Trois jours avant l’annonce du nom du vainqueur de la présidentielle, une dizaine de figures politiques et de révolutionnaires se sont réunies, en réponse à l’invitation du candidat des Frères musulmans,
Mohamad Morsi, à Fairmont, un hôtel luxueux d’Héliopolis. L’écrivain Alaa El-Aswany, Sékina Fouad, Hamdi Qandil, Abdel-Guélil Moustapha et Hassan Nafea étaient parmi les invités. Des heures décisives. L’annonce du résultat est reportée de deux jours, et la crainte de le falsifier au profit de l’autre candidat,
Ahmad Chafiq, symbole de l’ancien régime, hantait beaucoup de citoyens. Morsi, islamiste, était pour ces libéraux le seul choix à soutenir. Un soutien que ce président
a reçu en échange d’une série de promesses qu’il a données pour convaincre ces libéraux. Dans un document en 6 points, connu par la suite comme « l’accord de Fairmont », Morsi appose sa signature.
Ces engagements comprenaient le respect du principe « de partenariat national et d’Etat civil ». Mais, une fois le pied au palais présidentiel, Morsi a tourné le dos à ses partisans libéraux.
Et la rencontre de Fairmont ne s’est jamais répétée. Il est vrai que Morsi a choisi un grand nombre de ces personnes comme conseillers à la présidence, mais il s’agissait, comme l’explique Amr Rabie, politologue au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, d’une « simple façade démocratique ». « Nous n’avons jamais été consultés ». C’est la phrase qu’on entendait à chaque fois que l’un de ces conseillers annonçait sa démission. Morsi perdait peu à peu la quasi-totalité de ses conseillers libéraux.
Le fossé commence vite à s’élargir entre le groupe de Fairmont et le président, comme l’explique le politologue Hassan Nafea, après la nomination de Hicham Qandil. « Son choix ne répondait ni de loin ni de près aux critères sur lesquels s’est accordé le groupe de Fairmont … Le principe de l’exclusion des autres et l’appartenance partisane au lieu de la compétence sont devenus la règle ». Mais la rupture définitive s’est produite le 21 novembre, après la déclaration constitutionnelle qui a divisé l’Egypte en deux camps. Et les libéraux sont vite retournés à leur place dans le camp de l’opposition. « Peut-être que les négociations de Fairmont n’avaient, dans le fond, aucun effet sur le choix du vainqueur, puisque les élections étaient terminées.
Mais cette rencontre était pour nous une occasion pour savoir si Morsi allait être le président de tous les Egyptiens ou non. On a perdu un pari. Mais à mon avis, le vrai perdant était Morsi et sa confrérie », dit Nafea.
Salafistes, les affinités ont vite tourné aux rivalités
Morsi, au pouvoir, a très tôt perdu son ancien allié salafiste aux législatives, le parti Al-Nour, qui a remporté un quart des sièges au Parlement dissous. Apportant un large soutien au candidat de la confrérie au second tour de la présidentielle,
Al-Nour a vite formé un bloc d’opposition islamiste contre la gouvernance de Morsi. Selon Rabie, plusieurs points de discorde entre les deux principaux protagonistes de l’islam politique ont rendu, comme ils avouent eux-mêmes, leur alliance impossible.
Pour gagner aussi les voix des salafistes, Morsi leur a fait entendre aussi ses promesses de « partenariat » et de « partage du pouvoir ». Mais aucun salafiste n’a été nommé au gouvernement. Ils se sont retrouvés par la suite exclus de tout autre poste-clé de l’Etat.
Les salafistes avaient montré leurs désaccords avec les députés Frères lors de la rédaction des articles concernant la charia. « Les Frères musulmans nous ont trahis dans la constituante. La promesse de Morsi de faire de la charia la source principale de la législation s’est envolée en l’air. Et nous sommes restés seuls à défendre la charia », déclare avec amertume Yasser Borhami, un mois avant la chute de Morsi.
Le parti Al-Nour avait aussi accusé ouvertement les Frères musulmans de déformer l’image des salafistes et de provoquer une scission interne au sein de leur faction, à l’origine de la création du parti Al-Watan, pour les affaiblir. Des divergences ont éclaté entre Al-Nour et la présidence après le limogeage par la présidence d’un des membres du parti, Khaled Alameddine, qui occupait le poste de conseiller aux affaires environnementales.
Le renforcement des relations avec l’Iran qui veut, selon les salafistes, « répandre le chiisme en Egypte », ou le prêt du FMI « contraire à la doctrine islamique », figurent dans la longue liste des points de discorde, de nature religieuse, entre les salafistes et le régime de Morsi.
Al-Nour rejoint l’opposition
Et comme réaction, Al-Nour a opéré un nouveau repositionnement sur l’échiquier politique en rejoignant le Front National du Salut (FNS), regroupant des figures nassériennes et libérales, qui partagent avec lui ses réclamations contre la frérisation des institutions de l’Etat et pour la formation d’un gouvernement d’union nationale.
« La base des partisans islamistes modérés de Morsi commence alors à se rétrécir en se limitant seulement aux courants islamistes radicaux.
Il était alors difficile pour le régime déchu de mobiliser les islamistes. Ceci a été bien évident le vendredi 21 juin, lors de la manifestation organisée pour soutenir Morsi, boycottée par un grand nombre de salafistes, Al-Nour en tête. Ceux-ci ont préféré la neutralité au conflit politique », conclut Rabie.
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