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Yémen, toujours l’incertitude

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 21 mai 2019

Le retrait annoncé par les Houthis des trois ports stratégiques de la ville de Hodeïda n’a apporté aucun répit au conflit yéménite. Les forces loyalistes dénoncent une « manoeuvre », et l’Onu est toujours dans l’incapacité de faire respecter l’accord de Stockholm.

Yémen, toujours l’incertitude

Plus de quatre mois après la signature de l’accord de Stockholm, en décembre 2018, entre les rebelles houthis et le gouvernement yéménite, Martin Griffiths, l’envoyé spécial pour le Yémen, a finalement annoncé mercredi dernier, devant le Conseil de sécurité, que la première phase du redéploiement des rebelles houthis des trois ports de la région de Hodeïda s’est achevée « conformément aux plans établis ».

En fait, après de nombreuses tergiversations et de violations du cessez-le-feu, les Houthis ont annoncé, le 11 mai, leur retrait unilatéral des 3 ports de Hodeïda. Occupés par ce groupe chiite depuis 2014, ces 3 ports sur la mer Rouge ont une grande importance stratégique. Le port de Salif sert au transport des céréales, alors que celui de Rass Issa est un terminal pétrolier. Quant au port de Hodeïda, il est le principal point d’entrée des biens commerciaux importés et de l’aide humanitaire au Yémen. Quelles sont les véritables motivations des Houthis en annonçant ce retrait ? S’agit-il d’un geste d’apaisement ou bien d’une manoeuvre tactique ?

« En dépit d’une avancée à Hodeïda, le Yémen est encore à la croisée des chemins entre la guerre et la paix. Il y a des signes d’espoir, mais il y a aussi des signes alarmants de guerre », a souligné Griffiths devant le Conseil de sécurité, avant d’ajouter qu’« il ne s’agit que du début. Les parties en conflit doivent se mettre d’accord sur le plan opérationnel de la phase du redéploiement mutuel à Hodeïda ».

Après l’annonce de retrait des Houthis, le gouvernement yéménite a rapidement remis en question la volonté réelle des rebelles de faire des concessions, tout en accusant l’Onu de « légitimer la présence de milices » dans la ville de Hodeïda. D’autant plus que ce n’est pas la première fois que les Houthis répètent de telles promesses sans pour autant les concrétiser sur le terrain.

« Ce qui est arrivé aujourd’hui est une mise en scène. Un groupe de miliciens a quitté la ville et a été remplacé par d’autres groupes, vêtus à la manière des garde-côtes afin de tromper la communauté internationale », a déclaré le ministre de l’Information, Mouammar Al-Iryani. Et d’ajouter : « Ce retrait unilatéral improvisé et non contrôlé n’est pas conforme aux accords de Stockholm. Le gouvernement attend des clarifications de l’Onu, car le retrait doit se faire selon les modalités précises inscrites dans le texte signé en Suède, et ce, sous la supervision d’un comité composé de représentants de l’Onu, du gouvernement yéménite et des Houthis ».

Selon les résolutions 2 451 et 2 452 du Conseil de sécurité concernant Hodeïda, le processus de redéploiement doit être supervisé par un « comité mixte », composé de 6 membres, 3 de chaque côté, et présidé par l’Onu. Les miliciens doivent par la suite indiquer leurs positions aux garde-côtes, considérés comme relativement neutres dans le conflit entre les Houthis et les loyalistes. Or, jusqu’à présent, l’Onu n’a fourni aucune indication sur la composition de cette « garde côtière » à laquelle les Houthis ont remis les clés des ports. Le gouvernement yéménite, lui, veut, avant d’entreprendre toute démarche, s’assurer du retrait houthi des 3 ports stratégiques. En fait, le plan de redéploiement est divisé en deux phases. La première prévoit le retrait des combattants houthis à 5 kilomètres des ports de Hodeïda et la remise par ces derniers des cartes détaillant l’emplacement des mines aux équipes onusiennes. La deuxième phase prévoit un retrait houthi à 1 km du port principal de Hodeïda, et les forces gouvernementales à 1 km de la zone dite du « kilo numéro 7 » dans la banlieue Est de la ville portuaire.

