Al-Ahram Hebdo : Comment expliquez-vous la chute rapide du président Mohamad Morsi qui vient d’être destitué par l’armée un an après son élection ?
Moustapha Kamel Al-Sayed : C’est malheureux de voir le premier président civil élu destitué un an seulement après son investiture. Cette destitution était indispensable face à la détérioration qui a touché quasiment tous les domaines. Les politiques adoptées étaient très fragiles. Le gouvernement n’avait pas assez d’expériences pour pouvoir régler les crises. Aucune des promesses électorales de Morsi n’a été réalisée. Aucune réforme n’a été élaborée. Les taux de chômage et d’inflation ont augmenté. La situation politique et sociale se dégradait de plus en plus. Les relations internationales étaient sur le point d’être détruites. Résultat : le pays est divisé en deux : islamistes et non-islamistes, ou plutôt pro et anti-Morsi. De plus, on assiste à des incidents sanglants de temps en temps, provoquant plus de blessés et de morts. Outre des campagnes incessantes qui sont lancées contre les médias, les juges et l’opposition, sans hésiter de les menacer ouvertement. Sans compter l’intransigeance de Morsi refusant de former un gouvernement d’union nationale et d'amender la Constitution et les tentatives de frériser les institutions. C’est d’ailleurs sa dépendance absolue à la confrérie des Frères musulmans qui était à l’origine de sa chute, un précédent dans l’histoire de l’Egypte.
— D’autres cas similaires se sont-ils produits dans d’autres pays ?
— Bien sûr, mais différents du cas de Morsi. L’Argentine avait assisté en décembre 2001 à une grave crise économique qui avait frappé le pays, provoquant un véritable chaos social, et des émeutes des classes sociales les plus démunies. Sous la pression populaire, le président a démissionné,
presqu’un an après son élection. En Grèce, en Espagne, au Portugal, on a aussi assisté à des exemples typiques. Dans n’importe quelle démocratie, on se soumet à la volonté de la majorité, sinon, c’est la guerre civile.
— Peut-on considérer la chute de Morsi comme le début de la fin de l’islam politique dans la région ?
— Sans doute, l’échec de Morsi est un échec pour les Frères musulmans dans le monde. On peut même aller jusqu’à le considérer comme une tache noire dans leur histoire. C’est vrai qu’ils ont remporté les présidentielles à un moment extrêmement difficile, et que les défis étaient innombrables et difficiles, mais ni Morsi, ni sa confrérie, ni son gouvernement dont la majorité était des islamistes, n’étaient capables de régler les crises. Leur incapacité et leur mauvaise performance auront sans aucun doute un mauvais impact sur l’expérience de l’islam politique dans la région. Pour sa part, la presse arabe affirme que la chute de la confrérie en Egypte anéantit définitivement le rêve des Frères d’arriver au pouvoir dans certains pays du Golfe. D’ailleurs, je pense que même la structure internationale de la confrérie en sera touchée. Elle peut être décomposée et pourrait connaître des dissidences.
— Certains insistent à considérer l’intervention de l’armée comme étant un coup d’Etat militaire appuyé par le peuple, et non pas une révolution appuyée par l’armée. Qu’en pensez-vous ?
— Dans les rangs des islamistes et des pro-Morsi, on ne doit jamais s’attendre à ce qu’ils reconnaissent la révolution du 30 juin. Ils insistent sur le fait que l’armée a transgressé la légitimité en faisant un coup d’Etat déposant le premier président démocratiquement élu d’Egypte, quelles que soient les erreurs qu’il a commises.
De quelle légitimité parlent-ils ? Déjà, face à la forte contestation de la population, le ministre de la Défense a laissé 48 heures à Morsi pour répondre aux demandes du peuple avant d’intervenir pour régler la situation. En outre, un coup d’Etat militaire signifie que l’armée gère le pays. Ce qui est tout à fait contraire à ce que nous vivons. Al-Sissi a affirmé ne chercher aucun rôle politique. Il a élaboré seulement une feuille de route avec la participation des plus hautes autorités religieuses, le cheikh d’Al-Azhar et le pape de l’Eglise copte orthodoxe, et des différentes tendances politiques comme le mouvement Tamarrod et Mohamed ElBaradei, représentant de l’opposition et le parti islamiste Al-Nour.
— Quelle est votre analyse des réactions de la communauté internationale ?
— Tout s’explique. A part la Tunisie et la Turquie où des partis islamiques gouvernent, la destitution de Morsi a été chaleureusement accueillie dans tout le monde arabe. Le soutien de Morsi de la part du mouvement islamiste Hamas n’était pas choquant. Quant à Israël, il craint de nouveaux attentats de la part du Hamas, après Morsi, et une annulation du traité de paix sous la prochaine présidence.
Sur le plan occidental, la destitution de Morsi n’a pas suscité de réactions d’indignation. Même Obama, qui soutenait Morsi sous la pression du Congrès américain, a commencé à faire marche arrière et s’est contenté d’exiger comme les pays occidentaux une présidentielle rapide et civile.
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