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Jérôme Baconin : L’Egypte montre son engagement à rétablir les grands équilibres macroéconomiques et financiers »

Névine Kamel, Mercredi, 31 juillet 2019

Jérôme Baconin, conseiller économique et chef du service économique de l’ambassade de France en République arabe d’Egypte, salue le progrès réalisé par le gouvernement égyptien et souligne l’importance des relations bilatérales entre l’Egypte et la France.

Jérôme Baconin

Al-Ahram Hebdo : Vous êtes arrivé en Egypte en sep­tembre 2016, à un moment où la situation économique était très difficile. Depuis, le gouver­nement égyptien a entrepris un pro­gramme de réformes. Comment éva­luez-vous la situation économique aujourd’hui ?

Jérôme Baconin: A l’instar du Fonds Monétaire International (FMI) qui a effectué il y a deux mois la dernière revue du programme mis en place en décembre 2016, je constate les énormes progrès réalisés par l’Egypte sur les plans économique et financier. Son cadre macroéconomique n’inspire plus d’inquiétude. Les efforts de consolida­tion des finances publiques ont été considérables et sont autant à mettre à l’actif du gouvernement égyptien, qui a mis en oeuvre des réformes difficiles et courageuses, qu’à celui du peuple égyptien lui-même qui a su comprendre l’importance de ces réformes et a su faire preuve de résilience pour en accepter les conséquences sociales. Quelques chiffres et exemples pour étayer ces compliments: le déficit public a été ramené de 12,5% en 2015-2016 à 9,8% en 2017-2018, et les pre­miers résultats de l’année fiscale en cours confirment cette tendance. Mieux encore, l’Egypte a dégagé l’année der­nière un excédent primaire de 0,2 % (c’est-à-dire hors prise en compte du service de la dette). Tant du côté de la réduction des dépenses, avec la sup­pression progressive des subventions aux carburants et à l’électricité, que du côté des recettes, avec l’introduction de nouvelles recettes fiscales comme la TVA en 2016, l’Egypte montre son engagement à mettre en oeuvre son programme et rétablir les grands équi­libres macroéconomiques et financiers. J’ajouterais aussi que l’Egypte a pu confirmer en 2019 son retour avec suc­cès sur les marchés financiers interna­tionaux avec deux nouvelles émissions d’eurobonds en dollars et en euros. Quant à la devise nationale, on la voit s’apprécier face au dollar. Bravo donc !

Pour autant, le gouvernement n’a pas oublié les plus vulnérables des Egyptiens, et les programmes de ciblage des bénéficiaires des subven­tions aux produits alimentaires de base ainsi que les allocations des pro­grammes Takafol wa Karama, pour ne citer que ceux-ci, sont des succès qui ont permis à ces populations de bénéfi­cier d’une protection sociale même renforcée. Je pourrais aussi citer les importantes réformes encore en cours de modernisation du secteur public de la santé, la mise en place progressive d’une assurance maladie universelle, la réforme de l’éducation, qui vise à la fois à moderniser les programmes et à faire entrer dans le XXIe siècle cette jeune population qui représente l’ave­nir du pays. Je sais l’importance de ces réformes.

Mais il faut poursuivre sur ce chemin pour aller jusqu’au bout des réformes et pour vaincre les fragilités. D’abord, la consolidation budgétaire doit être prolongée : il va falloir tenir l’effort dans la durée. L’inflation a certes connu une forte décrue: après avoir atteint à l’été 2017 un pic de 33%, elle est redescendue et se situait en avril 2019 à 14,1%. Mais depuis quelques mois, alors que les effets des hausses des prix de l’énergie et du change ont été absorbés, il semble que l’inflation ne parvienne pas à passer en dessous d’un certain seuil. Les prix des produits alimentaires, particulièrement des pro­duits frais, continuent régulièrement de porter l’inflation à la hausse, faisant preuve d’une grande volatilité. Ainsi, depuis septembre 2018, l’inflation n’a cessé d’osciller entre 12% et plus de 14 %, tantôt à la baisse, tantôt à la hausse. Cela appelle une poursuite résolue des politiques anti-inflation­nistes. Autre point de vigilance: les Investissements Directs Etrangers (IDE) sont à la baisse cette année, comme si une fois, les investissements dans le secteur de l’explo­ration-prospection gazière effectués, les investisseurs hésitaient encore à choisir l’Egypte comme destina­tion. A noter que l’indice PMI qui mesure la confiance et la vitalité de l’économie réelle, celle productrice d’emplois et de richesse, reste négatif. Il est à mon sens important de poursuivre, voire d’in­tensifier les mesures propres à créer un environnement des affaires propice en Egypte, ce qui permettra aux investis­seurs de trouver naturellement le che­min de l’Egypte.

— L’amélioration des indices éco­nomiques dans le pays a-t-elle envoyé un message de confiance aux entre­prises françaises? Ces dernières ont-elles des plans d’expansion en Egypte ?

