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Assurance santé : Premiers pas d’une réforme inédite

Aliaa Al-Korachi et Ola Hamdi, Mardi, 30 juillet 2019

La phase expérimentale du nouveau système d'assurance-maladie globale a été lancée le 1er juillet à Port-Saïd. Ce mécanisme, qui devra être généralisé dans l’ensemble du pays d’ici 2032, devra révolutionner le système de santé. Reportage.

Assurance santé : Premiers pas d’une réforme inédite
(Photo : Hachem Aboul-Amayem)

Portant le logo d’une fleur de lotus, des dizaines de pancartes sont visibles dans les rues de la ville de Port-Saïd, invitant les citoyens à s’inscrire au nouveau système d’assurance-maladie globale. Le coup d’envoi de la première phase de ce système a été donné le 1er juillet, à Port-Saïd, à titre expérimental, pour deux mois avant d’être appliquée officiellement le 1er septembre dans d’autres gouvernorats : Suez, Ismaïliya, Nord-Sinaï, Sud-Sinaï. D’ici 2032, ce nouveau système d’assurance devra être généralisé à tout le pays, après 6 phases d’application (voir fiche). Les établissements médicaux de Port-Saïd font peau neuve. En faisant le tour de cette petite ville du canal, il est facile de les détecter par l’éclat de leurs façades métalliques fraîchement renouvelées. Huit hôpitaux et 20 dispensaires sur les 35 répartis dans tout le gouvernorat sont entrés en service pour offrir des soins de santé pour environ 93 000 citoyens. A Al-Arab, l’un des plus anciens quartiers de Port-Saïd, le Centre médical de Koweït ouvre ses portes dès 8h jusqu’à 20h. A l’intérieur, les locaux ont été entièrement réaménagés et rénovés. Dans les espaces d’attente, les patients détiennent chacun un ticket et suivent attentivement les numéros qui succèdent sur le moniteur installé au centre de la salle. Ils attendent leur tour afin d’entamer les étapes du processus d’inscription pour intégrer le nouveau système, défini comme étant « un système obligatoire qui offre un accès global aux soins de santé, pour tous les Egyptiens partout et tout le temps ».

« S’agit-il vraiment de la fin de mes va-et-vient de Port-Saïd à Mansoura ou au Caire à la recherche des médecins dans des spécialités qui se font rares dans les hôpitaux de cette ville ? Est-ce la fin des queues interminables devant les guichets de distribution des médicaments qui manquent toujours ? », s’interroge Hassan, un employé atteint d’une maladie pulmonaire chronique. Ibrahim, son ami, comptable, affichant un optimisme prudent, voit d’un bon oeil cette dynamique qui bat son plein dans ce centre qui était auparavant, selon lui, un lieu encombré et dont le rôle se limitait à donner des vaccins ou des anti-inflammatoires aux patients. « Aujourd’hui, ce centre renferme de nombreux cabinets médicaux tels que pédiatrie, radiologie, chirurgie dentaire et d’autres », dit-il.

Les dispensaires qui offrent des soins primaires constituent « le Gate Keeper » ou la porte d’entrée du nouveau système d’assurance santé comme l’explique Racha Mamdouh, directrice de ce centre. « La philosophie de ce système est basée sur la famille et non pas l’individu, comme c’était le cas avec l’ancien système d’assurance », dit Racha, avant d’ajouter : « Ce principe permet de couvrir obligatoirement toute la famille, même les chômeurs, puisque, selon la loi, le chef de famille doit verser en complément de sa cotisation 3 % de son salaire pour assurer une couverture médicale à sa femme si elle ne travaille pas et 1 % pour chaque enfant ».

Introduire le concept de médecin de famille

« Le médecin de famille » est une autre nouveauté du système. Cette spécialité, plutôt rare en Egypte, est « le pilier » de ces dispensaires. « Le médecin de famille assure la provision de 80 % des soins de santé : diagnostic médical, traitement et suivi. La prescription de ce généraliste est indispensable pour accéder à un spécialiste », précise Racha.

Assurance santé : Premiers pas d’une réforme inédite
Les patients attendent leur tour afin d'intégrer le nouveau système. (Photo : Mohamad Hassanein)

Pour intégrer au nouveau système, le citoyen doit se rendre avec sa famille au centre de médecine familiale le plus proche de sa résidence pour être tous soumis à des examens médicaux approfondis. « Une fois les tests terminés, un dossier médical est ouvert renfermant des renseignements personnels ainsi que les informations qui concernent l’histoire de santé, les soins et les médicaments qu’ils prennent jusqu’à ce moment. Ce dossier médical sera enregistré dans une base de données électronique des patients, qui sera prochainement activée. Ce qui facilite la connexion entre les centres médicaux et les autres services offerts par les hôpitaux, les pharmacies, les laboratoires et la radioactivité. Et de suivre la situation des patients, peu importe le lieu où ils se trouvent ».

