«
La seule façon de faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés est de consolider le principe des solutions africaines aux problèmes africains », a insisté le président Abdel-Fattah Al-Sissi, à l’occasion de deux sommets africains, tenus l’un après l’autre au Caire le 23 avril. Présidées par l’Egypte, à la tête de l’Union Africaine (UA) depuis février, ces deux rencontres visent à «
éviter tout dérapage et assurer la stabilité et la paix au Soudan et en Libye ». Il s’agit des premières réunions de dirigeants africains de ce niveau sur ces questions. Ces deux voisins directs de l’Egypte, la Libye à l’ouest et le Soudan au sud, sont en proie à des crises qui ont éclaté presque simultanément.
Le premier sommet a évoqué l’évolution de la situation au Soudan où des manifestants sont toujours mobilisés malgré la chute du régime Al-Béchir, réclamant un gouvernement civil. Ce sommet a réuni, autour de la même table, les partenaires régionaux du Soudan : le Tchadien Idriss Deby Etno, le Djiboutien Ismael Omar Guellah, le Sud-Africain Cyril Rmaphosa, et le Somalien Mohamed Abdellahi Mohamed. Le second sommet a porté sur la situation en Libye où des combats opposent, depuis trois semaines, l’Armée Nationale Libyenne (ANL) du maréchal Haftar aux forces loyales au Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez Al-Sarraj, siégeant à Tripoli. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus de 260 personnes ont péri. Ce sommet sur la Libye réunissait aux côtés du président Sissi les présidents du Rwanda, Paul Kagame, et d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, membres de la « troïka » sur la Libye, ainsi que celui du Congo, Denis Sassou-Nguesso, chef de la commission sur la Libye à l’UA. Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki, a assisté aux deux rencontres, de même que des responsables éthiopien, sud-soudanais, ougandais, kényan et nigérian.
Selon Ahmad Youssef, politologue, la réaction de l’UA était à la fois « rapide et efficace » pour trouver une sortie pacifique à ces crises. « L’UA est aujourd’hui la seule organisation régionale et mondiale qui s’est précipitée de prendre une telle initiative, alors que les réactions de la Ligue arabe et des Nations-Unies n’ont pas dépassé les simples rhétoriques », dit Youssef. Avis partagé par Khaled Hanafi, spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, qui pense que malgré la complexité de la situation sur le terrain, le sommet consultatif du Caire a réussi à atteindre un certain nombre d’objectifs importants. Ce succès remonte en grande partie, selon le spécialiste, au rôle décisif et influent de l’Egypte au sein de l’UA, pour formuler une vision africaine unifiée, afin de trouver des solutions africaines aux crises du continent.
Soudan : Adopter une position réaliste et équilibrée
Le sommet sur le Soudan est intervenu au lendemain de la visite de travail de 48 heures du président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, à Khartoum. Au cours de cette visite, Moussa Faki a eu des consultations approfondies avec le Conseil militaire de transition, des partis et personnalités politiques, ainsi qu’avec des organisations de la société civile. C’est, en fait, à la lumière des résultats de cette visite, et grâce à un échange positif de vues entre les dirigeants africains au Caire, que « l’UA a changé sa position pour être équilibrée et plus réaliste vis-à-vis des développements en cours sur le terrain, et afin d’éviter les conséquences négatives d’un transfert rapide du pouvoir au Soudan qui paie encore une facture lourde de 3 décennies du régime islamiste d’Al-Béchir », explique Hanafi.
Selon le communiqué final du sommet, les Etats africains sont parvenus à un consensus pour « accorder un délai supplémentaire de 3 mois aux autorités militaires et aux acteurs politiques soudanais, pour mener à bien une transition pacifique et démocratique ». Au début de la crise, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA avait menacé de suspendre le Soudan si l’armée ne quittait pas le pouvoir 15 jours plus tard au profit d’une « autorité politique civile ».
