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Les négociations sont dans l’impasse en raison de l’inflexibilité de la partie éthiopienne », a déclaré, samedi, le porte-parole du ministère de l’Irrigation et des Ressources hydriques, Mohamad Al-Sébaï, à l’issue de la réunion des ministres de l’Irrigation de l’Egypte, du Soudan et de l’Ethiopie dans la capitale soudanaise Khartoum. Et d’ajouter que l’Ethiopie a fait des propositions qui s’opposent à ce qui a été convenu auparavant concernant le remplissage et l’exploitation du barrage. En fait, Addis-Abeba refuse tout engagement en ce qui a trait au débit annuel du barrage et ne prévoit aucune mesure en cas de sécheresse. Lors d’une conférence de presse, le ministre soudanais de l’Irrigation, Yasser Abbas, a certes évoqué quelques progrès, mais selon lui, les divergences continuent autour du remplissage du réservoir et les règles de fonctionnement du barrage.
Le président Abdel-Fattah Al-Sissi s’est immédiatement exprimé après la réunion de Khartoum sur Twitter, affirmant qu’il a « suivi de près les négociations, qui n’ont débouché sur aucun résultat positif ». « L’Egypte est déterminée à défendre son droit à l’eau », a ajouté le président.
Au cours des précédents rounds de négociations, l’Ethiopie avait refusé de discuter des règles d’exploitation du barrage et a insisté à limiter les négociations à la phase de remplissage et aux règles d’exploitation pendant la phase de remplissage, en violation de l’article V de l’accord de principes signé le 23 mars 2015 et des normes internationales relatives à la construction et à la gestion des barrages sur les fleuves communs.
Mohamad Al-Sébaï a expliqué que la position éthiopienne avait mené les négociations au point mort. Addis-Abeba a rejeté une proposition égyptienne de remplir le lac en 7 ans. Une proposition qui évite tout préjudice à l’Egypte et au Soudan et qui permet de maintenir le niveau des eaux du Haut-Barrage d’Assouan à 165 mètres au-dessus du sol. En vertu de cette proposition, l’Ethiopie fournirait à l’Egypte 40 milliards de m3 d’eau par an. Cependant, la partie éthiopienne a refusé d’augmenter le nombre d’années de remplissage du lac et le maintient à 3 ans seulement.
Dr Diaeddine Al-Qoussi, expert en eau et conseiller de l’ancien ministre des Ressources hydriques, explique : « Le remplissage du réservoir par l’Ethiopie en 3 ans entraînera une réduction de 25 milliards de m3 d’eau par an, soit 33 % des 74 milliards qui arrivent chaque année en Egypte et au Soudan. Cela conduira à une situation catastrophique pour l’Egypte, surtout dans le domaine de l’agriculture, du fait qu’il détruira des milliers de feddans agricoles. Il faut savoir que l’agriculture nécessite à elle seule 50 milliards de m3 d’eau par an. Si nous déduisons de ce chiffre les 25 milliards, cela signifie que les 8 millions de feddans cultivés ne seront plus que 4 millions ». En fait, les travaux du très controversé barrage de la Renaissance, construit sur le Nil bleu, sont achevés à 70 %. Les ingénieurs disent pouvoir commencer à le remplir dès l’année prochaine.
L’intransigeance de l’Ethiopie
Selon le communiqué du ministère des Ressources hydriques, le refus par l’Ethiopie de la proposition égyptienne est un nouvel obstacle aux négociations. Au cours des 4 dernières années et depuis la signature de l’Accord de principes en 2015, Addis-Abeba n’a cessé d’entraver les négociations en tergiversant en ce qui a trait aux études relatives à l’impact environnemental, économique et social du barrage sur les pays en aval, en s’abstenant d’appliquer les conclusions du comité tripartite (comprenant l’Ethiopie, l’Egypte et le Soudan). Tout ceci en violation de l’article V de l’Accord de principes, qui stipule que les trois pays doivent être d’accord « sur les règles de remplissage et d’exploitation du barrage ».
