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TICAD VII : L’Afrique prend en main son développement

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 03 septembre 2019

La Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD VII) s’est achevée le 30 août après trois jours de discussions. L’Afrique y a fourni une vision claire et bien définie sur les priorités du développement.

TICAD VII : L’Afrique prend en main son développement
(Photo : AFP)

« C’est le bon moment pour investir en Afrique : des marchés ouverts, un climat propice à l’investissement et une terre pleine d’opportunités et de richesses », a déclaré le président Abdel-Fattah Al-Sissi, lors de l’ouverture de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD VII). Du 28 au 30 août, Yokohama, la ville japonaise la plus proche de l’Afrique, a reçu la 7e édition de la TICAD, sous la co-présidence de l’Egypte et du Japon. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a rejoint cette année, en sa qualité de président de l’Union Africaine (UA), la table de ce Forum sur l’Afrique. Il s’agit de la troisième visite du président au Japon depuis 2014 et de la deuxième cette année. Sa dernière visite remonte à juin 2019 pour assister au Sommet du G20 à Osaka.

L’objectif de la TICAD VII, selon le slogan de l’événement, était de « faire progresser le développement de l’Afrique à travers les hommes, la technologie et l’innovation ». Lancée en 1993, la TICAD est une initiative du gouvernement japonais en collaboration avec le programme des Nations-Unies pour le développement, la Commission de l’UA et la Banque Mondiale (BM). Les réunions de la TICAD avaient lieu tous les cinq ans au Japon jusqu’en 2013. Depuis, la conférence est organisée tous les trois ans alternativement en Afrique et au Japon (voir chronologie page 4). « Les préparatifs du Sommet de la TICAD ont commencé par l’Union africaine et le Japon, il y a plus d’un an », a déclaré Sameh Choukri, ministre des Affaires étrangères.

Dans la déclaration de Yokohama 2019, les participants ont souligné leur détermination de poursuivre le partenariat avec l’Afrique pour réaliser des bénéfices mutuels, notamment grâce à « l’expérience japonaise en matière de développement en Asie et la dynamique économique récente en Afrique », peut-on lire dans la déclaration finale.

Une coopération accrue

Des Etats-Unis à l’Inde en passant par l’Europe et la Chine, de nombreuses puissances internationales ont scellé des partenariats avec le continent noir. « La multiplication des forums sur l’Afrique montre que le continent africain est désormais vu comme un partenaire plutôt qu’un acteur. Et ce, non seulement en raison de ses richesses naturelles, mais aussi grâce à son potentiel économique », explique Ramadan Qorani, spécialiste des affaires africaines. La croissance moyenne du continent s’est élevée à 4,3 % par an entre 2000 et 2017. Et la population devrait atteindre 2,5 milliards d’habitants en 2050, contre 1,3 milliard en 2019.

« Ce qui distingue le partenariat japonais avec l’Afrique par rapport aux autres, c’est qu’il se concentre sur le développement des ressources humaines africaines. Cette stratégie nippone en Afrique est en accord avec le plan d’action de l’Agenda de l’UA 2063 pour réaliser un développement durable en Afrique », précise le spécialiste. Autre caractéristique des projets de développement initié par le Japon en Afrique, comme l’ajoute Qorani, c’est « l’absence de conditions politiques sur lesquelles insistent les autres donateurs internationaux comme la BM, les Etats-Unis et l’Union européenne pour octroyer leurs aides au continent ».

Dialogue sur les affaires

Selon Samar Al-Bagouri, spécialiste des affaires africaines à l’Université du Caire, « cette rencontre réalise les intérêts économiques de toutes les parties participantes : le Japon, l’Afrique et l’Egypte ».

Environ 800 sociétés nippones sont présentes aujourd’hui en Afrique, contre 520 en 2010. En 2018, le Japon a exporté 8,1 milliards de dollars de produits vers l’Afrique et en a importé des biens d’une valeur de 8,9 milliards de dollars. Le Japon a même récemment annoncé des projets d’infrastructures d’une valeur de plus de 300 milliards de yens en Afrique. Dans son discours d’ouverture, le premier ministre japonais, Shinzo Abe, a insisté sur l’urgence d’investir massivement en Afrique et sur le fait que le Japon mise désormais sur l’investissement plutôt que les aides financières dans ses relations avec l’Afrique.

A la différence des TICAD précédentes, un important salon Japan-Africa Business Forum & Expo, réservé aux entreprises privées et aux gouvernements des pays africains, a été organisé en marge du sommet. Ce premier dialogue sur l’investissement à la TICAD a mis l’accent sur l’importance des investissements du secteur privé. « Réaliser un essor économique n’est pas seulement la responsabilité des gouvernements, mais cela exige un partenariat constructif avec le secteur privé qui est la force motrice principale de la croissance et le promoteur de l’activité économique », a déclaré le président Abdel-Fattah Al-Sissi, qui a coprésidé ce forum de business.

Japon : TICAD vs FOCAC

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Selon Samar Al-Bagouri, outre l’intérêt économique, le Japon par cette rencontre internationale veut consolider sa place sur le continent et contrer l’influence de son rival chinois.

