Depuis la révolution du 25 janvier 2011, les salafistes, comme tous les autres partis islamistes, ont gagné du terrain sur la scène politique. Aujourd’hui, et après la chute des Frères musulmans, le parti Al-Nour se trouve placé au centre de l’échiquier.
Des interrogations se posent sur leurs intentions dans la période à venir : sera-t-il une nouvelle alternative de l’islam politique en Egypte ? Visibles depuis à peine deux ans en Egypte, les salafistes constituent déjà la deuxième force politique du pays. Leur parti a obtenu près de 29 % des suffrages aux législatives de décembre 2011. Ces anciens alliés du président Mohamad Morsi sont aujourd’hui courtisés par les acteurs politiques : ils sont désormais en position de force dans le jeu politique égyptien.
Une scène du 3 juillet est mémorable. Quand le général Abdel-Fattah Al-Sissi annonce le départ de Mohamad Morsi, il est accompagné d’un panel de personnalités politiques et religieuses dont le cheikh d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayeb, le pape Tawadros II, le prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei et ... Galal Morra, secrétaire général du parti Al-Nour.
Les salafistes ont créé la surprise en entrant par la grande porte dans l’arène politique de la nouvelle période de transition. Ainsi la prédication salafiste et son bras politique Al-Nour ont pris fait et cause pour la destitution de Morsi, faisant ainsi exception dans le paysage islamiste.
Ali Abdel-Al, chercheur spécialiste des partis religieux, explique n’avoir aucun doute sur le fait que les salafistes tentent de récupérer la ligne de l’islam politique, une ligne qui n’a certainement pas pris fin avec les Frères musulmans.
« L’islam politique s’impose toujours dans la société, et avec force. Le parti Al-Nour est conscient des erreurs commises par les Frères et estime qu’il serait injuste de mettre tous les courants islamiques dans un même panier, estime le chercheur. Les salafistes n’ont pas confiance en l’armée, mais ils s’en sont rapprochés dès le départ pour tenter d’éviter l’abrogation de la Constitution, la dissolution du Parlement ou le fait que des personnalités non technocrates soient nommées dans le gouvernement transitoire ».
De fait, les salafistes ont réussi à s’imposer dans les négociations pour former un gouvernement de transition. Ils ont notamment fait pression pour écarter les nominations de Mohamed ElBaradei et du socialiste Ziad Bahaeddine du poste de premier ministre. Suite aux affrontements entre Frères musulmans et armée devant la garde républicaine, Al-Nour s’est résolu à suspendre sa participation aux négociations, puis a refusé de siéger au gouvernement, mais sans pour autant s’éloigner complètement du processus transitoire.
Pour le politologue Emad Gad du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, « depuis le début de la période transitoire, les salafistes ont tenté un chantage pour imposer leur avis concernant le choix du chef du gouvernement. Il est facile de voir renaître ici une autre forme du Parti Liberté et justice des Frères musulmans. Il faut absolument mettre fin à cela, il est temps d’éloigner la politique de la religion en interdisant tout parti politique à tendance religieuse ».
Rival des Frères musulmans
Aujourd’hui, Al-Nour se pose en représentant incontournable des partis islamiques. Une place disputée depuis longtemps aux Frères musulmans et qu’il sera difficile de lui faire lâcher. Rien d’étonnant, comme l’explique le politologue Yousri Al-Azabawy : depuis sa création, le parti salafiste Al-Nour a voulu se poser en rival des Frères musulmans. Il a tenu dès le départ à présenter ses propres listes aux deux élections parlementaires, puis a soutenu un candidat concurrent à Mohamad Morsi lors de la présidentielle, à savoir Abdel-Moneim Aboul-Foutouh.
Les choses ne s’arrêtent pas là. Avec l’accession de Morsi au pouvoir, les salafistes ont été dérangés par le fait que Morsi utilisait les appareils d’Etat pour instaurer l’hégémonie des Frères musulmans sur le champ islamique, sans donner de part aux salafistes, en particulier à travers le contrôle de la confrérie sur les mosquées par le biais du ministère des Waqfs.
Sans compter que le parti Al-Nour se présente naturellement comme un acteur islamiste pouvant construire des ponts avec l’opposition. En janvier, il a ainsi lancé une initiative de dialogue avec le Front National du Salut (FNS). Quelques semaines avant les manifestations du 30 juin, Al-Nour avait annoncé qu’il demanderait le départ du président Morsi si la pression de la rue était conséquente, sans toutefois appeler à manifester.
Rejet de l’évolution
Selon les experts, la conception de l’islam politique diffère dans la prédication salafiste et chez les Frères musulmans. Si ces derniers sont perçus comme plus modérés, les salafistes, quant à eux, rejettent tout ce qu’ils considèrent comme des interprétations humaines postérieures à la révélation du prophète Mohamad, ainsi que toute influence occidentale, en particulier la démocratie et la laïcité, accusées de corrompre la foi musulmane.
Amghar, chercheur associé à l’Observatoire du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, explique dans son article que « si le salafisme dans sa version quiétiste s’est toujours opposé à la politisation de l’islam pour des raisons religieuses, la plupart des salafistes ont pris leurs distances avec le champ politique, plus par pragmatisme que par idéologie. Ils estimèrent que, compte tenu de l’autoritarisme de leurs régimes, les conditions d’engagement ne sont pas réunies. Après les révoltes arabes, l’ouverture du champ institutionnel incite donc une part importante du spectre salafiste à s’engager en politique. Car les salafistes voient dans les processus de transition une occasion historique de créer un Etat et une société islamiques ».
Al-Nour, avec sa doctrine de l’islam politique plus dure que celle des Frères musulmans, est aujourd’hui en passe de devenir un acteur de poids dans le jeu politique. Avec tous les risques que représente une radicalisation de l’islam politique.
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