Al-Ahram Hebdo : Le rapport publié récemment par le centre de recherche International Crisis Group (ICG) a averti que le barrage pourrait avoir de graves conséquences humanitaires. De quoi s’agit-il ?
Abbas Cheraki : Le rapport de l’ICG a grandement attiré l’attention de l’opinion publique internationale sur les dangereuses conséquences que pourrait engendrer la construction du grand barrage de la Renaissance éthiopien. Selon ce rapport, une crise hydrique dans le bassin du Nil se profile à l’horizon une fois que le barrage sera pleinement opérationnel. Tout genre de conflit autour du Nil pourrait avoir de graves conséquences humanitaires étant donné qu’Addis-Abeba considère le barrage comme un important projet de développement national, alors que pour Le Caire, ce barrage lui représente une menace existentielle. Si l’on ne parvient pas à conclure un accord global et contraignant, l’Ethiopie pourrait aller plus loin et construire d’autres barrages. Le cercle du conflit pourrait même s’élargir si d’autres pays d’amont décidaient de suivre la même approche éthiopienne.
— Quels sont les risques géologiques potentiels de la construction du barrage de la Renaissance sur l’Egypte ?
— Les études réalisées dès 2013 sur le barrage par les cabinets du comité international formé d’experts d’Allemagne, de France, d’Angleterre et d’Afrique du Sud ont tiré la sonnette d’alarme, signalant que les études techniques sur lesquelles est basée la construction du barrage ne sont pas du tout fiables. Elles avaient recommandé des études techniques, hydriques et environnementales plus approfondies. Ce qui n’a jamais eu lieu. La liste des projets de barrages qui n’ont pas abouti en Ethiopie est longue. Le barrage de Jubba 2 sur le fleuve Jubba en 2010 est tombé à l’eau 10 jours seulement après avoir été lié avec la rivière Omo. Le projet de Jubba avait été réalisé par la même société qui est chargée aujourd’hui de la construction du barrage de la Renaissance. Un autre barrage sur l’Atbara s’est partiellement effondré en 2007, faisant 47 morts. Quant à la problématique du remplissage du barrage, l’Egypte reste toujours réservée du volume de stockage des lacs du barrage, estimé à 74 milliards. La durée du remplissage est un autre point de désaccord entre Le Caire et Addis-Abeba. Le remplissage du réservoir par l’Ethiopie en 3 ans entraînera une réduction de 25 milliards de m3 d’eau par an, soit 33 % des 74 milliards qui arrivent chaque année en Egypte et au Soudan. Cela conduira à une situation catastrophique pour l’Egypte, surtout dans le domaine de l’agriculture, du fait qu’il détruira des milliers de feddans agricoles.
L’Ethiopie a, en outre, d’autres projets (jusqu’à 30 autres barrages), dont certains avec la même capacité que celui de la Renaissance. D’où l’importance de conclure un accord global et non pas un simple compromis sur le barrage de la Renaissance.
— De point de vue technique, quel rôle peut jouer la Banque mondiale qui supervisera les négociations à Washington ?
— La présence de la Banque mondiale est d’une grande importance, même si elle est désignée jusqu’à présent comme observateur de ce nouveau cycle des négociations à Washington. En présence de cet observateur technique, je pense que l’Ethiopie va réduire ses manoeuvres et les négociations vont être plus sérieuses. En fait, l’Egypte a réclamé maintes fois depuis 2017 la participation d’experts de la Banque mondiale comme observateur neutre aux discussions. Ce qui avait été catégoriquement refusé par Addis-Abeba.
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