Sous Sadate, en raison des bonnes relations avec le Chah d’Iran, plusieurs associations et organisations chiites sont créées.
C’est au Xe siècle que le chiisme apparaît en Egypte. Avec l’établissement de la dynastie ismaïlienne des Fatimides en 969, le calife Al-Moez commence à répandre le chiisme dans le pays. A l’époque, la majorité des citoyens étaient musulmans sunnites, ce qui rendait difficile sa mission. Pour achever cette mission, il fonde, un an après, Al-Azhar, une institution religieuse chiite qui commence à accueillir les étudiants et les savants pour leur apprendre la nouvelle doctrine, tout en laissant la liberté aux sunnites d’exercer la leur. En 971, la capitale des Fatimides est transférée au Caire, ville construite par Gawhar Al-Séqilli au nord de Foustat.
Durant les deux siècles de règne de cette dynastie, l’Egypte connaît un essor scientifique et économique remarquable. Et le chiisme se propage. « Cela s’est manifesté clairement après la mort du XIVe et dernier calife fatimide Al-Aded en 1171, lorsque Saladin se proclame sultan et fonde la dynastie Ayyoubide. Il a dû fermer Al-Azhar pendant 10 ans pour faire disparaître les marques de chiisme et pouvoir restaurer la doctrine sunnite », souligne Karam Al-Sawi, chercheur en histoire islamique à l’Institut des recherches et des études africaines.
Malgré les efforts déployés, Saladin ne peut ni chasser les chiites, ces derniers fuyant vers la Haute-Egypte, ni abolir certaines coutumes chiites, comme l’usage des lanternes du Ramadan, la célébration des mouleds (anniversaires de saints) comme ceux d’Al-Hussein et Al-Sayeda Zeinab. Des traditions fatimides qui persistent jusqu’à nos jours.
Dans l’histoire contemporaine de l’Egypte, les chiites réapparaissent à nouveau sous le roi Farouq. Une phase de tolérance marquée par des mariages entre les différentes communautés. Le plus célèbre est le mariage de la soeur du roi, Fawziya, avec le Chah d’Iran. Al-Azhar avait même affiché une ouverture envers les chiites, lorsque son imam, Mahmoud Chaltout, a permis l’étude de la secte chiite ismaïlienne, dans le but d’« unir la nation islamique », à condition que « chaque secte n’essaye pas d’influencer l’autre pour éviter tout type de division ». En 1947, Dar al-taqrib bayn al-mazahib al-islamiya (maison pour la convergence entre écoles de pensées islamiques) est fondée au Caire, et publie la revue Rissalat al-islam destinée, en particulier, à informer sur le chiisme. Nasser décide ensuite de la fermer.
Sous Sadate, en raison des bonnes relations établies avec le Chah d’Iran, plusieurs associations et organisations chiites sont créées, comme l’Association d'Al Albeit qui défend les chiites (1973). Cependant, ces associations sont gelées après la révolution islamique en Iran, et la rupture des relations diplomatiques avec Le Caire en protestation contre le Traité de paix conclu en 1979 avec Israël. « Cette détérioration des relations n’a pourtant pas évité la fondation de deux maisons d’édition chiites, Dar Al-Bidaya, et Dar Al-Hadaf du chiite Saleh Al-Werdani, dans les années 1980. On a même vu des ouvrages d’écrivains chiites vendus à la Foire du livre », note Al-Sawi.
En 2003, les divisions sectaires entre sunnites et chiites s’aggravent après qu’un certain nombre d’iraqiens se sont réfugiés en Egypte après l’invasion américaine. Pour surmonter ce fossé, Al-Azhar, à la demande de l’ancien président iranien Mohamad Khatami qui se rend au Caire en 2007, décide de rouvrir Dar al-taqrib bayn al-mazahib al-islamiya. Une décision qui n’a rien changé dans la politique restrictive adoptée envers les chiites sous Moubarak. En 2009, plus de 300 chiites accusés de collaboration avec le Hezbollah sont arrêtés. 12 autres sont condamnés, en 2010, pour avoir propagé la doctrine chiite et comploté contre le régime. « Les différents régimes ont marqué l’histoire des chiites égyptiens. La tolérance et la persécution ont sans doute influencé leur sort et leur stabilité. Malgré tout, ils ont réussi à graver leur marque notamment sur la scène culturelle », souligne Al-Sawi.
Se présenter aux législatives
Longtemps écartés de la politique, les chiites sont encouragés par une nouvelle ère de libertés après la révolution de 2011. Ils déclarent pour la première fois leur intention de se présenter aux élections législatives avec un parti politique, Al-Tahrir. Une demande rejetée par la commission des partis politiques, car elle ne remplit pas les conditions légales. En août 2012, ils demandent au président Morsi une reconnaissance officielle de l’Etat, l’autorisation de créer des salles de prière et un quota fixe au Parlement.
Si le porte-parole des chiites, Bahaa Anwar, affirme que l’Egypte compte environ 3 millions de chiites en 2012, l’intellectuel chiite Ahmad Rassem Al-Nafis affirme que « pour le moment, on ne peut faire un calcul précis de leur nombre : Le chiisme ne se traduit pas en chiffres ». Parmi eux figurent Mohamad Al-Dirini, président du Haut Conseil de la protection d’Al Albeit, qui vient d’être emprisonné pour possession illégale d’armes, et Hassan Chéhata, lynché avec 3 autres chiites par des sunnites le 23 juin dernier. Un acte sans précédent.
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