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Le détroit de la discorde

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 30 juillet 2019

Un plan russe, un autre américain, un troisième européen ... Plusieurs initiatives prévoyant la mise en place d’une force de protection internationale pour sécuriser la navigation dans le détroit d’Ormuz sont mises sur la table. Toutes risquent cependant d’exaspérer davantage les tensions.

Le détroit de la discorde

« Le détroit d’Ormuz pourrait constituer une zone à risque élevé pour la navigation et la sécurité des gens de mer », a averti Nautilus International, l’Union internationale des professionnels de la mer basée au Royaume-Uni. Cet avertissement intervient à la suite de la saisie du pétrolier britannique Stena Impero, le 19 juillet dans le détroit d’Ormuz, par les Gardiens de la révolution. Alors que le navire britannique est toujours détenu dans le port iranien de Bandar Abbas, le HMS Duncan, ce destroyer de type 45, est arrivé dans le Golfe, samedi 27 juillet, pour accompagner les navires britanniques dans le détroit d’Ormuz « soit individuellement, soit en groupes afin de les protéger des menaces iraniennes », selon le nouveau gouvernement britannique.

Si les tensions dans le Golfe ont atteint leur paroxysme depuis la suppression des exemptions à la vente du pétrole iranien par les Etats-Unis début mai 2019, elles sont en fait là depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire en mai 2018. L’Iran est accusé de commettre une série d’actes de sabotage ou d’attaques ayant visé, depuis mai, 6 navires de part et d’autre du détroit d’Ormuz, dans le golfe ou en mer d’Oman. (voir chronologie). Face à un état de fait, sécuriser la navigation dans ce couloir stratégique par lequel transitent 30 % du pétrole mondial devient un défi majeur pour que le flux pétrolier puisse continuer toujours de s’écouler. Du coup, plusieurs initiatives ont été mises sur la table : Opération américaine « Sentinelle », « mission de protection européenne » et projet de la « Sécurité collective », proposé par la Russie. Toutes prévoient la mise en place d’une force de protection internationale dans le détroit d’Ormuz. Mais imposer une protection internationale au détroit mènera-t-il à désamorcer la crise ou à aller vers plus d’escalade ? « Le fait d’internationaliser la question ne résout jamais les conflits. Au contraire, le renforcement de la présence militaire américaine et occidentale dans la région du Golfe pourrait compliquer encore davantage la situation. Surtout que Téhéran, après la saisie de tanker britannique, semble changer de tactique et opter pour la stratégie de l’escalade », répond le politologue Ahmad Youssef. Et d’ajouter : « Rejoindre cette force signifie explicitement que ces pays font partie de la campagne de pression maximale de Trump contre l’Iran. Ainsi, tout acte mal calculé pourrait entraîner la région dans un conflit ouvert ». Le président iranien, Hassan Rohani, a en effet averti : « Nous sommes le plus grand agent de la sécurité maritime dans le Golfe ... La présence de forces étrangères n’aidera pas à assurer la sécurité de la région et sera la principale source de tensions ».

Mais que signifient ces trois initiatives ? Et de quoi s’agit-il exactement ? La première a été présentée par Washington lors de la réunion des ministres de la Défense de l’Otan à Bruxelles le 27 juin. Baptisée « Sentinelle », l’opération américaine prévoit la formation d’une coalition internationale, impliquant les principaux pays européens dotés de puissantes flottes navales tels les Pays-Bas, la Grèce, la Grande-Bretagne et d’autres. Les pays asiatiques qui dépendent du pétrole du Golfe, tels la Chine, le Japon, la Corée du Sud et l’Inde, sont encore invités à participer à cette coalition. Quant aux pays producteurs de pétrole du Golfe, eux, ils devraient fournir les fonds nécessaires au financement de cette force. La deuxième a été présentée par Jeremy Hunt, ancien ministre britannique des Affaires étrangères, quelques jours avant le changement du gouvernement de Theresa May, qui a proposé une mission navale européenne conjointe dans le Golfe. Jusqu’à présent, la France, l’Italie et le Danemark ont soutenu en principe le projet britannique, alors que l’Allemagne a déclaré être prête à joindre la mission navale, mais sous condition d’avoir un caractère « purement européen ». Quant à l’initiative russe, Moscou a publié un document détaillant les principaux points de son « plan de sécurité collective ». « Transparence militaire mutuelle, dialogue conforme aux doctrines militaires actuellement en place, contrôle accru des forces et des stratégies militaires étrangères … », indique le document.

Trois plans voués à l’échec

Or, selon Sameh Rached, spécialiste des affaires régionales à Al-Ahram, de telles initiatives sont vouées à l’échec. « Le manque de coordination entre les deux projets américain et européen, consacrés à la protection des pétroliers, est une preuve suffisante de leur échec préalable, puisque c’est une tâche qui nécessite au premier lieu une action collective. En outre, il reflète une fois de plus la division américano-européenne concernant la gestion de la crise iranienne ». Selon le spécialiste, les déclarations de Trump ne sont pas toujours prises au sérieux. « Comment pourrait-il intervenir comme un sauveur alors qu’il vient de déclarer que Washington n’est plus le policier du Golfe », dit-il, avant d’ajouter : « L’initiative américaine n’est qu’un show médiatique, alors que les positions déclarées par l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne démontrent leur incapacité à aboutir à une position unifiée. Sans ce trio, aucune démarche européenne ne saurait être envisagée ».

Quant à la vision russe, elle risque le même sort, comme l’explique Rached, puisqu'aucune partie, ni l’Iran, ni les Etats-Unis, ni les pays du Golfe n’acceptera la création de ce soi-disant un « conseil mondial pour la gestion de la région du Golfe ». « La Russie est consciente que la tension actuelle n’est que temporaire. C’est pourquoi elle tente de lui forger une place dans l’équation de la sécurité du Golfe restreinte aux Occidentaux », explique-t-il.

Avis partagé par Ahmad Qandil, spécialistes des affaires internationales, (voir entretien page 9), qui pense que le plan russe constitue un risque stratégique pour la stabilité du Golfe puisqu’il « ignore le rôle déstabilisateur de l’Iran dans la région », précise Qandil, avant de conclure : « Il faut mettre autant que possible la région du Golfe à l’écart de tout conflit d’intérêt entre les Russes et les Occidentaux ».

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