Que va-t-il se passer à Berlin ? La capitale de l’Allemagne va accueillir, le 19 janvier 2020, une conférence internationale de paix, sous l’égide de l’Onu, pour tenter de trouver une issue politique à la crise libyenne. Selon un communiqué publié le 13 janvier par le gouvernement allemand, cette conférence doit réunir les cinq pays membres du Conseil de sécurité, ainsi que l’Allemagne, l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Italie et la Turquie. Cette annonce fait suite à l’entrée en vigueur d’un fragile cessez-le-feu, le 12 janvier, entre les deux camps, l’Armée Nationale Libyenne (ANL) dirigée par le maréchal Khalifa Haftar et le Gouvernement d’union libyen (GNA). Mais avant d’atterrir à Berlin, la question libyenne est passée par une autre station : celle de Moscou. Dans la capitale russe, des négociations indirectes ont été tenues entre les deux camps libyens, sous le parrainage de la Russie et la Turquie, pour signer un accord formel, afin de consolider le cessez-le-feu. Mais les discussions de Moscou n’ont pas abouti au résultat escompté: le document a été signé seulement par Fayez Al-Sarraj, alors que Haftar, accompagné de Aguila Salah, président du parlement libyen de l’Est, ont décidé de quitter Moscou sans déposer leur signature sur ce document. Moscou l’a confirmé le mardi 14 janvier, tout en déclarant que la Russie poursuivra ses efforts en vue d’un règlement avec les deux parties.
Des lacunes
« Le combat de Tripoli continue jusqu’à la victoire », a écrit de son côté Haftar sur la page Facebook de l’ANL après avoir quitté Moscou. En fait, l’ANL mène depuis le 4 avril 2019 l’opération « Volcan de la colère » en direction de Tripoli pour « purger » l’ouest libyen « des milices terroristes ». Le 7 janvier, l’ANL a réussi à libérer la ville de Syrte, verrou stratégique entre l’est et l’ouest.
Pour Haftar, les modalités du texte qu’il devait signer à Moscou, et qui devrait servir de base à la conférence de Berlin, « ont été pleines de lacunes. Et cet accord ne sert que l’agenda turc », selon des sources de l’ANL reprises par les médias. Haftar s’est principalement opposé à deux articles concernant la participation des troupes turques parmi les « forces de surveillance » du cessez-le-feu, et l’insistance de Sarraj de s’imposer en tant que commandant suprême des forces armées libyennes. En outre, le point concernant le désarmement de « certaines milices » est mentionné sans détails, ni sur la nature de ces milices, ni sur les mécanismes de désarmement. Selon les mêmes sources, le texte de Moscou ne déclarait pas caducs les accords entre le GNA et la Turquie.
Selon Tarek Fahmy, expert des affaires régionales, « il était certainement difficile pour Haftar, qui contrôle 85% du territoire, de signer un tel accord qui vise à minimiser ses gains sur le terrain, d’autant plus que le soutien que lui apportent des puissances régionales et internationales ne cesse de croître », dit Fahmy, avant d’ajouter: « Comment donner facilement à Sarraj sur la table des négociations ce qu’il a perdu sur le champ de bataille ? »
Un ballet
diplomatique intense
Si les discussions de Moscou n’ont pas abouti au résultat espéré, un ballet diplomatique s’intensifie, dans plusieurs autres capitales, dans le but de parvenir à une solution politique au conflit libyen. Du Caire à Bruxelles en passant par Tunis, Alger et Rome, les rencontres se sont multipliées ces derniers jours pour discuter de la manière de réussir la conférence de Berlin. L’Egypte poursuit un marathon diplomatique intense, notamment l’annonce par la Turquie de l’envoi de troupes en soutien aux forces loyales au GNA pour éviter que ce conflit dégénère. Le Caire a ainsi accueilli, mardi 14 janvier, le premier ministre italien, Guiseppe Conti. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a reçu, le 11 janvier au Caire, le président du Conseil européen, Charles Michel. Les deux hommes ont convenu de la nécessité de poursuivre les efforts pour parvenir à un « règlement politique global » de la crise libyenne, rappelant que « cette solution doit préserver les institutions nationales en Libye, sauvegarder sa souveraineté, son intégrité territoriale et mettre fin aux ingérences étrangères illégales », a affirmé le porte-parole de la présidence égyptienne Bassam Radi dans un communiqué. « Les rencontres du Caire tentent de mobiliser un consensus international et régional et de paver la voie vers Berlin », dit Ahmad Youssef, politologue. Selon Samir Farag, expert stratégique, « l’Egypte attend également la Conférence de Berlin sur la Libye pour poursuivre ses efforts diplomatiques ». Pour Farag, la réunion des ministres des Affaires étrangères de cinq pays (Egypte, France, Chypre, Grèce, et Italie), tenue au Caire le 8 janvier, « a abouti à de très bons résultats, car tous les pays de la Méditerranée se sont rencontrés au Caire et ils ont tous convenu que le double accord militaire et maritime signé entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le GNA avaient sapé davantage la stabilité régionale et sont tous les deux considérés comme nuls et non avenus » (voir entretien).
Selon Ahmad Youssef, la vision égyptienne pour le règlement de la crise libyenne est fixe. Pour Le Caire, « la réussite du processus politique exige parallèlement au cessez-le-feu un démantèlement des milices, la recomposition du Conseil présidentiel, un soutien à l’Armée nationale libyenne dans ses tentatives de récupérer l’Etat libyen et la prise de toutes les mesures pour protéger la sécurité nationale de l’Egypte ».
Où se dirige la crise libyenne? Vers une solution ou vers un engrenage? A Berlin, le défi sera de taille pour éviter que la Libye ne devienne une seconde Syrie, comme le souhaitent des parties étrangères. Le processus de Berlin « sera un processus long et complexe », estime Youssef. « Il est nécessaire de trouver un nouveau cadre politique pour entamer un dialogue interlibyen d’autant plus que l’accord de Skhirat, signé en 2015, a prouvé son échec et a perdu toute légitimité », souligne de son côté Fahmy. Cependant, les chances de réussite de la Conférence de Berlin, selon beaucoup d’observateurs, dépendent essentiellement de la résolution des questions sécuritaires: unification de l’institution militaire, éradication des groupes terroristes et désarmement des milices .
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