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Amani El-Taweel : La présence d’un acteur extérieur est important dans la phase actuelle

Amira Doss, Mardi, 12 novembre 2019

Amani El-Taweel, cheffe du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, revient sur la médiation américaine dans la crise du barrage de la Renaissance.

Amani El-Taweel

Al-Ahram Hebdo : Quelle est, selon vous, l’importance de la médiation américaine dans la crise du barrage de la Renaissance ?

Amani El-Taweel : Pour le moment, on ne peut pas qualifier de « médiation américaine » les pourparlers de cette semaine à Washington. Il est encore trop tôt pour le dire. Les Etats-Unis ont répondu aux appels égyptiens d’intervenir pour parrainer les négociations sur le barrage de la Renaissance qui étaient dans l’impasse. Seuls les Etats-Unis avec leur poids et leur influence pouvaient jouer un rôle actif. L’Ethiopie a refusé à plusieurs reprises l’implication d’un médiateur, et l’Egypte préférait que les Américains jouaient les intermédiaires. La présence d’un acteur extérieur est importante dans la phase actuelle. Les Ethiopiens ont accepté la rencontre de Washington, après avoir refusé catégoriquement tout intermédiaire dans les pourparlers. L’Egypte a multiplié les appels en direction de Washington, même si la dernière rencontre en Russie entre le président Sissi et Abiy Ahmed a permis de débloquer un peu la situation. Moscou avait proposé de jouer les intermédiaires, mais les Etats-Unis possèdent plus de cartes de pression sur l’Ethiopie. La rencontre à Washington entre les ministres des Affaires étrangères d’Egypte, du Soudan et d’Ethiopie visait à mettre fin au blocage des négociations. La situation est loin d’être réglée, mais on peut parler d’un pas en avant. Il est important pour le président américain de paraître devant son peuple comme un « faiseur de paix », surtout qu’il fait face à des appels de destitution. L’Ethiopie, elle, aspire à un rôle plus important en Afrique et jouera la carte du barrage pour obtenir plus de privilèges.

— Quels sont les principaux acquis de ces dernières rencontres tenues à Washington ?

Tout d’abord, Washington a exprimé son soutien au dialogue en vue d’atteindre un accord viable et mutuellement bénéfique sur le remplissage et la gestion du barrage. Le premier pas positif est que les parties concernées se sont mises d’accord sur un calendrier précis pour les prochaines négociations. Trois réunions urgentes se tiendront au niveau des ministres des Ressources hydriques, avec des représentants des Etats-Unis et de la Banque Mondiale (BM), à l’invitation du secrétaire du Trésor, Steven Mnuchin, pour évaluer les progrès dans les négociations. Si aucun accord n’est conclu avant le 15 janvier 2020, les ministres des Affaires étrangères devront invoquer l’article 10 de la Déclaration de principe de 2015 qui stipule qu’en cas d’échec des négociations au niveau ministériel, les chefs d’Etat peuvent solliciter une médiation extérieure.

— Quelles sont les alternatives pour l’Egypte pour assurer ses besoins en eaux, surtout que les travaux de construction du barrage sont en phase finale ?

— L’Egypte, pays d’aval, dépend du Nil pour son agriculture, sa part annuelle est de 55,5 milliards de m3, selon un accord conclu en 1959 sur le partage des eaux du Nil. L’Egypte privilégie la voie diplomatique. Le barrage est construit à 70 %. Les turbines ne sont pas encore installées. Nous réclamons un mécanisme de coordination pour le remplissage du réservoir, la demande égyptienne est que le remplissage s’étende sur 7 à 9 ans. Cette période permettra à l’Egypte de se préparer à la baisse graduelle des eaux et de développer de nouvelles techniques comme le traitement des eaux usées, l’installation de stations de désalinisation d’eau de mer et une modification des techniques agricoles. L’Egypte a déjà restreint les cultures gourmandes en eau. Elle doit développer ses ressources en eau.

La présence d’un acteur extérieur est important dans la phase actuelle
Les travaux du barrage sont achevés à 70 %.

— Comment expliquez-vous l’intransigeance éthiopienne dans ce dossier et son refus de toute médiation ?

— L’Ethiopie a besoin de ce barrage, qui sera, une fois terminé, le 13e barrage du monde en terme de capacité hydroélectrique. Avec un besoin croissant de 30 % par an d’électricité, l’Ethiopie veut par ce barrage assurer son indépendance énergétique. Le barrage lui permettra de remédier aux pénuries d’électricité. L’Ethiopie veut faire de cet ouvrage le symbole de son essor économique. C’est aussi un moyen pour l’Ethiopie d’imposer son pouvoir. Dans le pays, le barrage est présenté comme une fierté nationale. Le régime d’Addis-Abeba a investi son image et son prestige dans ce barrage.

— Quelle est l’issue possible pour sortir de cette crise, avec la montée des tensions ?

— Depuis le lancement du projet, les tensions ne font que se multiplier. L’Egypte dépend à 90 % du débit du fleuve pour son approvisionnement en eau. A lui seul, le Nil bleu fournit 59 % du débit du Nil. L’Egypte ne peut se permettre la moindre réduction de débit. Pour l’Egypte, le Nil est une question d’existence, de sécurité alimentaire et de Sécurité nationale. Historiquement, l’Egypte a été le premier pays à dompter les eaux du Nil. La construction des barrages et la gestion des ressources d’eau ont nécessité une coopération entre les pays riverains du Nil. Le Caire a demandé à plusieurs reprises un remplissage plus lent du réservoir du barrage et des études transparentes. Parvenir à un accord équilibré est une nécessité. Un accord qui permet à l’Ethiopie de générer de l’électricité sans porter atteinte aux droits de l’Egypte dans les eaux du Nil. Sur les bords du fleuve, les populations vont doubler d’ici trente ans, cette ressource précieuse est donc à protéger à tout prix.

— Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? N’était-il pas possible d’éviter cette impasse avant que le barrage ne soit un fait accompli ?

— En effet, la première pierre de ce barrage a été posée en pleine révolution égyptienne, le 2 avril 2011. Les autorités éthiopiennes ont donc profité du chaos en Egypte. En avril 2011, des experts français, allemands, soudanais et éthiopiens ont souligné les risques potentiels du barrage pour l’Egypte et le Soudan. Autre facteur important, la position du Soudan, qui a affaibli la position égyptienne qui s’est retrouvée seule à défendre sa sécurité hydrique. Pendant des milliers d’années l’Egypte a été la puissance dominatrice de la corne de l’Afrique dont l’un des plus grands atouts est le Nil. Le but de l’Egypte est de faire prévaloir le principe de non-atteinte aux intérêts des trois pays, dans le cadre du bien commun.

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