Après 4 mois de contestations anti-Béchir sans relâche, l’armée soudanaise passe à l’action et siffle la fin de ce régime islamo-militaire au pouvoir depuis 1989. Le 11 avril, un jour qui fera date pour le Soudan. Dès les premières lueurs du matin, les rumeurs du départ du régime courent. La télévision nationale suspend ses programmes pour diffuser des chants patriotiques et faire état d’une « déclaration importante de l’armée sous peu ». Des dizaines de blindés font le va-et-vient dans le QG des forces armées qui abrite la résidence officielle de Béchir et devant lequel les manifestants campent depuis six jours consécutifs. Des milliers de Soudanais descendent dans la rue pour célébrer sous les yeux du monde entier la chute du régime, sans même attendre « la déclaration » de l’armée.
Les heures passent et espoir et méfiance se confondent, avant l’apparition à l’écran de Awad Ibn Auf, ministre de la Défense et vice-président soudanais, pour annoncer le « communiqué numéro 1 » qui vient de confirmer les rumeurs. « Al-Béchir a été arrêté et placé dans un lieu sûr », précise Ibn Auf avant de déclarer les premières décisions de l’après-Béchir. « J’annonce également la formation d’un conseil militaire de transition pour les deux ans à venir. La Constitution de 2005 est également suspendue, l’état d’urgence instauré pendant trois mois et le couvre-feu pendant un mois, entre 22h et 4h. Par ailleurs, j’annonce la fermeture de l’espace aérien pendant 24 heures ainsi que de tous les points d’entrée au Soudan, jusqu’à nouvel ordre », ajoute-t-il. Après l’annonce officielle de la chute du régime, la confusion règne vite à Khartoum.
Pour beaucoup de Soudanais, c’est une victoire en demi-teinte, puisque celui qui vient d’annoncer la feuille de route de la période transitoire n’est en fait qu’un pilier du Parti du congrès national, au pouvoir depuis trois décennies au Soudan. La rue ne se calme pas. L’Alliance pour la liberté et le changement, qui oriente la contestation depuis 4 mois, appelle les Soudanais à ne pas quitter leur place et « maintenir toujours la pression ». Malgré l’état d’urgence décrété, les sit-in continuent devant le QG de l’armée et attirent de plus en plus des manifestants, cette fois-ci, en brandissant de nouveaux slogans : le transfert du pouvoir sans délai à un gouvernement civil de transition.
Satisfaire les revendications de la rue
24 heures après, les cris de victoire résonnent dans les rues de Khartoum après la démission surprise d’Ibn Auf. « En deux jours, nous avons renversé deux présidents », scandent les manifestants. En fait, face à cet élan révolutionnaire, Ibn Auf s’est trouvé obligé de céder sa place à l’ancien chef d’état-major Abdel-Fattah Burhan. Pour l’opposition, le nouveau président du conseil de transition est une personnalité consensuelle qui n’a aucune appartenance politique. Les anciennes figures du régime déchu démissionnent l’une après l’autre. Salah Gosh, qui dirigeait le puissant service de renseignements soudanais NISS, à l’origine de la répression ces derniers mois du mouvement de contestation, disparaît vite de la scène. Après avoir prêté serment, Burhan, dans un discours retransmis en direct, a annoncé une série de mesures visant à satisfaire les revendications du mouvement de contestation, avant de l’inviter au « dialogue ». Le nouveau chef du conseil militaire promet d’« éliminer les racines » du régime d’Al-Béchir, de restructurer les appareils sécuritaires et que la période de transition ne dépasserait pas deux ans. Il a annoncé également la levée du couvre-feu et la libération de tous les manifestants arrêtés ces dernières semaines.
Rétablir la confiance, une mission ardue
Les premières rencontres entre le conseil militaire et les représentants du mouvement de contestation ont commencé le 14 avril. Et l’armée jette la balle dans le camp de l’opposition en l’appelant à se mettre d’accord sur une figure « indépendante » qui serait nommée premier ministre et chargée de former un gouvernement civil.
Nous sommes donc face à un paysage politique en pleine ébullition. Selon Ramadan Qorany, spécialiste des affaires africaines, le grand défi est de construire une confiance mutuelle entre les « deux nouveaux acteurs » de la scène soudanaise de l’après-Béchir : le conseil militaire et la rue. Avis partagé par Malek Awny, directeur en chef de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya, qui pense que la complexité de la situation actuelle au Soudan n’est que « le reflet de l’échec du projet de l’islam politique du régime du Congrès national d’Al-Béchir ». « Ce régime islamiste, considéré comme l’expérience la plus longue de l’islam politique dans le monde arabe, s’est écroulé en laissant un pays disloqué, en pleine crise économique et dissension sociale », explique Awny. Et d’ajouter : « Le vrai test pour les Soudanais c’est de maintenir la survie de l’Etat-nation soudanais et non pas seulement comment gérer la période transitoire ».
L’autre enjeu majeur, pour construire « un nouveau Soudan » comme l’explique Awny, c’est d’établir « un dialogue global sans exclusion ». Pour le spécialiste, il est indispensable de tenir un dialogue national qui englobe tout le peuple soudanais, y compris les groupes armés et non pas seulement les forces qui dominent la scène. Et ce, afin d’éviter de reproduire les erreurs du passé ou les mauvaises expériences de transition politique au cours de 2011.
« Le Soudan n'est pas divisé entre deux options, celle d'un Etat civil ou celle d'un Etat militaire, précise Awny, mais le pari à court terme, c’est de former une large alliance entre les nationalistes et l’armée qui pourrait se concrétiser sous forme d’un conseil de transition mixte civil-militaire, pour pouvoir faire face ensemble aux fardeaux politiques et économiques de la transition et aux menaces sécuritaires qui pourraient l’accompagner ».
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