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L’économie, difficile pari de Abdallah Hamdok

Nada Al-Hagrassy, Mardi, 27 août 2019

Abdallah Hamdok et son gouvernement transitoire font face à un défi de taille, celui de redresser une économie dévastée par des années de mauvaise gestion. Analyse.

L’économie, difficile pari de Abdallah Hamdok
La livre soudanaise a perdu près de 70 % de sa valeur face au dollar depuis 2017.

« Le Soudan a besoin de 8 milliards de dollars d’aide étrangère au cours des deux prochaines années pour couvrir ses dettes et rebâtir une économie dévastée par plusieurs mois de crise politique », a déclaré le nouveau premier ministre, Abdallah Hamdok, aux médias, avant de souligner que « 2 milliards de dollars supplémen­taires en réserves de change étrangères seraient néces­saires dans les trois prochains mois pour stopper la dépréciation de la monnaie locale ». Pour cela, Hamdok a dit avoir ouvert « des discussions avec le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM) dans le but de restructurer l’importante dette du Soudan ». Il a indiqué effectuer « en parallèle, des approches auprès de pays amis ».

Ayant prêté serment le 21 août, Hamdok, âgé de 61 ans, va devoir affronter une situation économique très difficile et répondre aux aspirations des Soudanais, qui attendent les retombées de leur révolution. La nomination de cet économiste chevronné à la tête du gouvernement transi­toire a été favorablement accueillie par les Soudanais et la communauté internationale. Hamdok a occupé plu­sieurs postes dans des organisations internationales et régionales, notamment comme secrétaire exécutif adjoint de la Commission économique pour l’Afrique de l’Onu, à Addis-Abeba. Son choix est justifié par ses compé­tences d’économiste et sa crédibilité auprès des institu­tions financières internationales.

En effet, c’est l’aggravation du contexte économique qui avait poussé les Soudanais à descendre dans les rues pour s’opposer au régime de Omar Al-Béchir. Les révoltes au Soudan avaient commencé après la décision du gouvernement de réduire les subventions sur certains produits de première nécessité, ce qui avait entraîné un triplement du prix du pain, une denrée de base essentielle pour les Soudanais. Ces derniers ont attendu quotidienne­ment devant les distributeurs électroniques des banques sans pouvoir retirer de l’argent liquide.

Toutefois, le début de la dégradation de l’économie soudanaise remonte plus particulièrement à 1997, année où les Etats-Unis ont imposé des sanctions économiques au Soudan, accusé d’être parmi les Etats qui soutiennent le terrorisme. La levée de ces sanctions économiques vingt ans après, en octobre 2017, n’a pas apaisé la crise, puisque Washington maintient toujours le Soudan sur sa liste noire des « Etats soutenant le terrorisme », ce qui a mené à la fuite des investissements étrangers.

Un potentiel inexploité

« L’économie soudanaise fait ses premiers pas », explique Alaa Al-Askari, économiste, avant d’ajouter : « Le Soudan ne jouit d’aucune base productrice. Ses richesses agricoles, naturelles et humaines n’ont pas encore été exploitées. Et comme la plupart des pays en voie de développement, le Soudan importe plus qu’il n’exporte ». Par ailleurs, après la sécession du Soudan du Sud en 2011, le Soudan a perdu 75 % de ses gisements de pétrole et une grande part de ses recettes en devises. Les politiques économiques incohérentes adoptées par Al-Béchir ont mené de plus en plus à la dégradation de la situation économique au Soudan. La livre soudanaise a perdu près de 70 % de sa valeur, ce qui a rendu le quotidien des Soudanais encore plus diffi­cile.

En juin 2018, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont offert quelque 3 milliards de dollars d’aides au Soudan. 500 millions de dollars ont été déposés à la Banque Centrale soudanaise pour solidifier sa position finan­cière, tandis que le reste a été livré sous forme de produits alimentaires et médicaux et de car­burant. Amani Al-Taweel, chef du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, estime que la crise économique constitue le défi majeur pour le gouvernement transitoire. « Il faut tout d’abord lutter contre la corruption qui sévit dans les institutions soudanaises et qui a été l’une des grandes raisons du soulève­ment populaire contre le régime d’Al-Béchir. Et entreprendre des mesures rapides et raisonnables pour redresser l’économie ».

L’experte souligne que le nouveau gouvernement pour­rait par exemple relancer d’anciens projets déjà créés et qui avaient été suspendus par le régime d’Al-Béchir, comme les projets d’El-Jezirah, d’El-Kenana ou celui de l’exportation de la gomme arabique. Elle propose en outre d’intégrer des ressources nationales dans le budget général du Soudan, comme l’or et certaines zones pétro­lières contrôlées par les frères d’Al-Béchir. Et d’ajouter : « Le Soudan dispose de grandes possibilités qui n’ont pas été encore exploitées, notamment dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie alimentaire, de la pêche sur le Nil ou de la promotion touristique sur la mer Rouge ».

Pour traverser cette période d’instabilité, le Soudan a besoin « d’un soutien régional et international considé­rable », explique Al-Askari. Le Caire est donc appelé à soutenir l’Etat soudanais au niveau économique, explique Amani Al-Taweel, en ce qui concerne les projets reportés en lien avec l’électricité ou l’installation de boulangeries, et à lui fournir des aides urgentes pour remédier à la crise du pain et aux inondations, en plus des contacts avec les élites civiles dans les universités et les centres intellec­tuels. « La visite du premier ministre égyptien, Moustapha Madbouli, au Soudan est significative. Elle montre le soutien de l’Egypte au Soudan pour qu’il puisse traver­ser cette phase critique de son histoire et instaurer un régime civil et démocratique », conclut Al-Askari.

Qui est le nouveau premier ministre soudanais Abdallah Hamdok ?

Né à Kurdufan en 1956, Hamdok porte deux nationalités, soudanaise et britannique.

Il est titulaire d’un doctorat et d’une maîtrise d’art de la School of Economic Studies de l’Université de Manchester, Royaume-Uni, et d’un bac­calauréat en sciences de l’Université de Khartoum, au Soudan en 1970.

Il occupe le poste de haut responsable (1981-1987) au ministère des Finances et de la Planification économique du Soudan.

En 1995, il devient le conseiller technique principal à l’Organisation inter­nationale du travail au Zimbabwe.

En 1997, il occupe le poste d’économiste principal en politiques jusqu’en 2001 à la Banque africaine de développement en Côte d’Ivoire.

Après le coup d’Etat ayant mené Al-Béchir au pouvoir, il s’exile au Zimbabwe, où il travaille en tant que conseiller économique et administra­tif de 1993 à 1995 chez Deloitte & Touche de Management Consultants.

Entre 2003 et 2008, il occupe le poste de directeur régional pour l’Afrique et le Moyen-Orient auprès d’International IDEA.

Il travaille comme secrétaire exécutif adjoint à la Commission Economique pour l’Afrique à l’Organisation des Nations-Unies (CEA) de 2011 à 2018.

En septembre 2018, Hamdok décline en septembre 2018 le poste de ministre de l’Economie et des Finances sous le régime d’Al-Béchir et conserve ainsi son poste à la CEA.

En août 2019, il est choisi comme premier ministre du gouvernement transitoire par l’Alliance pour la liberté et le changement, principale coali­tion d’opposition.

Le 21 août 2019, Hamdok prête serment en tant que premier ministre du gouvernement de transition.

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