En outre, ce prolongement du délai a offert « un nouveau cadre de dialogue entre les forces révolutionnaires et le Conseil militaire », comme l’explique Hanafi. Les prémices d’un début des négociations se profilent dans l’horizon. Le 27 avril, le Conseil militaire de transition et l’opposition sont parvenus à un accord de principe sur la formation d’un conseil de transition commun, sans toutefois convenir d’un partage des sièges. « La solution est dans les mains des Soudanais », précise le président dans son discours, en soulignant « l’urgence d’un rétablissement d’un système constitutionnel par le biais d’une transition politique démocratique menée par les Soudanais eux-mêmes ». Une réunion de suivi sera d’ailleurs organisée d’ici un mois en présence des ministres des Affaires étrangères des pays participant au sommet.
Libye : Relancer le processus politique et éliminer le terrorisme
La réunion sur la Libye a abordé « les moyens de relancer le processus politique ainsi que d’éliminer le terrorisme ». Dans le communiqué final, les participants ont appelé à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, à la reprise des négociations politiques tout en donnant à l’armée les moyens d’accomplir son devoir et en limitant la détention d’armes à l’armée et à la police. Le sommet a également invité « la communauté internationale à assumer ses responsabilités » dans la lutte contre le trafic d’armes et l’incursion de combattants terroristes, tout en évitant les ingérences extérieures.
En fait, l’Egypte a réussi à placer la crise libyenne sur l’agenda africain. « La Libye est un pays arabe, mais il est aussi important de l’intégrer dans son contexte africain. Et d’attirer l’attention sur les risques de l’extension de la crise sur la sécurité africaine, notamment sur la région du Sahel et du Sahara », explique Youssef. Le communiqué de la Troïka et du comité sur la Libye a également insisté sur « le rôle fondamental et crucial de l’UA et de ses Etats membres dans la gestion de la crise actuelle en Libye », réclamant à l’émissaire de l’Onu, Ghassan Salamé, « une coopération totale et en toute transparence ».
Selon Ahmad Youssef, les dirigeants arabes ont insisté sur la nécessité du retour des protagonistes libyens à la table des négociations, mais ils ont aussi reconnu « l’importance de combattre le terrorisme en Libye », où plusieurs milices classées comme des groupes terroristes dominent la scène en Tripoli. « Le sommet s’est penché de manière intelligente, sans l’exprimer franchement, sur l’importance de la lutte menée par l’armée libyenne contre le terrorisme. Sur la scène mondiale, les voix qui condamnent l’opération de Tripoli commencent à s’affaiblir. Washington a même changé le ton et a avoué que l’armée nationale menait une guerre contre le terrorisme », ajoute Youssef.
« Les pays de l’Union africaine sont les plus concernés par la nécessité d’assurer la stabilité régionale de la Libye, l’unification de ses institutions et le fait de permettre aux forces militaires et la police civile d’exercer leur devoir de maintenir la paix et la stabilité, et d’éliminer totalement toutes formes de terrorisme », a dit le président Sissi dans son discours. En fait, l’Egypte a beaucoup souffert du chaos dans lequel se plonge la Libye depuis 2011, comme l’infiltration de terroristes ou la contrebande d’armes. Pourtant, les efforts égyptiens pour le règlement politique de la crise libyenne n’ont jamais été interrompus. Pour résoudre cette crise, l’Egypte s’active dans plusieurs sphères. On peut citer les efforts diplomatiques visant à unifier l’institution militaire libyenne ou la levée du blocus international qui interdit de fournir les armes à l’Armée Nationale Libyenne (ANL). De plus, la diplomatie égyptienne s’est activée dans le cercle des pays du voisinage, en particulier l’Algérie et la Tunisie, afin de coordonner les efforts des trois pays pour mettre fin aux tensions en Libye. Mais le chemin est encore long pour instaurer la paix en Libye, et l’issue des opérations militaires sur le terrain reste toujours incertaine.
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