour constater l’impasse. Le Conseil de sécurité dispose alors de 30 jours pour voter une résolution sur la reprise ou non des sanctions internationales contre l’Iran. En l’absence d’une telle résolution sous 30 jours, les sanctions gelées sont automatiquement réactivées.
Les raisons du revirement européen
Pourquoi les Européens ont-ils changé donc de stratégie ? S’alignent-ils sur les positions américaines visant à conclure un nouvel accord avec de nouvelles conditions ? Selon les observateurs, les Européens sont pris en étau : d’une part, ils ont été incapables de contrer les effets des sanctions américaines qui asphyxient l’économie iranienne et d’autre part, ils ne peuvent pas obliger l’Iran à respecter totalement ses engagements envers le JCPOA.
Le Royaume-Uni et l’Allemagne entretenaient de bonnes relations commerciales avec l’Iran. Berlin entendait injecter des investissements qui dépassaient les 20 milliards de dollars dans différents secteurs en Iran avant l’imposition des sanctions américaines sur Téhéran.
En outre, toutes les tentatives des Européens de contourner l’extraterritorialité des sanctions américaines, s’appliquant à toute entreprise européenne qui commercerait avec l’Iran, ont été vaines. En janvier 2019, les signataires européens n’avaient pas réussi à mettre en oeuvre le mécanisme Instex qui permet le commerce avec l’Iran en utilisant des devises autres que le dollar. Résultat : Total, Renault, Air France et bien d’autres ont aussitôt quitté l’Iran. « Il est donc dans l’intérêt économique de ces pays d’essayer de trouver une solution pour maintenir l’accord de Vienne en vigueur », précise Bahaa Mahmoud.
D’ailleurs, la stratégie européenne, en activant ce mécanisme, est « une tentative de gagner du temps », comme l’explique Dalal Mahmoud, experte dans les affaires iraniennes. « Les Européens sont entrés dans une nouvelle ère de manoeuvres avec le régime iranien. Activer ce mécanisme vise à exercer des pressions sur le régime iranien afin de le persuader à reprendre le dialogue avec la communauté internationale et de faire des concessions dans le cadre d’un nouvel accord ou d’une nouvelle formule permettant de relancer une médiation européenne », conclut Dalal.
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