«
Le département général des passeports, de l’immigration et de la nationalité n’est plus là. Le nouveau siège se trouve au sein de l’ancienne Académie de police à Abbassiya. Prenez le métro, direction Adly Mansour. Faites demi-tour par là ». Telle est la phrase que répète à longueur de journée l’un des gardiens du Mogammae aux centaines de visiteurs qui affluent vers cet immense complexe administratif. Devant les ascenseurs, les files d’attente persistent, mais les escaliers sont moins encombrés, car les deux premiers étages du bâtiment ont été finalement évacués après le transfert du département des passeports et de l’immigration, depuis le 1er juillet, dans un nouveau bâtiment dans le quartier de Abbassiya (voir reportage). Formé de 14 étages, le Mogammae renferme environ 25 000 fonctionnaires qui sont répartis dans quelque 1 365 bureaux destinés à accueillir entre 20 000 et 25 000 visiteurs par jour.
En fait, ce transfert fait partie d’un vaste projet pour valoriser le centre-ville khédivial. Dans ce quartier à l’urbanisme européen, l’architecture arabe du Mogammae est très distinguée. Depuis 2000, l’idée de transférer les services rassemblés dans le Mogammae, afin de décongestionner le centre-ville, a été maintes fois lancée par les gouvernements successifs, sans pour autant être concrétisée. Finalement, le 4 juillet 2016, le gouvernorat du Caire a annoncé le début du processus de l’évacuation du complexe qui devait prendre fin avant le 30 juin 2017. En parallèle, un comité technique composé de représentants de différents ministères a été formé pour étudier quelle sera la nouvelle vocation du bâtiment. Pourtant, la date limite (2017) a été déjà dépassée, et beaucoup de services gouvernementaux restent toujours sur place.
Problème d’alternatives
« La pression sur le Mogammae s’est atténuée après le départ du département des passeports. Vider le complexe se fait d’une manière progressive », affirme Khaled Moustapha, directeur du bureau de communication du gouvernorat du Caire. Mais pourquoi l’évacuation totale a-t-elle été retardée ? « Au départ, on a commencé par le transfert des bureaux dépendant du gouvernorat du Caire, en appelant les ministères à transférer, en parallèle, leurs différentes fonctions dans leurs ministères respectifs ou dans des locaux loin du centre-ville », précise Moustapha.
Où déménager ? Tel est le défi majeur qui ralentit le processus, comme le dévoile Moustapha. « Trouver une alternative n’est pas une tâche facile. Si le transfert des bureaux du ministère de l’Education dans des écoles s’est vite déroulé, celui du département des passeports a dû rester plus de 3 ans, depuis la promulgation du décret, avant de se doter d’un nouveau siège à Abbassiya », explique Moustapha qui ajoute que le déménagement représente aussi « un fardeau pour les fonctionnaires ». La plupart d’entre eux ne veulent pas s’éloigner du centre-ville où de nombreux moyens de transport publics sont accessibles.
Mohamad Abdel-Baqi, président du Centre des études de planification et d’architecture, pense qu’après le départ du département des passeports, les démarches d’exécution du plan d’évacuation du Mogammae deviennent plus sérieuses, notamment avec l’approche de l’inauguration de la Capitale administrative en 2020. « Il faut prendre une décision courageuse pour accomplir ce processus », précise Abdel-Baqi.
Objectif : La décentralisation
« Le Mogammae doit changer de vocation. L’enjeu est aujourd’hui différent. Nous sommes à l’époque de la digitalisation des services gouvernementaux », précise Mohamed Yéhia, rédacteur en chef de Mantekty, une revue qui se définit comme « la voix du centre-ville ». Yéhia propose de déloger du Mogammae, du moins pour le moment, tous les services que les citoyens peuvent obtenir directement en ligne.
En fait, l’idée pour un bâtiment administratif centralisé a émergé en 1951, quand le roi Farouq a chargé l’architecte égyptien Mohamad Kamal Ismaïl de construire le Mogammae pour regrouper en un seul endroit tous les services gouvernementaux. A l’époque, la création d’un tel bâtiment reflète « le modernisme dans la pensée de la gestion de l’appareil administratif égyptien », précise Yéhia.
« Il est tellement prestigieux d’occuper une fonction dans le Mogammae. Celui qui travaille dans cet édifice doit être tiré à quatre épingles. Il va s’asseoir dans un bureau indépendant ou avec, au maximum, un ou deux collègues. Les plantons portent une veste blanche et un pantalon noir, alors que les nettoyeurs sont vêtus d’uniformes jaunes », écrivait alors l’écrivain Ahmed Farhoud, décrivant le paysage de l’inauguration en 1951. Devenu opérationnel après la Révolution de Juillet 1952, le Mogammae représente aujourd’hui « l’énorme symbole de la bureaucratie égyptienne », comme le décrit l’historien Gamal Hamdan.
Une nouvelle vocation toujours inconnue
Qu’en faire après l’avoir vidé ? Telle est la deuxième question qui s’impose. Hôtel, centre culturel, musée ou autre, quelle est la réutilisation optimale future de ce bâtiment ? Certains pensent qu’il est encore tôt d’en décider ; pourtant, cette question fait toujours l’objet d’un vif débat. « Beaucoup d’études ont été effectuées sans pour autant qu’elles puissent trancher la nouvelle vocation du Mogammae », explique Abdel-Baqi. Si pour Salah Zaki, professeur d’architecture à l’Université d’Al-Azhar, la solution est d’organiser un concours d’architectes international en quête « des projets innovants », pour Soheir Hawas, urbaniste, transformer le Mogammae en un grand hôtel figure parmi les propositions suggérées pour décongestionner le centre-ville, mais qui nécessite d’abord « d’effectuer des études approfondies concernant le trafic et le parking et d’augmenter les points d’entrée et de sortie de cet immeuble » (voir page 5). Yéhia Shawkat, urbaniste, pense que le Mogammae, en tant que bien public, doit offrir toujours des services publics ; musée, bibliothèque ou activités culturelles. Et ce, afin « de conserver l’identité culturelle et historique non seulement de cet immeuble, mais aussi de toute la région du centre-ville », conclut Shawkat.
Lien court: