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Ahmed Sayed Ahmed : La poursuite de la guerre sur plusieurs fronts complique les perspectives de règlement politique

Ola Hamdi, Mardi, 21 mai 2019

Ahmed Sayed Ahmed, expert au CEPS d’Al-Ahram, explique les motifs internes et régionaux qui ont poussé les Houthis à annoncer leur retrait des ports de Hodeïda, ainsi que leur rôle dans la tension entre l’Iran et les Etats-Unis.

Ahmed Sayed Ahmed

Al-Ahram Hebdo : Pensez-vous que l’annonce du retrait houthi des trois ports de Hodeïda soit un tournant dans la guerre au Yémen ?

Ahmed Sayed Ahmed : Je pense que le retrait des Houthis des ports de Hodeïda n’est que fictif. Les rebelles ont profité de leur contrôle de Hodeïda pour placer leurs combattants dans la marine et les garde-côtes. Le même scénario a eu lieu en janvier dernier, quand les Houthis ont annoncé leur retrait et la remise des clés des ports à la garde côtière. Mais en réalité, ces gardes n’étaient que des rebelles vêtus en civil. A l’époque, le général néerlandais Patrick Cammaert, chef des observateurs onusiens au Yémen, avait rapidement détecté cette manoeuvre. Par conséquent, les relations se sont détériorées vite entre l’envoyé onusien et les Houthis qui ont décidé de rompre tout contact avec Cammaert. Ce qui a obligé l’émissaire des Nations-Unies au Yémen, Martin Griffiths, à le substituer par l’observateur actuel Michael Lawlessard.

Aujourd’hui, bien que l’Onu ait confirmé que le retrait des Houthis se soit déroulé conformément aux plans convenus, le gouvernement légitime et la coalition arabe réfutent un tel retrait qui doit se faire, en vertu de l’accord de Stockholm, dans le cadre d’un mécanisme de suivi tripartite. Celui-ci doit inclure des représentants de la mission onusienne au Yémen, du gouvernement légitime et des rebelles houthis.

— Cinq mois après l’accord de Stockholm, quels sont les motifs internes et régionaux qui ont poussé les Houthis à annoncer ce retrait à l’heure actuelle ?

— Les rebelles houthis ont tenté de retarder à plusieurs reprises la mise en oeuvre de la première phase du redéploiement, qui devait en principe prendre fin en janvier dernier. Pourtant, sans la moindre coordination avec les forces légitimes, comme le stipule l’accord de Stockholm, les rebelles houthis ont annoncé subitement leur retrait unilatéral des ports dans une tentative d’embellir leur image devant la communauté internationale et d’apparaître comme l’acteur qui respecte le plus ses engagements dans les pourparlers de paix. En fait, la conjoncture interne et régionale en pleine mutation n’est pas favorable au fait que les Houthis renforcent leur emprise sur le Yémen. Cette annonce est intervenue au moment où ce groupe chiite perd progressivement du terrain après ses défaites militaires successives sur plusieurs fronts. En outre, sur le plan régional, le soutien de l’Iran, actuellement sous pression internationale intense, a été fragilisé après l’entrée en vigueur de la dernière vague de sanctions américaines. C’est pourquoi, les Houthis ont eu recours à cette démarche pour absorber les pressions internes et régionales croissantes.

— A votre avis, quels seront les défis qui se rapportent aux autres phases de l’accord de Stockholm ?

— De nombreux défis se dressent face à l’application des étapes suivantes de l’accord de Stockholm sur Hodeïda, le plus important est la stratégie de contournement adoptée tout le temps par les Houthis qui excellent dans les manoeuvres et les tergiversations. Un autre défi concerne la gestion des Nations-Unies du dossier yéménite. La position floue de l’Onu a encouragé les milices houthies à se dérober à leurs obligations de paix. D’ailleurs, la poursuite de la guerre dans les nombreuses autres régions du Yémen rend la perspective d’un règlement politique encore plus lointaine. L’accord de Stockholm devrait s’inscrire dans le cadre d’un accord de paix global qui englobe tous les territoires yéménites.

— Comment Téhéran instrumentalise-t-il les Houthis dans son affrontement actuel avec les Etats-Unis et l’Arabie saoudite ?

— Depuis le déclenchement de la crise, l’Iran a réussi à consolider son influence au Yémen. Le soutien apporté par l’Iran à ces milices chiites est multiforme. Il est d’ordre financier, logistique et militaire. Des apports internationaux révèlent que les Houthis ont utilisé des drones et des missiles fabriqués en Iran dans leurs attaques. Ce soutien n’a fait que prolonger le conflit qui dure depuis plusieurs années. En fait, l’Iran cherche à reproduire au Yémen un autre Hezbollah libanais, c’est-à-dire un acteur incontournable dans le jeu politique interne, et une carte de pression dans le contexte de la guerre par procuration, contre son principal rival régional, l’Arabie saoudite, et les Etats-Unis. A titre d’exemple, les rebelles houthis ont pris pour cibles les villes et les intérêts saoudiens en tirant plus de 200 missiles balistiques fournis par l’Iran. Ils ont également tiré plusieurs roquettes sur des navires saoudiens et américains en mer Rouge et à Bab Al-Mandab, afin de menacer la navigation maritime et le trafic commercial mondial. Les miliciens houthis ont revendiqué, la semaine dernière, une attaque de drones contre des stations saoudiennes de pompage de pétrole d’Aramco près de la capitale Riyad.

Quel est donc le message que ces milices veulent transmettre en attaquant les installations saoudiennes, deux jours après l’annonce de leur retrait des ports ?

— Cibler des installations pétrolières saoudiennes, ainsi que des navires pétroliers dans les eaux territoriales des Emirats, alors que la région bouillonne, transmet plusieurs messages. En menant ces attaques, les Houthis, qui connaissent des moments difficiles après leurs nombreuses défaites, veulent transmettre un message à l’intérieur qu’ils sont encore capables d’atteindre en profondeur les intérêts saoudiens et de menacer des installations vitales. Quant à l’Iran, il adresse de son côté un message direct aux Etats-Unis qu’il est capable de perturber les exportations pétrolières des autres pays si les sanctions américaines lui interdisant de vendre son pétrole ne sont pas levées. Ces attaques visent en fait à tester la capacité de l’Iran à agir contre les sanctions américaines.

— Comment, selon vous, l’intervention militaire de la coalition arabe, en mars 2015, pour soutenir le gouvernement légitime, a-t-elle changé les rapports de force sur le terrain ?

— La coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite a accompli de nombreuses réalisations importantes, en mettant fin au projet houthi qui vise à changer l’identité du Yémen en y instaurant un autre régime de Wélayet Al-Faqih. Le soutien militaire multiforme apporté par la coalition arabe aux forces légitimes yéménites a réussi à changer les rapports de force sur le terrain et à libérer plus de 85 % des territoires yéménites.

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