Dans le cabinet médical, Rim, jeune médecin de famille, explique à chaque patient le fonctionnement du système d’admission à l’hôpital : « Vous vous adresserez toujours en premier lieu au médecin de famille, qui va définir avec vous la suite du traitement et vous orientera, si nécessaire, vers un spécialiste ou à un hôpital ». « Le modèle médecin de famille est inspiré par le système de santé britannique NHS », explique Rim. Ce jeune médecin de 30 ans faisait partie de la première délégation de 32 médecins, envoyée en avril en Angleterre pour suivre des formations sur la médecine familiale. Selon des estimations mondiales, il faut fournir 2,3 médecins pour chaque 1 000 individus alors qu’en Egypte, on a un seul médecin pour 1 000 individus. « C’est un taux raisonnable pour le moment vu nos conditions socioéconomiques. Le nouveau système est lancé et il est temps de révolutionner notre système de santé, avec toutes ses composantes », dit Alaa Ghannam, spécialiste en politiques de santé (voir Entretien).

A Port-Saïd, d’importants préparatifs

En plein centre-ville, un grand immeuble pousse pour abriter le siège régional de l’Autorité générale de l’assurance-maladie globale (Universal Health Insurance Authority, UHIA. Celle-ci est formée de trois organismes : l’Autorité d’accréditation et du contrôle de qualité, l'Autorité générale de l'assurance-maladie, chargée du financement, et de l'Autorité générale de soins de santé, chargée de la gestion des hôpitaux. Quant au siège principal, il sera inauguré la semaine prochaine au Caire. « On est en train d’examiner la qualité des soins et des équipements de 5 centres médicaux pour les intégrer au nouveau système », explique Achraf Ismaïl, président de l’Autorité d’accréditation et du contrôle. Et d’ajouter : « On ne se charge pas uniquement du contrôle technique et administratif des établissements médicaux, mais de mesurer aussi périodiquement les performances de tous leurs personnels : les médecins, les infirmières, les pharmaciens et les techniciens. Un centre d’appels va être prochainement mis en place pour recevoir les plaintes des patients et évaluer en même temps les points forts et points faibles du système ».

comment cette petite ville du canal s’est-elle préparée pour cette expérience ? Le calendrier de mise en place de ce système a été établi selon une étude actuarielle et financière en assurances, comme l’explique Islam Abou-Seif, vice-président de l’Autorité d’accréditation et du contrôle. « Pour bien tester ce nouveau système, les gouvernorats de la première phase ont été choisis selon leur faible population et la diversité de la nature : urbaine, rurale ou mixte », ajoute-t-il.

« Pour pouvoir démarrer cette phase, beaucoup d’efforts ont été déployés pour surmonter de nombreux défis, comme la dégradation des infrastructures sanitaires ou le manque des ressources humaines à Port-Saïd. Ce type de difficulté ne concerne pas uniquement cette ville, mais toute l’Egypte », dit Achraf. Il cite l’exemple de la rénovation de l’hôpital Al-Nasr à Port-Saïd, qui était hors service, il y a plus de 18 ans. « Cet hôpital renferme aujourd’hui un service spécial de chirurgie pédiatrique en collaboration avec le Centre du Dr Magdi Yaacoub », a-t-il précisé. Selon Islam, l’intégration du secteur privé est l’un des avantages de ce nouveau système, destinée à « améliorer les services et le transfert des expertises ». A Port-Saïd, une série de protocoles de « jumelage privé-public » a été activée. Une entente de jumelage a été signée entre l’hôpital Maghrabi et celui de l’ophtalmologie de Port-Saïd. Un autre partenariat public-privé a été scellé entre l’hôpital général de Port-Saïd et Al-Salam Al-Dawli au Caire. Le ministre des Finances prépare actuellement une liste concernant les tarifs des services de santé qui devraient être identiques aussi bien dans les hôpitaux publics que dans les hôpitaux privés.

Les défis de la phase transitoire

Pourtant, les défis de la transition du système sanitaire ne manquent pas. Le premier, comme l’explique Achraf, est celui de la « mise en oeuvre ». « Tant qu’on avance, de nouveaux défis surgissent sur le terrain. Mais ces défis sont vus comme des opportunités pour améliorer les services », précise-t-il, avant d’ajouter : « Il s’agit d’une restructuration du système sanitaire dans son ensemble, basée sur une nouvelle pensée et avec de nouveaux mécanismes. C’est pourquoi cette transition peut prendre du temps ».

Assurer la durabilité du financement du système est un autre défi majeur. Si le budget consacré à l’application de la première phase est suffisant qu’en sera-t-il pour le reste ? C’est une question qui préoccupe beaucoup d’Egyptiens. Les dépenses totales allouées à la réforme des gouvernorats de la première phase sont estimées à 23 milliards de L.E. Le budget consacré à Port-Saïd pour l’année fiscale actuelle est de 2,1 milliards de L.E. La loi prévoit trois sources de financement : Un tiers provient des cotisations versées par les entreprises et les employés. Un autre tiers émane des taxes sur le tabac. Et un troisième de la trésorerie de l’Etat, qui devra prendre en charge le paiement de l’assurance pour les plus démunis représentant 35 % de la population. Selon le ministre des Finances, Mohamad Maeit, la loi de l’assurance santé a posé des mécanismes flexibles pour assurer la durabilité du financement du système, et ce, en autorisant « d’effectuer tous les trois ans au maximum des études périodiques, afin d’évaluer l’équilibre financier en fonction de l’évolution de l’environnement dans lequel l’assurance va se développer ». « La transition se fait de manière dynamique et non pas statique », conclut Maeit.

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