Pourtant, l’enjeu reste de taille, comme l’explique Amany Al-Taweel, présidente du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, qui souligne : « Il existe un grand fossé entre la TICAD et le Forum sur la coopération Afrique-Chine (FOCAC) ». Et d’ajouter : « Bien que le continent ait déployé beaucoup d’efforts au cours de la dernière décennie à travers son agence de coopération, la JICA, pour renforcer sa présence sur le continent, le Japon a des difficultés à rivaliser avec la Chine en termes d’aide au développement », ajoute l’experte.

En 2017, les investissements directs du Japon en Afrique n’ont pas dépassé les 7,8 milliards de dollars, alors que ceux de la Chine ont atteint 43 milliards de dollars.

Difficile donc de concurrencer la Chine sur le plan financier. Le Japon, pour se distinguer, a insisté au cours de la conférence sur « la qualité supérieure des infrastructures nippones ». « Les ressources humaines doivent être au centre du développement, c’est l’expérience des Japonais », a déclaré Abe, en réponse à une question sur la particularité des investisseurs nippons par rapport à ceux de la Chine, d’Europe ou des Etats-Unis.

Tokyo a critiqué aussi ouvertement la politique de la Chine à l’égard de l’Afrique, notamment en matière d’octroi de prêts qui mène au surendettement des pays africains.

Afrique : Attirer les investissements japonais

Du côté africain, le sommet de la TICAD VII revêtait une importance particulière, notamment après le lancement officiel de la zone de libre-échange continentale lors du sommet extraordinaire tenu à Niamey, au Niger, en juillet 2019. Elargir les opportunités d’investissement japonais en Afrique était au centre des discussions à la TICAD VII.

Le président Sissi, s’exprimant en tant que président de l’UA à l’ouverture de la conférence, a tracé, à travers son discours, une feuille de route pour les investisseurs, en indiquant dans quel domaine investir en Afrique. « Les pays africains accordent une grande importance à la coopération avec les institutions d’investissement du secteur privé dans les projets d’infrastructures, l’énergie, le transport, les télécommunications et les technologies. Cela est indispensable pour récolter les fruits de la ZLECA, pour promouvoir les échanges commerciaux entre les pays africains et attirer davantage d’investissements dans les secteurs concurrentiels », a précisé le président.

Le président a énuméré également dans son discours trois principaux volets pour un plan d’action Afrique-TICAD afin d’accélérer la transformation économique du continent : Développer l’infrastructure africaine à travers, par exemple, des projets de liaison terrestre entre Le Caire et Le Cap, et maritime entre la Méditerranée et le lac Victoria, activer les étapes exécutives de la zone de libre-échange continentale africaine et rechercher davantage d’emplois pour les jeunes qui représentent 65 % de la population africaine. Le Japon a annoncé l’octroi de 750 millions d’euros sur cinq ans pour stabiliser la situation dans la région du Sahel, pour rassurer les investisseurs japonais. Le premier ministre japonais a souligné également au cours de la conférence que le Japon envisageait d’accueillir 9 000 jeunes pour l’apprentissage et la formation.

Egypte : Renforcer le partenariat avec la troisième force économique

Pour l’Egypte, la TICAD VII a ouvert de nouveaux horizons de coopération entre l’Egypte et le Japon (voir page 4). Selon Amany Al-Taweel, « l’Egypte s’active pour promouvoir les intérêts africains et les investissements en Egypte ».

L’Egypte est le troisième partenaire commercial du Japon en Afrique et le plus grand pays africain à recevoir des investissements japonais sur son sol. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont augmenté de 30,5 % en 2018 pour culminer à 1,26 milliard de dollars. Les investissements japonais en Egypte se sont élevées à 880 millions de dollars en 2018. Environ 106 entreprises japonaises opèrent en Egypte. Parmi les projets d’investissement japonais en Egypte figurent le projet mis en oeuvre par Mitsubishi dans la production de l’électricité à partir du charbon avec des investissements estimés à environ 2,5 milliards de dollars, le projet de la 4e ligne du métro souterrain financé par la JICA, la centrale éolienne de Gabal Al-Zeit à Suez et une centrale à cycle combiné en Haute-Egypte. Le Japon est aussi un partenaire-clé pour le financement du projet du Grand Musée. La TICAD VII a été marquée par la signature d’un mémorandum de coopération sur le programme de coopération technique tripartite entre l’Agence égyptienne pour le développement et l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA). Un autre protocole, visant à établir un cadre réglementaire pour promouvoir les investissements bilatéraux entre l’Egypte et le Japon entre l’Autorité générale pour les investissements et les zones franches et la banque MUFV, la plus grande banque du Japon, a été également signé au cours de la conférence. « Ce qui distingue cette édition de la TICAD des précédentes c’est que la vision africaine sur les besoins et les priorités de développement du continent est devenue plus claire et bien définie. Celle-ci a été transmise dans les discours du président Sissi que ce soit à la TICAD ou plus tôt, au Sommet du G7 », conclut Samar Al-Bagouri.

C’est autour de l’Afrique d’accueillir la TICAD VIII en 2022. Quelle chance pour l’Egypte pour abriter ce grand événement ?

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