Al-Ahram Hebdo : Les agressions houthies dans la région du Golfe se multiplient. Après l’attaque contre les deux raffineries d’Aramco le 14 septembre, les milices pro-iraniennes ont annoncé, cette semaine, avoir tué au mois d’août 200 soldats loyalistes et capturé 2 000 autres près de la frontière saoudienne — information démentie par l’Arabie saoudite. Comment voyez-vous cette reprise des tensions dans la région ?
Dr Ahmad Sayed Ahmad : Ces attaques houthies, notamment celle contre deux raffineries d’Aramco, constitue un important tournant dans la région, car elles représentent non seulement une menace pour la sécurité et la stabilité de l’Arabie saoudite et de la région arabe, mais aussi pour la sécurité et la paix mondiales, la sécurité énergétique, l’économie mondiale ainsi que la production de pétrole.
Ces attaques contredisent l’annonce par les Houthis d’arrêter les attaques contre l’Arabie saoudite et confirment que la milice tente d’absorber la pression internationale sans avoir l’intention de mettre fin au combat ou d’arrêter l’escalade. Il ne fait aucun doute que de telles attaques confirment que l’Iran, qui soutient les Houthis par les armes, penche vers une escalade à travers les Houthis. Cette escalade réduit les possibilités de parvenir à une solution politique ou à une trêve pour arrêter la guerre au Yémen.
Il s’agit d’une rude épreuve pour la communauté internationale, car il faut réagir face à ces attaques, opter pour une attitude dissuasive et adopter une résolution au Conseil de sécurité pour condamner l’Iran. L’Iran utilise la carte houthie pour faire pression sur les Américains et les pays du Golfe. Si la communauté internationale et les Nations-Unies ne réagissent pas, il sera clair que de telles attaques vont se répéter.
— Comment interprétez-vous la déclaration commune de trois pays européens, à savoir la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, accusant l’Iran d’être à l’origine de la tension dans le Golfe ?
— La déclaration des pays européens reflète le consensus international sur la responsabilité de l’Iran dans la tension qui sévit dans le Golfe et réfute les allégations des milices houthies concernant leur responsabilité dans cette tension. Elle confirme également que ces missiles et drones sophistiqués n’appartiennent qu’à l’Iran, comme l’ont affirmé des dirigeants européens, tels le premier ministre britannique, Boris Johnson, le ministre français des Affaires étrangères, Jean Yves le Drian, et son homologue allemand, Heiko Maas. Cette déclaration confirme la solidarité des Européens avec l’Arabie saoudite, vu que les tensions dans la région du Golfe constituent une menace pour la paix et la sécurité internationales et pour l’économie mondiale.
— A son tour, le ministère iranien des Affaires étrangères a condamné la déclaration des pays européens. La réponse iranienne a-t-elle été convaincante ?
— La réponse iranienne n’était pas convaincante, d’autant que le président Rohani et le guide suprême, Ali Khamenei, avaient auparavant annoncé que si les exportations iraniennes de pétrole stoppaient, l’offre de pétrole de la région cesserait, ceci en réponse à la stratégie américaine mise en place depuis mai dernier et qui vise à porter à zéro les exportations de pétrole iranien. C’est pourquoi l’Iran a mis à exécution ses menaces en multipliant les attaques : l’attaque contre des pétroliers au large des Emirats arabes unis, celle contre des pétroliers en mer d’Oman et l’attaque contre Aramco. Toutes ces attaques viennent confirmer que cibler et menacer les installations pétrolières sont une stratégie iranienne qui a été assimilée par les pays européens après les attaques contre Aramco.
— Selon vous, la position européenne selon laquelle il est temps que l’Iran accepte les négociations à long terme sur son programme nucléaire, a-t-elle évolué ? L’Iran acceptera-t-il cette vision ?
