Les Français qui vivent en Egypte ne sont pas uniquement diplomates ou hauts fonctionnaires. Il y en a quelques-uns qui ont choisi de connaître la Vallée du Nil autrement, pour lui offrir leur vie, leur savoir et leur mission en faveur des petites gens.
Frère Jean-Claude fait partie de ces hommes-là. Il est le 5e d’une famille nombreuse composée de 6 garçons. Il passe son enfance à Mars-sur-Allier (centre de la France) et ses parents lui donnent une éducation catholique au Collège des Frères des Ecoles Chrétiennes. « Il y avait un Frère à cette école-là qui m’a profondément marqué. Il était très dynamique et complètement engagé dans les activités humaines et sociales des jeunes. Il m’a inspiré à être comme lui, religieux, animateur d’activités religieuses et sociales ». Jean-Claude Hérault est intéressé par ceux qui sont à part, ceux que l’on appelle « marginalisés ». Il veut les aider, et donc, il fallait qu’il quitte sa région et qu’il s’engage dans le district de sa congrégation religieuse, Besançon, qui lui donnera la riche possibilité de vivre ce qu’il aimerait faire de sa vie. En d’autres termes, la mission pour laquelle il fut créé. Il entre dans le noviciat des Frères à Angers pendant deux ans, puis poursuit sa formation au « scolasticat » de Lyon, c’est-à-dire pour des études pédagogiques et sociales nécessaires à son travail dans les écoles et dans l’éducation, d’une manière générale.
En fait, le jeune Jean-Claude avait choisi un ordre religieux consacré essentiellement à l’éducation des jeunes garçons, surtout ceux émanant de milieux défavorisés. Fondée à Reims (commune française qui se situe dans le département de la Marne) en 1680 par Jean-Baptiste de La Salle, cette congrégation, qui a aujourd’hui à son compte quelque 3700 consacrés, est vouée à l’enseignement et à la formation des jeunes, en particulier des plus désavantagés. C’est ce que voulait le fondateur lui-même, mais aussi ce que voulait Jean-Claude: adhérer à un ordre laïque masculin à voeux simples. Il termine ses études, puis quand vient le temps du service militaire, il opte pour la coopération, pendant deux années en dehors de la France. « J’avais demandé à aller dans des pays africains comme le Madagascar ou le Burkina, mais je n’avais pas demandé l’Egypte. Ensuite, j’ai su que les Frères d’Egypte avaient demandé des volontaires pour les aider dans l’enseignement et j’ai finalement accepté ».
Arrivé en Egypte en 1971, Jean-Claude s’installe dans le collège des Frères de Khoronfich (artère principale entre les quartiers cairotes de Bab Al-Chaariya et de Gamaliya), la plus ancienne fondation des Frères en Egypte. « Dès la création de notre école dans ce quartier, nous étions ouverts sur le milieu. On allait parfois chez les gens leur installer l’électricité, nos institutrices donnaient des cours de coupe et de couture aux femmes, on assistait les jeunes et nous les encouragions à nettoyer leurs rues. Nous nous trouvions dans un quartier pauvre et il fallait que nous travaillions ensemble pour un avenir meilleur ».
Donc, Jean-Claude a enseigné la langue française pendant ses deux ans de coopération. Et c’est par hasard qu’il rencontre des employés dans des agences de développement. « De tout ce qu’ils me racontaient, je sentais qu’il existait une autre Egypte dont je ne savais rien et que je voulais connaître plus ». Mais voilà qu’il rentre en France après les deux ans de coopération.
Quelques années plus tard, les Frères d’Egypte lancent un appel aux Frères du monde pour faire venir quelques-uns en Egypte, et « je m’y suis tout de suite présenté. C’était en 1976 ». Il part ensuite en tant que Frère, avec un contrat d’une durée déterminée de trois ans. On lui propose de passer un an dans un village de Haute-Egypte, il accepte. Pour Jean-Claude, cela représentait une excellente occasion pour découvrir les traditions de cette autre Egypte, pour travailler et apprendre la langue arabe dans un endroit qui ne parle que l’arabe. Il retourne au Collège des Frères de Daher où il enseigne le français au cycle préparatoire. « Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose à côté. J’ai contacté soeur Emmanuelle qui travaillait avec les chiffonniers de la banlieue de Moqattam. Elle voulait quelqu’un pour former humainement et socialement une équipe de jeunes pour qu’ils deviennent leaders de l’action sociale qui avait lieu dans ce quartier des chiffonniers. Elle me l’a demandé et j’ai été heureux d’accepter ». Pour lui, les activités avec les jeunes ont une base commune, quel que soit leur milieu. « Leur apprendre à réfléchir sur eux-mêmes et sur leur milieu, pour les rendre meilleurs », ajoute-t-il.
Au début des années 1980, les Frères d’Egypte se rassemblent pour un chapitre, une espèce de temps fort de réflexion qui concerne leur mission en Egypte, suite auquel ils décident de sortir des grands collèges cairotes ou alexandrins pour se rendre en milieu rural et s’y engager.