— La visite du président de la République, Emmanuel Macron, le 28 janvier dernier, a été un événement marquant dans notre relation bilatérale. On n’a pas assez dit que lors de cette visite, 37 accords économiques ont été signés, dont 33 ont impliqué directe­ment des entreprises françaises. Mais plus que le nombre de ces accords, ce que je relève c’est que la plupart de ces accords ont initié de nouveaux courants d’affaires entre les entreprises fran­çaises et l’Egypte ou ont concrétisé des partenariats porteurs d’avenir. Par contre, ces accords ont été les pre­mières briques pour construire l’avenir de notre relation économique; une relation économique fondée avant tout sur l’action directe de nos entreprises installées en Egypte, créa­trice d’emplois (au moins 50 000 emplois directs) et de richesse en Egypte.

Ainsi, dans le secteur de la ville connectée, on peut citer l’accord signé entre Schneider Electric et le promoteur Tatweer Misr pour le développe­ment de compounds connectés. Dans celui de l’énergie, la lettre d’in­tention signée entre EDF et la société de projet de la Nouvelle Capitale pour engager une négociation pour gérer et opérer le réseau de distribution élec­trique de la Nouvelle Capitale ou l’ac­cord signé entre le fonds Al-Ahly Capital et EDF pour la création et le financement d’une société de services énergétiques en vue de réaliser et financer des projets d’efficacité éner­gétique. Le secteur de la santé, priorité de l’Egypte, a vu Sanofi (et Sanofi Pasteur) conclure plusieurs accords : l’un pour établir une coopération dans le domaine des vaccins, l’autre avec le ministère de la Santé pour la produc­tion de médicaments anticancéreux et l’assistance à la mise en place de ser­vices d’urgence. L’économie digitale a vu IDEMIA (identité numérique) et Famoco (solutions innovantes pour les paiements) conclure plusieurs accords, suite directe d’une mission conduite par le MEDEF en mars 2018. Dans l’habitat durable, Cerway a pu signer un accord avec l’assureur public Misr Insurance pour travailler ensemble sur un label s’inspirant du label HQE dans le cadre du programme de rénovation du parc immobilier historique du Caire khédival. Enfin, le secteur de la protec­tion de l’environnement a vu la PME Efinor entrer en négociation directe avec l’Autorité du Canal de Suez pour la vente de bateaux dépollueurs. Il s’agit bien dans tous ces cas d’investir des secteurs nouveaux et prometteurs identifiés depuis deux ans.

Jérôme Baconin
Forum franco-égyptien de la santé, tenu l'hiver dernier.

De même, plusieurs investissements ont pu être annoncés à cette occasion : AXA dans le secteur de la santé a pu lancer, avec le ministère de la Santé, son programme pluri-annuel d’inves­tissement dans un réseau de polycli­niques (50 millions d’euros), ENGIE a pu confirmer son projet de parc éolien devant générer un investisse­ment de 400 millions d’euros, la PME ECOSLOPS a pu formaliser avec la zone économique du Canal de Suez la première phase de son projet d’inves­tissement de collecte et recyclage des résidus de carburants de navires pour un montant cible final de 50 millions d’euros, de même qu’Orange a pu lancer plusieurs opérations d’investis­sements (transfert d’un centre d’appel à Assiout, production d’électricité pour ses besoins propres) et que le groupe SEB a pu officialiser sa fusion avec son partenaire local devant géné­rer 30 millions d’euros d’investisse­ments pour augmenter ses capacités de production. Quelques jours aupara­vant, Lactalis-Halawa avait conclu un investissement de 50 millions d’euros pour renforcer ses capacités de pro­duction en Egypte.

Enfin, l’ancrage dans le tissu social et le soutien à l’innovation ont fait l’objet de deux séries d’accords. Les uns s’inscrivant dans la politique de Responsabilité Sociale des Entreprises avec le ministère de la Solidarité sociale : Crédit Agricole et Orange (inclusion financière), Schneider Electric (production d’électricité pour des villages reculés), L’Oréal (forma­tion et promotion du travail des femmes), tandis que d’autres avec le ministère des Télécommunications et des Technologies de l’information et celui de l’Enseignement supérieur visaient au renforcement des capaci­tés et des compétences et à la promo­tion de la recherche (Valéo et Téléperformance).

Comme vous le voyez, nous avons voulu avant tout mettre à l’honneur les entreprises lors de cette impor­tante visite présidentielle. De même, nous avons procédé à un recensement des investissements réalisés par les entreprises françaises en Egypte entre 2016 et 2019, c’est-à-dire durant la crise.

Il s’avère que même durant la crise, les entreprises françaises n’ont jamais perdu confiance en l’avenir de l’Egypte: 2,5 milliards d’euros au moins ont été inves­tis en Egypte par les entreprises fran­çaises durant cette période, le plus sou­vent, pour augmenter ou moderniser leurs capacités de production.

— Quels sont les domaines d’intérêt des entreprises françaises? Quels sec­teurs prioritaires identifiez-vous ?

— La présence des entreprises fran­çaises en Egypte est très diversifiée. Pour ce qui nous concerne, nous avons identi­fié pour les mois à venir plusieurs priori­tés, mais il ne s’agit pas là d’une liste exhaustive :

La Ville durable: du 4 au 6 juin 2020 se tiendra à Bordeaux le Sommet Afrique-France, qui regroupera les chefs d’Etat de toute l’Afrique avec le prési­dent Macron. Ce sera un moment très fort de notre relation privilégiée avec le conti­nent africain. Cette année, le thème du sommet sera la Ville durable en Afrique. Une grande exposition présentant les solutions innovantes proposées par les entreprises françaises pour la ville durable en Afrique, et les projets inno­vants à effets démonstrateurs réalisés par les villes, entreprises et pays afri­cains seront mis à l’honneur. Il y aura, je l’espère, plusieurs stands consacrés à l’Egypte. L’Egypte aura une occasion unique de promouvoir ses réalisations et solutions pour la ville durable. Nous allons donc cette année réinvestir avec nos entreprises ce secteur (eau, déchet, transports urbains, nouvelles mobilités, énergie propre, ville intelligente et connectée, matériaux durables).

La santé continuera d’être un secteur auquel nous nous intéresserons. Avec Al-Ahram Hebdo et les entreprises françaises du Groupe Santé, nous avi­ons organisé une grand Forum écono­mique de la santé en novembre 2018, et une délégation du MEDEF était venue à cette occasion. Les réformes impor­tantes que mène le pays justifient que nous continuons à nous intéresser à ce secteur. Nos entreprises sont déjà très actives dans ce secteur, mais il y a encore beaucoup à y faire: pharmacie, numéri­sation, développement des cliniques pri­vées, assurance-santé complémentaire, etc.

Economie numérique et start-up: l’écosys­tème des start-up égyp­tiennes, particulière­ment dans le digital, fait preuve d’une vitalité étonnante. Le pays par ailleurs a une politique ambitieuse de dévelop­pement d’une économie numérique, avec des projets dans la smart city, dans la Fin Tech, dans l’inclusion finan­cière, dans les solutions cashless, etc. Les entreprises françaises connaissent de beaux succès en Egypte, que ce soit Orange avec son Orange Money, que ce soit Crédit Agricole très impliquée dans les projets de banque digitale et d’inclusion financière, Schneider Electric, Orange ou Thalès dans les projets de Smart City, Idemia sur l’identité numérique sécurisée, Surys sur la sécurisation des moyens de paiement, Famoco sur les moyens de paiement innovants, Ingenico sur les terminaux de paie­ment, Sagemcom sur les compteurs intelligents, Valéo sur la R&D en matière de software pour véhicules automobiles, etc. Nous avons signé une lettre d’intention avec le ministère des Télécommunications et des Technologies de l’in­formation lors de la visite du président de la République. C’est pour­quoi nous avons eu l’idée de lancer très prochainement, avec les entreprises fran­çaises qui veulent soutenir l’éclosion et le développement des start-up du numé­rique en Egypte, un concours destiné à primer les meilleurs projets de start-up égyptiennes dans le domaine de l’e-santé, de la Fin Tech et de la Ville durable. Affaire à suivre.

Je cite enfin un dernier secteur: celui des transports, pas pour parler du métro, même si nous continuons à nous y inté­resser, mais plutôt pour évoquer le sec­teur ferroviaire. Comme tous les Egyptiens, nous avons été profondé­ment choqués par l’accident survenu en février à la gare Ramsès. Nous voulons accompagner le gouvernement égyptien et les ENR dans les projets de moderni­sation et sécurisation du secteur ferro­viaire. Nous avons donc décidé de financer sur don un audit de sécurité de deux lignes ferroviaires avec notre opé­rateur national, la SNCF. Par ailleurs, nous sommes prêts à nous engager dans les projets à venir dans ce secteur fon­damental.

— Quels sont les problèmes que ren­contrent principalement les investis­seurs français en ce moment ?

— Avant de parler des problèmes, évo­quons plutôt ce qui va bien: les entre­prises françaises sont contentes d’être en Egypte. Elles s’y développent très bien. Mais elles nous disent encore qu’elles pourraient faire beaucoup mieux, et ainsi encore plus contribuer au développement de l’Egypte, si elles n’étaient pas confrontées régulière­ment aux lourdeurs de l’administra­tion, particulièrement celles des douanes et des autorités fiscales. A cet égard, je voudrais en profiter pour remercier le ministre des Finances, M. Maeit, qui a réuni un groupe d’entre­prises avec ses directeurs des douanes et du fisc, pour trouver des solutions rapidement à leurs problèmes. Je vou­drais aussi remercier le GAFI, et tout particulièrement la personne qui y suit les relations avec les entreprises fran­çaises, qui se dépense sans compter pour les aider à résoudre leurs pro­blèmes .

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