Un juillet pas comme les autres pour environ 5,2 millions d’employés du secteur public. C’est la date de l’entrée en vigueur d’un paquet de décisions qui donnera un coup de pouce aux salaires et aux retraites. Le salaire minimum sera augmenté de 67 %, pour passer de 1 200 L.E. à 2 000 L.E. Cette augmentation sera appliquée pour tous les employés de l’Etat qui bénéficieront également d’une augmentation annuelle de 7 % et une prime de 150 L.E. pour faire face aux effets de l’inflation. Quant aux employés à qui ne s’applique la loi sur la fonction publique, ils bénéficieront d’une augmentation exceptionnelle de 10 % avec un minimum de 75 L.E. Les retraités profiteront, eux aussi, d’une hausse des pensions de 15 % qui portera la pension minimale à 900 L.E. Un grand mouvement de promotion, gelé depuis 2014 et qui coûtera 1,5 milliard de L.E. à l’Etat, sera également lancé.
C’est, en fait, lors de la cérémonie organisée à l’occasion de la Journée de la femme égyptienne, le 30 mars, que le président Abdel-Fattah Al-Sissi a annoncé, en grande pompe, ces décisions avant de saluer les Egyptiens, « le vrai héros qui a supporté les mesures les plus difficiles prises en novembre 2016 ». A l’époque, le gouvernement a fait le choix économique le plus audacieux : la libéralisation du taux de change. Celle-ci a été suivie par d’autres mesures plus cruciales, comme par exemple l’instauration d’une taxe sur la valeur ajoutée et la réduction des subventions à l’énergie sur plusieurs phases. Ces mesures, qui visaient à redresser l’économie égyptienne dont tous les indicateurs étaient au rouge, ont provoqué un choc au niveau des prix.
Suite à l’annonce du président des nouvelles mesures sociales, les réunions du cabinet ministériel n’ont pas interrompu pour finaliser vite les deux lois concernant la hausse des salaires et des retraites, avant de les soumettre au parlement pour les approuver. Le projet du budget 2019-2020, portant le slogan « Budget pour le développement économique et humain : le citoyen d’abord », devra être débattu la semaine prochaine, sous la coupole.
Le texte préliminaire du projet du budget publié la semaine dernière par le ministère des Finances a dévoilé que plus de 300 milliards de L.E. seraient dédiées aux salaires dans le prochain budget contre 270 milliards l’année précédente. En fait, ces décisions coûteront à l’Etat environ 60 milliards de L.E. réparties comme suit : 30,5 milliards de L.E. pour les augmentations salariales, 28,5 milliards pour la hausse de pensions des retraités, et
1 milliard de L.E. pour ajouter 100 000 nouvelles familles au programme de subvention monétaire Takafol wa Karama (voir page 4).
Indice positif
Selon Medhat Al-Chérif, membre de la commission économique au parlement, la revalorisation des salaires et des retraites est un bon indice que la récolte des réformes économiques et des projets nationaux a bel et bien commencé. « Ces mesures interviennent alors que les agences de notation internationales ne cessent d’enregistrer de bonnes notes pour l’économie égyptienne », dit Al-Chérif, avant d’ajouter : « Le gouvernement a réussi à instaurer une politique de réforme monétaire et financière. Pourtant, le grand défi à relever dans les jours à venir c’est d’augmenter la production nationale, afin d’assurer des ressources effectives pour le financement de cette augmentation salariale ». Avis partagé par Adel Amer, économiste, qui pense en outre qu’il s’agit d’un bon premier pas en vue « de corriger le déséquilibre salarial dans l’appareil administratif de l’Etat ». Pour le spécialiste, il est aussi nécessaire de réduire le fossé des revenus entre les deux secteurs : public et privé. C’est pourquoi ce dernier ne doit pas tarder de rejoindre au plus vite ce processus de restructuration du salaire minimum.
« L’augmentation du salaire minimum devrait être étendue à tous les secteurs, puisqu’il s’agit d’un droit économique fondamental et l’un des outils les plus importants de la protection sociale et non pas un outil de distinction entre les citoyens ». Selon les statistiques, la part des salaires du secteur privé, qui absorbe environ 70 % de la main-d’oeuvre, représente uniquement 55 % du total des salaires au niveau national.
Risque d’inflation ?
Quels seraient les effets réels d’une hausse du salaire minimum sur l’inflation ? Et comment contrôler la hausse des prix, notamment avec l’approche du mois du Ramadan ? Autant de questions qui agitent aujourd’hui les réflexions des Egyptiens. Au cours des 10 dernières années, l’évolution du salaire minimum est passée par plusieurs étapes. La dernière hausse du salaire minimum remonte au janvier 2014, atteignant 1 200 L.E. contre 700 L.E. en 2012, et 400 L.E. en 2010. Selon Youmn Al-Hamaki, professeure d’économie à l’Université de Aïn-Chams, cette hausse doit être motivée par des considérations objectives, comme par exemple l’augmentation de la productivité et l’efficacité des salariés.
« Si les salaires du public augmentent et que la productivité se dirige vers le sens inverse, il est difficile d’éviter les effets inflationnistes. Il faut toujours assurer un équilibre entre salaire et productivité, puisque les salaires ne bougent pas vraiment, comparativement aux prix à la consommation », dit Youmn Al-Hamaki, avant de préciser : « Pour combattre avec une manière radicale l’inflation, il faut huiler les appareils de contrôle de l’Etat et briser les monopoles, afin de protéger le consommateur et préserver son pouvoir d’achat ». Pour l’économiste, la multiplication des marchés parallèles organisés par les institutions gouvernementales différentes à l’approche du Ramadan est en soi une bonne initiative, mais ils ne sont que « des solutions temporaires ». « Il faut réduire les canaux intermédiaires entre les producteurs et consommateurs et activer le rôle de l’appareil de la protection du consommateur », souligne Youmn Al-Hamaki.
Le rôle du citoyen
Le contrôle populaire est l’arme « la plus efficace pour faire face à la levée des prix », comme l’explique Al-Chérif. « Avec la nécessité d’une intervention gouvernementale pour réguler les marchés, le citoyen joue parfois un rôle plus tranchant. Car l’intervention du gouvernement pourrait se heurter au principe d’un marché libre. Le mouvement de boycott de Laissez-la rouiller offre un grand exemple de l’efficacité du contrôle populaire à renverser les rapports de force dans le marché des voitures », explique-t-il.
Lors de son discours le 30 mars, le président Sissi a lancé un appel aux Egyptiens de s’abstenir d’acheter les produits aux prix élevés. « C’est très simple. Le produit dont le prix flambe ne l’achetons pas. Et c’est ainsi que le commerçant se trouve obliger de réduire les prix », conseille le président. Arrêter la surconsommation et apprendre comment bien planifier le budget des ménages sont d’autres conseils présentés par l’économiste pour que le citoyen puisse bien sentir et investir de cette augmentation. Le mois de juillet s’approche et le débat fait rage sur comment la hausse du salaire devient une mesure dont tout le monde sortira gagnant.
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