Or en 1984, l’Association de la Haute-Egypte pour l’éducation et le développement, une ONG égyptienne travaillant pour les plus pauvres, décide d’ouvrir la première école préparatoire du village de Bayadiya, un village démuni près de Mallaoui, à 290 km au sud du Caire et au bord du Nil, possédant un fort taux d’analphabétisme. Elle fait appel à la congrégation lassalienne pour la diriger et l’animer. C’est ainsi que la première communauté de Frères est née en Haute-Egypte. Jean-Claude s’y est présenté, il connaissait déjà le village, mais s’y est engagé pendant dix ans seulement. « Comme tous les êtres humains, on a besoin de temps en temps de changer et de rencontrer des gens différents, ou qui raisonnent de la même manière et avec lesquels on peut se retrouver ».
A son arrivée, le Frère est atteint d’une jaunisse qui l’oblige à quitter le village de son choix, pour un repos de trois mois. Peu de temps après leur installation dans le village, les Frères, dont Jean-Claude Hérault, avaient pris en charge, outre l’instruction et l’éducation à la nouvelle école, les activités du secteur de l’alphabétisation, en étroite collaboration avec l’Association. Les cours étaient donnés en soirée, quatre jours par semaine pendant deux heures environ, avec l’aide des moniteurs du village.
La méthode d’apprentissage était largement inspirée de la méthode de l’éducateur et philosophe brésilien Paulo Freire, appliquée d’abord en Amérique latine. Elle insiste sur le développement des centres d’intérêt, la réflexion et le dialogue. Les cours étaient donnés par les moniteurs.
Au-delà de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, c’est toute une formation humaine qui se réalisait. Cette formation se voulait aussi sociale et culturelle. « Grâce à ces cours, j’ai eu la possibilité de beaucoup progresser moi-même en langue arabe », dit-il fièrement.
Donc, le but du séjour à Bayadiya était de travailler à l’école préparatoire de l’Association et d’unifier tous les efforts en faveur du développement du village dans les domaines de l’éducation, de l’alphabétisation, de la formation des jeunes, de l’émancipation de la femme et des services médico-sociaux. « On voulait faire ce travail de développement avec l’Association et on n’était propriétaires de rien, ni même de notre maison. Et cela était une chose excellente». Et d’ajouter: « On tenait des rencontres régulières avec tous les responsables locaux, toutes confessions et rites confondus ».
Prévoir 10 ans au village de Bayadiya n’était pas manifeste. La mission s’est prolongée et a duré 13 ans… suite auxquels Jean-Claude Hérault se rend à Nazareth, en 1994, dans une communauté religieuse qui se chargeait des jeunes Arabes qui avaient des problèmes de justice avec les autorités israéliennes. Un deuxième séjour en Terre Sainte, mais cette fois-ci à Jérusalem, a commencé aussitôt qu’il a quitté Nazareth, pour enseigner le français au Collège des Frères à la Ville Sainte. « Cela n’a pas été facile cette fois-ci parce que le français était la quatrième langue, après l’arabe, l’hébreu et l’anglais. C’était l’époque aussi de la première Intifada palestinienne et le climat général était très tendu et très politisé ». Une nouvelle offre de travail se présente à lui au Liban, de 2000 à 2003, d’abord à Beyrouth, puis dans un quartier défavorisé, Borj Hamoud, pendant 10 autres années, où on lui demande d’enseigner la langue française. Jean-Claude l’accepte mais y ajoute un engagement avec la Fondation Foi et Lumière de Jean Vanier.
« En 2016, je sentais que j’avais besoin d’une année sabbatique pour renouveler mon énergie physique, morale et spirituelle. Et j’ai choisi le Kenya. J’ai vécu à Nairobi dans la maison de formation avec des Mozambicains, des Ethiopiens, des Nigérians, des Malgaches et des Rwandais. Un mélange très captivant et intéressant qui m’a rendu vraiment heureux ». Jean-Claude Hérault a aussi profité de l’occasion pour approfondir sa langue anglaise.
Et de poursuivre: « J’ai beaucoup aimé mon parcours dans les différents pays arabes. Je ne pourrais jamais oublier mon expérience à Borj Hamoud, la fameuse banlieue de Beyrouth. Je ne pourrais pas non plus oublier mes premières années à Bayadiya, ni le travail que l’on avait fait avec les responsables sociaux du village. On était vraiment unis pour le bien des habitants du village. Et en Haute-Egypte, il y a un niveau de maturité qui n’existe pas dans certains milieux cairotes ».
Pour lui, le développement c’est aider les gens à réfléchir, à avoir un esprit un peu critique mais dans le bon sens. « Nous, en tant que Frères des Ecoles Chrétiennes, nous ne voulons pas créer des révolutionnaires, mais des gens qui prennent position et qui sachent exprimer leur opinion », conclut-il l
Jalons :
1947 : Naissance à Neuvers, au centre de la France.
1965 : Obtention du bac (Angers) et entrée au noviciat des Frères des Ecoles Chrétiennes.
1971 : Arrivée en Egypte, à 24 ans.
1984 : Installation dans le village de Bayadiya, au gouvernorat de Minya.
1994-1998 : Séjour à Nazareth.
1998 : Séjour à Jérusalem.
2000-2016 : Séjour au Liban.
2016 : Séjour à Nairobi.
Août 2018 : Retour en Egypte et installation à l’école des Frères de Khoronfich.
Lien court: