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Ahmad Amal : Le défi majeur est d’instaurer un climat de confiance jusqu’à la fin de la transition

Ola Hamdi, Mardi, 16 avril 2019

Dr Ahmad Amal, directeur de l’unité des études africaines au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS), revient sur les défis de la transition politique au Soudan et sur son impact sur la sécurité régionale.

Dr Ahmad Amal

Al-Ahram Hebdo : Que pensez-vous de la situation au Soudan, qui continue d’évoluer rapidement après la chute de Omar Al-Béchir ?

Ahmad Amal : La situation est très confuse aujourd’hui au Soudan, le pays entre dans une période transitoire dont les modalités restent encore inconnues. Toutefois, on constate que les contestations de la rue ont relativement diminué, par rapport aux 48 heures qui ont suivi l’annonce de la fin du règne d’Al-Béchir. Le conseil militaire, qui a ouvert un dialogue avec le mouvement de contestation pour examiner comment gérer la période transitoire, a annoncé certaines mesures allant dans le sens du changement. La décision la plus importante était la restructuration de l’armée, des deux appareils de renseignements et de la police. Pourtant, le défi majeur réside dans le fait de parvenir à instaurer une confiance durable entre les deux camps jusqu’à ce que le processus de transition touche à sa fin.

— Quels sont, d’après vous, les défis de la période de transition politique au Soudan ?

— Le processus de la transition au Soudan pourrait faire face à de nombreux défis. Le plus grave à mon avis, c’est le défi sécuritaire. La situation est très précaire dans certaines régions du Soudan, surtout dans le Darfour et dans le sud du Kordofan où des groupes rebelles armés sont actifs. Ceux-ci peuvent exploiter toute défaillance sécuritaire dans la capitale, Khartoum, pour imposer leur agenda séparatiste. Le défi économique pourrait également se dresser comme une grande entrave devant tout dialogue politique intersoudanais. Les prix élevés des denrées de base et la détérioration des conditions de vie ont été parmi les raisons principales qui ont mené au déclenchement de la première vague de manifestations anti-Béchir en décembre dernier. Les contestations qui durent depuis plus de 4 mois ont également aggravé la crise économique. Les défis politiques ne manquent pas. Eliminer Al-Béchir du pouvoir ne signifie pas nécessairement qu’on va commencer automatiquement une nouvelle période politique au Soudan. Il existe une crainte que le pays ne se trouve bloqué dans un processus de transition sans fin, à l’instar de certains pays d’Afrique subsaharienne où la période de transition a dépassé les cinq ans.

— Comment l’Association des Professionnels Soudanais (APS) réussit-elle à maintenir, jusqu’à présent, le mouvement des contestations dans la rue ?

— La popularité des partis de l’opposition traditionnels, dont certains ont entretenu des relations douteuses avec le régime déchu, s’est considérablement érodée, notamment auprès de la nouvelle génération soudanaise. Depuis la fin 2018, l’APS, un rassemblement formé de plusieurs syndicats, de professionnels et d'indépendants, est devenu le leader des contestations qui agitent jusqu’à présent les rues soudanaises. Pourtant, il est clair que ce rassemblement est sans leadership et ne possède pas d’agenda politique défini. Il faut aussi noter que les jeunes des partis traditionnels et même ceux des partis islamiques ne sont pas eux aussi loin de la scène de protestation. Cet amalgame pourrait provoquer des dissensions dans les rangs de ce mouvement. Ce qui rend difficile tout consensus.

— Y a-t-il des impacts des événements au Soudan sur la sécurité régionale, arabe et africaine ?

Le défi majeur est d’instaurer un climat de confiance jusqu’à la fin de la transition
Des manifestants soudanais rassemblés devant le quartier général de l'armée, à Khartoum. (Photo : Reuters)

— Certainement, si le Soudan plongeait dans le chaos, les répercussions pourraient dépasser ses frontières. Maintenir la stabilité au Soudan est la clé de la stabilité régionale. Tout désordre au Soudan aurait de graves conséquences, notamment sur la région de la Corne de l’Afrique et du Sahel où différentes formes de violence et de terrorisme se propagent. Sans oublier les groupes terroristes qui sont très actifs sur la scène libyenne. Le Soudan n’est également pas loin des tensions ethniques. En Ethiopie, plus de 2 millions de personnes ont été déplacées en 2018 à travers le pays en raison d’un conflit ethnique. Le Soudan possède lui aussi une longue histoire de violences communautaires. Si une nouvelle vague de violence ethnique éclatait au Soudan, toute la région serait plongée dans une spirale de violence civile difficile à contenir. Il y a enfin la menace migratoire. Avec l’absence d’un gouvernement au Soudan, il sera difficile de contrôler les vagues de migration clandestine.

— Et quelles peuvent être les conséquences en Egypte, notamment sur les dossiers conjoints tels que le barrage de la Renaissance ?

— La réaction de l’Egypte était rapide et très claire. Le ministère des Affaires étrangères a publié tôt un communiqué, soulignant que l’Egypte respectait le choix du peuple et exprimait sa totale confiance dans la capacité des Soudanais et de l’armée à surmonter cette étape cruciale et ses défis. La sécurité et la stabilité au Soudan constituent une partie intégrante de la sécurité nationale de l’Egypte. Toutefois, le processus de transition au Soudan pourrait retarder un peu les négociations sur le barrage, notamment que le sort de la réunion tripartite prévue en avril reste toujours inconnu. La reconstruction d’un nouveau système politique qui scelle des alliances régionales équilibrées consolidera certes la sécurité de toute la région.

— Comment évaluez-vous les réactions de la communauté internationale après la chute de Béchir ?

— Au départ, les réactions internationales n’étaient pas claires. La position européenne dans son ensemble a été prudente. Elle a évité de condamner tôt la destitution de Béchir, en se contentant de préconiser un transfert rapide du pouvoir aux instances civiles permanentes, et la nécessité d’éviter le recours à la violence. Washington a changé de ton après que le chargé d'affaires américain à Khartoum eut déclaré que son pays appréciait le rôle joué par le conseil militaire pour instaurer la stabilité au pays. En outre, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont déclaré leur soutien politique et économique au conseil militaire. La Ligue arabe, elle aussi, a exprimé dans un communiqué son soutien au plan de transition politique du Conseil militaire soudanais. Al-Béchir a adopté, au cours de ses dernières années au régime, une politique étrangère contradictoire, tant au niveau de ses alliances régionales qu’internationales. C’est pourquoi je pense que de nombreux pays dans le monde ont été dans l’attente de sa chute, sans pour autant la précipiter.

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