L’échec du sommet d’Amman, tenu en Jordanie du 14 au 16 mai, à l’invitation de l’Onu, et regroupant des représentants du gouvernement et des Houthis, afin de discuter de la gestion des revenus des 3 ports de Hodeïda et leur utilisation pour le paiement des salaires des fonctionnaires du secteur public, complique davantage la situation au Yémen. Le volet économique de l’accord de Stockholm prévoit l’unification de la Banque Centrale et des institutions financières sous la direction du gouvernement légitime. Divisée entre le gouvernement à Aden et les Houthis qui contrôlent la capitale Sanaa, la Banque Centrale est un autre front du conflit au Yémen.

Défaites militaires et manoeuvres politiques

Pourquoi le retrait des Houthis de Hodeïda a-t-il lieu maintenant ? Selon Mahmoud Qassem, chercheur au Centre égyptien des études stratégiques (ECSS), l’annonce du retrait houthi est intervenue 3 jours avant la session du Conseil de sécurité des Nations-Unies sur le Yémen le 15 mai. « Ce retrait vise à atténuer la pression internationale exercée sur les Houthis et à mettre le gouvernement yéménite dans l’embarras s’il refuse d’approuver ce retrait unilatéral », affirme le chercheur. Ahmed Youssef, politologue, pense également que les Houthis ont tiré profit des lacunes de l’accord de Stockholm pour imposer une nouvelle réalité à Hodeïda. « La brièveté de l’accord de Suède signé à la hâte ouvre la porte à plusieurs interprétations en ce qui concerne les lignes de retrait et le positionnement ou l’identité des gardes qui géreront les ports », dit Youssef.

En outre, la politique de « pas à pas » sur laquelle repose l’accord de Stockholm ou « la fragmentation de la crise », comme l’appelle Ahmed Youssef, a prouvé, face à l’impasse actuelle à Hodeïda, son inefficacité. « La crise yéménite est très vaste et le conflit ne peut être centralisé à Hodeïda », ajoute Youssef.

Selon Mona Soliman, chercheuse en sciences politiques à l’Université du Caire, les rapports de force militaire ne sont pas actuellement en faveur des Houthis. Ces derniers ont subi une série d’importantes défaites, notamment à Dhala, Saada, Lahj, Jouf et Al-Baida. « En se retirant des ports, les Houthis tentent d’éviter d’autres défaites et essaient de gagner du temps pour s’organiser», affirme Mona Soliman. L’annonce du retrait intervient, comme l’explique Qassem, au moment où le paysage politique interne au Yémen est en pleine évolution. Le parlement du Yémen s’est réuni, pour la première fois depuis cinq ans, le 14 avril, à Seiyun, deuxième ville de la province de Hadramaout, en présence du président yéménite, Abd-Rabbo Mansour Hadi. Cette séance a témoigné de la création de « l’Alliance nationale des forces politiques yéménites » pour soutenir le gouvernement légitime. Formée de 16 partis politiques, cette coalition entend préparer un projet de loi visant à classer les Houthis « groupe terroriste ».

L’ombre de la conjoncture régionale

La conjoncture régionale, notamment le bras de fer actuel entre Washington et Téhéran, jette également son ombre sur cette ville portuaire. Selon Qassem, « en se redéployant à Hodeïda, les Houthis tentent de réduire les pertes qu’ils pourraient subir en raison du bras de fer entre l’Iran et Washington dans la région et éviter d’être la cible d’une éventuelle frappe américaine ».

Pourtant, Mona Soliman pense que les Houthis adoptent des positions contradictoires qui ne visent pas à apaiser les tensions dans la région. « Les frappes des installations pétrolières saoudiennes situées près de Riyad revendiquées le 14 mai, deux jours après le retrait, par les Houthis, est un message clair transmis par l’Iran qu’il détient les clés de la guerre et de la paix non seulement au Yémen mais aussi dans la région », affirme Qassem.

Ce n’est pas la première fois que les Houthis lancent des attaques contre des cibles saoudiennes, mais c’est la première fois qu’ils réussissent à aller aussi loin, à plus de 700 km de la frontière du Yémen. Selon Qassem, on est donc face à deux possibilités. La première découle d’une vision optimiste. Elle suppose « la crédibilité du processus de retrait ». Cette possibilité pourrait être renforcée, comme l’explique le chercheur, à cause de la pression internationale exercée sur Téhéran. L’autre possibilité suppose que le retrait des Houthis n’est qu’une « manoeuvre tactique et temporaire qui vise à gagner du temps pour pouvoir se repositionner dans d’autres régions », conclut Qassem.

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