Déformer la géogrphie. Washington s’apprête à actualiser ses cartes officielles, afin de confirmer la légitimité de l’annexion par Israël du Golan syrien, occupé depuis 1967. C’est ce que vient de dévoiler le Département d’Etat américain, le 27 mars, au lendemain de la reconnaissance de Trump de la souveraineté d’Israël sur ce plateau, déclenchant une onde de choc mondiale. Le Golan «
israélien » est une autre victoire pour Israël après le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem en mai 2018. Tel-Aviv n’était pas donc obligé d’entrer en guerre contre la Syrie pour acquérir une telle légitimité au moins par Washington. Mais c’était simplement un tweet en 280 caractères, posté par Trump le 21 mars, converti cinq jours après en un décret présidentiel qui a été signé devant les projecteurs et en présence du premier ministre israélien, Netanyahu. «
Après 52 ans, il est temps pour les Etats-Unis de reconnaître pleinement la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan, qui a une importance stratégique pour l’Etat d’Israël et la stabilité régionale », a tweeté Trump.
Plus de 100 ans après la promesse faite aux juifs de créer un Etat en terre de Palestine, la reconnaissance du Golan vient rappeler la célèbre phrase : « Celui qui ne possède pas offre à celui qui ne mérite pas ». De point de vue juridique, la décision de Trump n’aura aucun effet, puisque le Golan est « un territoire occupé », selon les résolutions 242 et 338 des Nations-Unies, qui s’opposent à l’acquisition de territoires par la force. Et que toutes les cartes des Nations-Unies confirment toujours que les hauteurs du Golan faisaient partie du territoire syrien. En fait, cette région montagneuse, à cheval entre le Liban, la Syrie, la Jordanie et Israël, était un territoire syrien avant même la création d’Israël. En 1916, les accords Sykes-Picot font du Golan une partie intégrante du mandat syrien confiée à la France. Après 1967, Israël a conquis une grande partie du Golan syrien (1200 km2). La Syrie a vainement tenté de récupérer ce plateau lors de la guerre de 1973. En 1974, une ligne de cessez-le-feu est établie avant que le parlement israélien n’adopte en 1981 la loi sur les hauteurs du Golan, proclamant unilatéralement la souveraineté d’Israël sur ce territoire. Cette annexion n’a cependant jamais été reconnue par la communauté internationale. Et depuis, toutes les tentatives de négociations en vue d’un échange de « la terre contre la paix » n’ont jamais abouti (voir chronologie).
Selon Ahmad Youssef, politologue, si dans les faits cette reconnaissance ne change rien sur le terrain, symboliquement, cela témoigne beaucoup. « Basée sur la logique : les rapports de force plutôt que le droit international, cette position prise par Trump alors qu’il s’apprête à dévoiler son plan de règlement du conflit arabo-israélien, émet des signaux très inquiétants que le pire est peut-être à venir », dit Youssef avant d’ajouter : « Washington insiste sur le fait de dessiner d’une manière unilatérale tous les détails de son plan sans aucune consultation ni avec les Palestiniens ni avec le reste des pays arabes ». Hier Jérusalem, aujourd’hui le Golan, en opérant ainsi, Trump exclut ces territoires arabes de toute négociation à venir. La question qui s’impose alors : à qui le tour ? Selon beaucoup d’analystes, cette reconnaissance pourrait ouvrir la voie vers d’autres annexions des territoires arabes occupés en 1967. Les regards se tournent maintenant vers la Cisjordanie, où les voix des Israéliens s’élèvent pour une annexion au moins partielle de ce territoire (voir article page 8).
Concernant le Golan, l’annexion n’était pas une grande surprise, puisque le 13 mars, Washington dans son rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde décrit pour la première fois le Golan, la Cisjordanie et Gaza comme des territoires « contrôlés par Israël » plutôt qu’« occupés par Israël », comme c’était auparavant le cas.
D’une pierre plusieurs coups
Reconnaître la souveraineté israélienne sur le plateau : pourquoi et pourquoi maintenant ? Selon Sameh Rashed, expert des affaires régionales à Al-Ahram, « le timing de la déclaration est très significatif. Celui-ci est motivé par des enjeux électoraux à la fois pour Washington et Tel-Aviv ». En prenant cette décision Trump, qui s’apprête à poser sa candidature pour la présidentielle 2020, « s’efforce graduellement à accomplir ses promesses électorales, notamment celle de soutenir à tout prix l’Etat israélien, afin d’obtenir le soutien médiatique et politique de sa base électorale : l’AIPAC, le lobby pro-israélien et la droite évangélique américaine », précise Rashed. De même, pour Netanyahu, inculpé dans trois affaires de corruption, l’annonce survient à un moment très critique. « A deux semaines des élections, cette décision vise à donner un coup de pouce à Netanyahu face à ses adversaires du parti Bleu et Blanc de Benny Gantz et Yair Lapid, les favoris des sondages », explique Rashed, avant d’ajouter une troisième raison qui concerne « le trio Trump-Israël-pays arabes ». « En attendant la publication du deal du siècle, la crainte au côté arabe ne cesse d’accroître. C’est pourquoi, Trump, en brandissant cet épouvantail, réussit à chaque fois de faire passer ses décisions les plus controversées dans la crainte du grand danger à venir », ajoute-t-il.
L’Iran, bête noire de Trump et allié de la Syrie, est également derrière cette décision. La présence iranienne dans les territoires syriens et le futur incertain d’une Syrie unifiée étaient parmi les arguments utilisés par Trump pour justifier cette annexion « afin d’aider Israël à assurer sa sécurité », selon les termes du locataire de la Maison Blanche. Mais en réalité, « il ne s’agit que d’une tentative d’associer Israël au processus de la recomposition de la scène syrienne de l’après-guerre », explique Youssef.
Avis partagé par Saïd Okacha, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, qui explique que la reconnaissance du Golan fait partie de la stratégie américaine de l’après-Daech en Syrie pour réduire l’influence russe et iranienne. Selon Okacha, cette stratégie vise à remodeler les rapports de force en exerçant, d’un côté, de fortes pressions sur le régime syrien, afin de l’obliger de changer « la carte de ses alliances » et à refléter, de l’autre côté, l’image de l’Iran et de la Russie comme étant « des alliés impuissants » d’aider la Syrie pour entamer la reconstruction et récupérer pleinement sa souveraineté territoriale.
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