Fuyant la guerre en Syrie, en 2011, des milliers de Syriens ont trouvé refuge en Egypte. Huit ans après, beaucoup d’entre eux, animés par l’esprit d’entreprise, ont pu y reconstruire leurs repères et incarner ce que l’on peut qualifier de « success stories ». Ils ont commencé par de petits projets, qui se sont développés pour gagner progressivement du terrain et de la clientèle.
Dans la place de la mosquée Al-Hossari, dans la ville du 6 Octobre, une ambiance à la syrienne règne partout. C’est là où réside la plus grande concentration de Syriens en Egypte. Dans cette partie de la ville, connue pour sa zone industrielle étendue, la gastronomie est la première activité des Syriens. L’odeur des pâtisseries et des épices de la cuisine syrienne envahit les lieux. Les noms des magasins purement syriens attirent à première vue l’attention : la pâtisserie de Daoud pour la konafa naboulsi, poulets de Barakat Al-Halabi, la Dame d’Al-Cham. Youssef Al-Sindian, 37 ans, originaire d’Idleb, arrivé en Egypte il y a sept ans, a réussi à s’y faire petit à petit une place. « Je n’avais jamais imaginé pouvoir réussir loin de mon pays », confie Youssef. A Idleb, son père possédait une grande pâtisserie. Mais dès 2011, la guerre a obligé sa famille à tout abandonner. Youssef est reparti de zéro, comme il l’affirme. « Quand je suis arrivé en Egypte, je n’avais rien. J’ai tout laissé derrière moi », confie-t-il, en ajoutant : « J’ai décidé de bâtir une nouvelle vie ici. Au début, ce n’était pas facile de trouver un boulot, et je devais enchaîner 18 à 20 heures de travail par jour. Aujourd’hui, nous possédons la pâtisserie la plus connue dans la région de la mosquée d’Al-Hossari nommée Al-Sindian ». Baklavas, Chamiya syrienne, Halawa Al-Jaben, etc. Youssef offre les mêmes douceurs qui se trouvaient autrefois sur de grands plateaux dans le magasin de son père en Syrie. Même si la situation se stabilise en Syrie, Youssef estime que son retour ne sera pas rapide.
A quelques mètres, Daoud, un jeune homme de 30 ans, originaire de Damas, fils du propriétaire d’un magasin de konafa naboulsi, raconte comment les douceurs syriennes ont gagné l’admiration des Egyptiens, en particulier la konafa cuite au charbon. Le travail à l’intérieur du magasin ressemble à une vraie ruche. Syriens et Egyptiens y travaillent côte à côte avec enthousiasme. Ahmad Al-Sayed, un jeune Egyptien de 38 ans, pense que la bonne qualité des produits syriens, la propreté et le prix raisonnable sont autant de raisons de la réussite des Syriens en Egypte, sans parler de leur accueil. Mais « si l’expansion des projets syriens ont contribué à raviver l’activité économique de cette ville, l’afflux des Syriens est vu par certains résidents comme la cause de la flambée des loyers », dit Al-Sayed.
La restauration, activité de prédilection
Les magasins de la crème glacée syrienne ont le vent en poupe à Alexandrie. (Photo : Ahmad Aref)
A Alexandrie, les restaurants syriens ont aussi le vent en poupe. Les spécialités culinaires des Syriens ont réussi à capter l’admiration des habitants de cette ville méditerranéenne. Une vraie fusion entre les deux cultures se reflète bien dans les noms des restaurants, à l’exemple de celui de La Perle de Damas, à Assafra. Ayant ouvert ses portes fin 2013, ce restaurant, qui propose les plats traditionnels syriens comme la kobeiba, le makdous, la fatteh, les manaqichs et les shawarmas, a gagné rapidement une grande réputation dans cette ville. Bassel, son propriétaire de 38 ans, raconte le parcours de sa famille qui, avant d’arriver en Egypte en 2011, a laissé derrière elle une grande chaîne de restaurants, aujourd’hui fermés, à Damas. Bassel et sa famille ont travaillé sans arrêt afin de gagner la confiance et la satisfaction des Alexandrins. « Petit à petit, notre projet a grandi. Et afin de répondre à tous les goûts de nos clients, nous proposons aujourd’hui de nouvelles pâtisseries à côté des plats du Levant », dit-il. Aujourd’hui, Bassel étudie la possibilité d’inaugurer un deuxième restaurant au Caire. « L’atmosphère de l’investissement est favorable en Egypte, mais c’est la durée des procédures, pour le renouvellement de ma résidence ou l’octroi de licences, qui prend du temps. Je pense que la bureaucratie, c’est aussi les maux de tous les Egyptiens », dit Bassel.
Dans la rue Fouad, à la station de Raml, devant la porte d’une boutique de parfumerie, deux jeunes Syriens distribuent des échantillons de parfums aux passagers. Abou Alaa, propriétaire de cette boutique, est originaire de Deraa. Il vit en Egypte depuis 6 ans. « Nous n’avions pas le luxe de choisir : il s’agissait pour nous de réussir ou de perdre à jamais », dit Abou Alaa, avant d’ajouter : « Au début de mon arrivée en Egypte, ma situation financière était très mauvaise. J’étais obligé d’entrer en partenariat avec un de mes amis syriens dans un projet. Peu à peu, j’ai pu avoir ma propre boutique de parfumerie et de cosmétiques à la station Al-Raml, l’un des plus grands quartiers d’Alexandrie », dit-il.
Une ambiance syrienne sur la place de la mosquée d'Al-Hossari. (Photo : Ganna Chérif)
Si les restaurants syriens gagnent du terrain dans cette ville, la crème glacée alexandrine conserve toujours sa particularité. La crème glacée syrienne d’« Omaya » a fait son apparition dans cette ville en 2013, pour entrer en compétition avec celle égyptienne de longue date de « Azza ». Elle possède aujourd’hui de nombreuses branches qui se répandent partout en Alexandrie. Toutefois, pour Samir Ibrahim, Egyptien de 50 ans, il pense que « si le shawrama syrien est le meilleur de la ville, pour nous, les Alexandrins, la crème glacée la plus délicieuse est celle de Azza ».
Outre la restauration, de nombreux Syriens travaillent aussi dans le textile. Le centre-ville du Caire est le lieu de prédilection des commerçants syriens pour installer leurs magasins de tissus, et du prêt-à-porter. En effet, cette région abrite les plus anciens magasins syriens de tissus datant des années 1950, comme celui de Mardini, situé dans la rue Qasr Al-Nil, et à côté duquel se trouvent d’autres grands noms comme Chatta, Opéra et d’autres. Ihab, originaire d’Alep, arbore un grand sourire, en étalant devant ses clients un long morceau du tissu très élégant et aux couleurs vives. « Je suis arrivé en Egypte avec mon frère en 2015. Malgré les nombreuses difficultés que nous avons affrontées, nous avons décidé à ne jamais baisser les bras. Finalement, après trois ans de travail, nous avons réussi à avoir un magasin de tissus », confie Ihab avec beaucoup de sérénité. Pour lui, les souvenirs de la guerre et des bombardements ne s’effacent pas, pourtant, il insiste toujours sur l’importance de s’adapter à sa nouvelle vie. « Le marché égyptien nous offre beaucoup d’opportunités dans le domaine du commerce de textile. Il n’y a pas de concurrence entre le tissu syrien et le tissu égyptien, mais plutôt une complémentarité », conclut-il.
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