Morsi embrassant la tête du guide suprême, une soumission à vie.
Nul n’oubliera cette scène, vue lors d’un meeting de la campagne électorale de Mohamad Morsi : le guide suprême de la confrérie des Frères musulmans, Mohamad Badie, chuchotant à l’oreille de Mohamad Morsi, lui rappelant de ne pas oublier d’évoquer « la vengeance des martyrs » de la révolution du 25 janvier parmi les priorités de son programme électoral. Une scène capturée par les caméras et qui révèle l’ascendant qu’a le guide suprême sur Mohamad Morsi. L’épisode, sévèrement critiqué, laissait prévoir que Morsi ne serait pas un président qui gérerait le pays « tout seul ». Selon les politologues, il a fallu peu de temps pour se rendre compte du rôle que Badie a joué dans la gestion du pouvoir, et comprendre que les décisions de Mohamad Morsi n’étaient pas prises au palais présidentiel, mais au bureau de la guidance de la confrérie.
L’adoption de la nouvelle Constitution a mis le feu aux poudres. Louée par le guide suprême, qui a déclaré qu’elle allait « ouvrir la voie vers la renaissance », elle est restée un point d’achoppement dans les relations avec l’opposition, mais Mohamad Morsi a toujours refusé de la rediscuter ou de la modifier. « L’attitude de Morsi reflète l’obéissance absolue des membres de la confrérie envers leur guide suprême, explique Tharwat Al-Kherbawy, ancien Frère. Personne ne peut ni discuter, ni le contredire ». C’est la personnalité du président destitué qui expliquerait pourquoi il a été choisi comme candidat aux élections présidentielles à la place de Khaïrat Al-Chater, n° 2 de la confrérie, dont la candidature avait été exclue. « Morsi est typiquement la personnalité convenable à cette mission, poursuit Tharwat Al-Kherbawy. Il exécute les ordres sans discussion et prend l’avis de Badie avant de prendre la moindre décision ».
Désigné comme guide suprême en 1993, Mohamad Badie n’aime pas le contact direct avec le public, et son apparition se fait généralement rare. Pourtant, il n’a pas hésité à occuper le devant de la scène politique le 7 décembre dernier, à la mosquée d’Al-Azhar, lors des funérailles des membres de la confrérie ayant trouvé la mort dans des accrochages devant le siège du bureau de la guidance. Quelques jours après, Badie a tenu une conférence de presse lors de laquelle il a assuré que « les islamistes étaient devenus majoritaires par rapport à l’opposition ».
Depuis cette apparition, qui a été mal perçue, il a choisi d’orienter dans les coulisses la politique du pays. Multipliant les déclarations médiatiques, Badie a tenu bureau ouvert, accueillant des personnalités internationales. Le nouvel ambassadeur italien l’a rencontré, ce qui laisse entendre que Badie est le véritable preneur de décisions en Egypte. Une attitude qui a été blâmée par les révolutionnaires et l’opposition,
qui ont protesté symboliquement devant le siège du bureau de la guidance, scandant : « A bas le pouvoir du guide ! ».
Al-Chater, président dans les coulisses
Mohamad Badie ne serait pas seul à tirer les ficelles de la marionnette présidentielle. Derrière le paravent se trouve aussi Khaïrat Al-Chater, le deuxième homme fort de la confrérie. « C’est le penseur stratégique de la présidence », estime le politologue Yousri Al-Azabawy. «lui qui formule les politiques et prend les décisions dans les coulisses », poursuit- il. Il dirige même la politique étrangère de Morsi : c’est par exemple lui qui a négocié avec la Turquie et le Qatar au sujet de l’aide économique. Les politologues considèrent que cet empiétement sur les prérogatives du président représente « le prix que Morsi a dû payer à Al-Chater pour lui avoir permis d’accéder à la présidentielle à sa place ».
Cinq mois après l’arrivée de Morsi au pouvoir, Khaïrat Al-Chater a décidé de former un front islamique uni face à l’opposition, comptant 13 partis islamistes. Il a même ordonné à ses troupes de se confronter à leurs opposants, et des affrontements sanglants ont eu lieu devant le palais présidentiel et le bureau de la guidance.
La tension qui a résulté de ces événements a atteint la présidence elle-même, où l’on a vu les conseillers de Mohamad Morsi démissionner les uns après les autres. « C’est la confrérie qui gouverne », a ainsi lancé Fouad Gadallah, son conseiller juridique démissionnaire. Cette gestion de l’extérieur a fragilisé l’institution présidentielle et a accéléré la chute de Mohamad Morsi, un an seulement après son investiture.
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