
Le mouvement de contestation a réussi à destituer le régime d'Al-Béchir. (Photo : AFP)
Par Dr Amani Al-Taweel*
Le mouvement de contestation au Soudan a réussi à destituer le président Omar Al-Béchir qui « est placé en lieu sûr ». Et ce, après environ 4 mois de manifestations populaires dirigées par une large alliance politique pour « la liberté et le changement », qui comprend, en plus des partis politiques, des mouvements armés, des ONG et l’Association des Professionnels Soudanais (APS). Cette dernière est un nouveau rassemblement qui regroupe des syndicalistes à l’intérieur du pays et d’ex-académiciens et diplomates à l’étranger. Ce mouvement populaire et ses directions politiques ont réussi à imposer leur vision en ce qui concerne le choix des représentants de l’Etat avec lesquels doivent s’engager des négociations sur la phase de transition. Les meneurs de la contestation ont réussi à faire tomber un comité sécuritaire dirigé par le ministre de la Défense, Awad bin Auf, le chef d’état-major de l’armée, le général Kamal Abdel-Maarouf, ainsi que le chef du service de renseignements, Salah Josh, parce que ces figures sont des symboles du régime et certains sont même accusés d’actes de génocide au Darfour. En plus de leurs appartenances idéologiques au Mouvement national islamique qui avait perpétré le coup d’Etat contre un pouvoir démocratique en 1989.
On peut dire que la situation géopolitique importante du Soudan a permis au président déchu Omar Al-Béchir d’avoir recours à des tergiversations et des tactiques pour rester au pouvoir tout au long des mois derniers. En effet, le Soudan possède 670 km sur les côtes de la mer Rouge et c’est un pays qui a un rôle influent sur la sécurité et la sécurisation du commerce mondial en mer Rouge. Le Soudan fait également partie des forces de la coalition pour la légitimité qui font la guerre au Yémen, et c’est aussi un pays influent sur la situation sécuritaire en Libye, au Tchad et dans toute la région du Sahel.
Préoccupations du voisinage

(Photo : AFP)
Partant, il est facile ainsi de comprendre pourquoi les voisins du Soudan ont adopté des initiatives pour une sortie sécurisée du président soudanais et ses hommes en contrepartie d’un transfert paisible du pouvoir qui n’influence pas la stabilité de l’Etat soudanais et de ses institutions. Effectivement, certains pays du Golfe avaient contacté l’ancien président soudanais à ce propos depuis l’année 2015, pour le convaincre de ne pas se présenter à l'élection présidentielle de la même année. Et une tentative a été faite par l’Egypte durant la première semaine après le déclenchement des protestations. Mais puisque la communauté internationale n’avait pas adopté une position tranchante contre Al-Béchir pour les considérations géopolitiques précitées, en plus d’une volonté régionale de ne pas provoquer un vide au pouvoir, le président soudanais avait continué à pratiquer sa tergiversation habituelle en considérant que les positions régionale et internationale lui permettaient de rester à la tête du pouvoir.
Les tergiversations de Béchir peuvent être divisées en 2 axes, l’un intérieur et l’autre régional. La plus dangereuse était la tentative de diviser le mouvement de protestation qui s’est soulevé contre son régime sur des principes ethniques dans une tentative de semer la discorde entre la région du Darfour et le milieu du Soudan. Or, la conscience des directions du mouvement populaire soudanais a épargné au pays des catastrophes humaines. Al-Béchir s’était également dissocié du Parti du congrès national, au pouvoir, le 22 février dernier, avait dissous le gouvernement d’union et avait décrété l’état d’urgence pour un an. De même, activistes et opposants politiques ont été arrêtés. Or, l’évolution la plus importante était l’agression quotidienne contre les manifestants siégeant devant le quartier général des forces armées du 7 au 10 avril courant de la part des forces de sécurité populaire, affiliées au Mouvement national islamique qui dirige le pays de 1989 et jusqu’à maintenant. Ces attaques ont causé la mort d’un nombre de manifestants.
Dans le contexte de ces évolutions importantes au Soudan, il semble que le respect des choix du peuple soudanais et de ses directions politiques est le meilleur moyen de sauvegarder l’Etat, surtout que le mouvement populaire possède des expériences historiques dans le changement politique pacifique pendant un demi-siècle. Ce mouvement et ses directions sont parfaitement conscients du volume des défis économiques que n’importe quel gouvernement soudanais futur doit affronter. Et enfin, la personne sur laquelle il y a eu un accord pour diriger la phase transitoire est le général Abdel-Fattah Al-Burhan Abdelrahmane, le dirigeant des forces maritimes, qui est une personnalité militaire de renommée et qui n’a aucune appartenance idéologique ni au Mouvement national islamique ni à la Conférence nationale qui dirigeait le Soudan.
Aussi, dans ce contexte critique, Le Caire est-il appelé à soutenir l’Etat soudanais au niveau économique en ce qui concerne les projets reportés concernant l’électricité et l’installation de boulangeries et lui fournir de la farine pour remédier à la crise du pain, en plus des contacts avec les élites civiles dans les universités et les centres intellectuels afin que l’interaction entre l’Egypte et le Soudan puisse aboutir à des résultats palpables à l’avenir l
*Chef du département des études africaines au CEPS d'Al-Ahram.
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