Dr Nader Noureddine, professeur en sciences hydriques à l’Université du Caire, signale, quant à lui, que l’Ethiopie a vidé l’Accord de principes de son contenu et en a ignoré toutes les clauses. « L’Ethiopie veut être l’adversaire et l’arbitre en même temps. Elle se comporte comme si la décision finale lui appartenait. Addis-Abeba a déjà rejeté la médiation de la Banque mondiale et a refusé que le comité international formé d’experts d’Allemagne, de France, d’Angleterre et d’Afrique du Sud poursuive ses travaux », affirme Noureddine. Et d’ajouter : « Cette politique de l’Ethiopie est très dangereuse, car elle va mener à une pénurie d’eau en Afrique de l’Est et déclencher les premières guerres de l’eau dans le monde. Nous avons besoin aujourd’hui d’une médiation internationale forte et contraignante avec la participation d’experts internationaux et de la Banque mondiale. Les négociations avec l’Ethiopie ne mèneront à rien. Il faut des négociations internationales ».
Médiation internationale
Le Caire a appelé à une médiation internationale dans les négociations sur le barrage pour rapprocher les points de vue et contribuer à la conclusion d’un accord juste et équilibré préservant les droits des trois pays, sans compromettre les intérêts de l’un d’eux.
Dr Ayman Al-Sayed Chabana, professeur de sciences politiques à l’Institut des études africaines de l’Université du Caire, pense lui aussi que les négociations avec l’Ethiopie « ne mèneront à rien » et que « l’implication de médiateurs efficaces dans les négociations est impérative ».
Ahmad Amal, chef de l’unité des études africaines au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques, est du même avis. Il explique que l’Egypte doit à présent internationaliser le conflit. « C’est ce que Le Caire a fait lors de sa participation cette année aux réunions de l’Assemblée générale des Nations-Unies. L’Egypte s’efforce d’impliquer au dossier plusieurs parties internationales. Il semblerait que les efforts égyptiens aient porté leurs fruits. Les récentes déclarations américaines en faveur d’un règlement juste du conflit sont un signe positif », déclare Amal.
La Maison Blanche a publié, jeudi 3 octobre dernier, une déclaration appelant toutes les parties à déployer des efforts pour parvenir à un accord préservant le droit de chacun à la prospérité et au développement économique.
La diplomatie éthiopienne a, pour sa part, estimé que la demande de médiation internationale du Caire était « un déni injustifié des progrès réalisés pendant les négociations. Cela va à l’encontre des souhaits de l’Ethiopie », a-t-elle ajouté dans un communiqué. « Il est nécessaire pour l’Egypte de suivre d’autres voies qui obligent l’Ethiopie à respecter ses droits dans les eaux du Nil », assure Malek Awny, spécialiste des affaires régionales à la revue Al-Siyassa Al-Dawliya. Amal pense que l’Egypte est engagée effectivement dans plusieurs voies parallèles. « Le Caire a eu recours aux négociations directes, puis dès la fin 2017, il a utilisé d’autres cartes de pression », dit-il. L’Egypte veut convaincre les parties internationales que le barrage de la Renaissance peut mener à une déstabilisation de la région si l’Ethiopie ne respecte pas les droits des pays en aval. « L’Egypte doit internationaliser le conflit, car le recours à l’option militaire signifie reporter le problème et non pas le résoudre », affirme, pour sa part, Ayman Chabana.
L’Egypte peut aussi avoir recours à la justice internationale pour faire pression sur l’Ethiopie et réduire au minimum les effets négatifs potentiels du barrage. Amal pense que l’Ethiopie sera amenée à céder aux pressions. « Des déclarations de responsables européens ont fuité dernièrement indiquant qu’Abiy Ahmad se prépare à faire des concessions majeures à la dernière minute en faveur de l’Egypte », dit-il. Et de conclure : « L’Egypte doit faire face à la situation avec sang-froid. Les alternatives sont nombreuses. Et l’Egypte a beaucoup de cartes à jouer sur le volet politique et elle est prête à se battre pour protéger ses droits ».
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