— La position européenne a considérablement évolué, allant de la nécessité pour l’Iran de respecter ses engagements à la nécessité d’entamer des négociations en vue de la conclusion d’un nouvel accord nucléaire remplaçant l’accord actuel, qui expire en 2025 et qui renferme des lacunes. Ajoutons à cela la nécessité pour l’Iran d’arrêter son programme de missiles balistiques qui constitue une menace pour la sécurité et la stabilité dans la région, et qui contrevient à la résolution 2 231 du Conseil de sécurité des Nations-Unies. La position européenne s’intéresse également au rôle de l’Iran dans l’insécurité qui règne dans la région à travers ses bras armés et son ingérence dans de nombreux pays arabes. Je pense que l’Iran refusera de renoncer à son programme de missiles balistiques ainsi qu’à son rôle et à son influence dans la région, d’autant plus qu’il y a investi et dépensé beaucoup d’argent. Il est difficile pour l’Iran de renoncer à ces acquis. En revanche, de fortes pressions et les sanctions peuvent l’amener à accepter de discuter de cette question.
— Le président iranien Hassan Rohani a annoncé que l’Iran présenterait aux Nations-Unies un plan de coopération régionale visant à garantir la sécurité du Golfe, baptisé l’initiative de paix d’Hormuz. Qu’en pensez-vous ?
— L’initiative lancée par Rohani, concernant la mise en place d’un système de coopération régionale garantissant la sécurité du Golfe, du détroit d’Hormuz et du golfe d’Oman manque de volonté réelle et reflète les contradictions propres à l’Iran. Comment l’Iran garantira-t-il la sécurité du Golfe et la liberté de navigation, alors que c’est lui qui menace la sécurité de la navigation et de l’énergie dans cette région et dans le détroit d’Hormuz ? Les nombreuses attaques survenues dans le Golfe contre des navires marchands et des pétroliers en témoignent. Cette initiative iranienne est une réponse à la présence militaire accrue des Etats-Unis dans le Golfe après que Washington avait établi des alliances internationales pour protéger la sécurité de la navigation dans cette région et dans le détroit d’Hormuz. L’Iran n’a pas réalisé que sa politique et ses menaces à la navigation étaient à l’origine de la présence militaire occidentale. Le nouveau plan iranien n’est pas nécessaire pour assurer la sécurité du Golfe. Il faut plutôt que l’Iran mette fin à ses menaces dans la région.
— Le bras de fer entre les Etats-Unis et l’Iran va-t-il se poursuivre selon vous ?
— Les Etats-Unis et l’Iran resteront dans un état de ni paix ni guerre, où l’option militaire est exclue pour de nombreuses raisons, dont notamment la position de Trump qui ne veut pas de guerre en raison de l’élection présidentielle. Le président américain mise sur la politique de pression maximale à travers les sanctions afin de faire fléchir le régime iranien. Le dialogue entre les deux pays reste également difficile, surtout que l’Iran exige que les Etats-Unis lèvent les sanctions avant tout dialogue. Et c’est ce que le président Rohani a annoncé aux Nations-Unies. Raison pour laquelle la médiation française visant à organiser une rencontre Rohani-Trump a échoué.
— Comment Washington peut-il répondre aux mesures prises par l’Iran pour relancer l’enrichissement de l’uranium ?
— Les Etats-Unis misent encore sur les sanctions économiques et leur renforcement, d’autant plus que celles-ci affectent tous les secteurs de l’économie iranienne. Et ce, pour contrer la violation de l’accord nucléaire par le régime iranien qui a augmenté ses activités d’enrichissement à 3,67 %. L’option militaire pour Washington reste le dernier recours.
— Comment voyez-vous la guerre des drones et ses conséquences sur le conflit au Yémen ?
— Les drones sont un nouveau défi auquel le monde entier est confronté. D’une part, ces aéronefs ont un coût réduit comparé aux missiles balistiques. De même, les systèmes de défense antiaérienne classiques et les missiles ne peuvent ni riposter aux drones ni les repousser, en particulier en cas d’attaque avec un grand nombre de drones, comme c’était le cas pour Aramco. Leur faire face nécessite de nouvelles armes sophistiquées capables de les détecter et de les repousser avant qu’ils n’atteignent leurs objectifs, surtout que ces engins se sont imposés dans le conflit régional après que l’Iran avait fourni aux Houthis au Yémen des drones que leurs milices utilisent contre l’Arabie saoudite. Nul doute que l’utilisation des drones a eu un impact négatif sur la scène yéménite en prolongeant et en compliquant la crise. Ne pas adopter une position dissuasive à l’égard de l’Iran va encourager les milices houthies à rejeter les solutions politiques et à parier sur les solutions militaires.
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