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La Constitution de 1923, le chemin du libéralisme

Lundi, 11 mars 2019

Sur la base de la politique de modernisation adoptée par le khédive Ismaïl, le Conseil consultatif des députés avait été créé conformé­ment au règlement de 1866. Faisant office de Constitution, ce règlement détaillait les compétences du conseil et les conditions de choix de ses membres, entre autres disposi­tions. Un nouveau règlement fut élaboré en 1879 dans l’objectif de régulariser la vie parlementaire, mais fut rejeté par le khédive Tawfiq. Avec la Révolution de Orabi, un autre règlement, inspiré des principes constitutionnels modernes, fut adopté par le gouver­nement d’Al-Baroudi. C’est ainsi que la Constitution de 1882 fut pro­mulguée, ce qui mécontenta la Grande-Bretagne et la France.

Ensuite, dans la foulée de la Révolution de Orabi, la Constitution fut annulée. La même année, la Grande-Bretagne occupa l’Egypte et jugea bon de se contenter d’une forme parlementaire fade, limitée à un Conseil consultatif des lois et une Assemblée générale. En 1913, ces deux chambres furent rempla­cées par l’Assemblée législative, qui fut dissoute cinq mois après avec le début de la Première Guerre mondiale en 1914 et la déclaration de l’Egypte comme protectorat bri­tannique.

Avec le déclenchement de la Révolution de 1919 et les événe­ments qui suivirent, l’indépendance et la Constitution sont devenues les principales revendications natio­nales. Les négociations entre l’Egypte et la Grande-Bretagne se soldèrent par la Déclaration du 28 février 1922, laquelle abolit le pro­tectorat britannique, non sans cer­taines réserves.

Cette Déclaration permit à l’Egypte de se doter d’une Constitution et d’un gouvernement, la Grande-Bretagne ayant jugé qu’un gouvernement élu avait le double avantage de faciliter les négociations avec les Egyptiens et de réduire le pouvoir du souverain local. Confiant d’avoir la situation sous contrôle, le sultan Fouad 1er chargea Abdel-Khaleq Sarwat de former le gouvernement le 1er mars 1922 et de préparer la rédaction de la Constitution.

Le premier ministre déclara que la Constitution serait élaborée dans le respect de la séparation des pou­voirs, donnant ainsi au parlement le droit de contrôle sur l’exécutif. Deux semaines plus tard, la royauté moderne vit le jour, comme l’avait souhaité Fouad. La préparation du projet de Constitution et de sa loi était devenue une question d’actua­lité et d’opinion publique. Les médias y contribuèrent en publiant les opinions et les propositions les plus diverses, tandis que le Wafd et les partis National et Démocrate progressiste penchèrent pour l’élec­tion d’une assemblée constituante pour s’en occuper. Mais le premier ministre refusa de tenir compte de cette demande, la raison, comme il l’expliqua, étant que, d’un côté, il y avait des restrictions imposées par l’occupant britannique dans la Déclaration du 28 février, et d’un autre, le roi avec ses acolytes, notamment les grands propriétaires fonciers, qui avaient des intérêts à protéger.

Cela dit, Sarwat demanda au Wafd de participer, à hauteur de deux ou trois membres, au comité chargé de rédiger la Constitution. Le Wafd, Saad Zaghloul en tête, refusa de faire partie de ce « comité de malfaiteurs ». Le Parti national s’abstint à son tour, et du coup, le comité fut formé par la nomination de ses membres.

Le 3 avril 1922, le Conseil des ministres émit un décret pour la formation du comité constitution­nel, qu’on appela le « Comité des 30 », en référence au nombre de ses membres. Un éminent professeur de droit constitutionnel, Hussein Rochdi, présida ce comité, avec pour numéro 2 le juriste Ahmad Hechmat. Parmi les membres, il y avait d’anciens ministres, des juristes, dont Abdel-Aziz Fahmi, des membres de l’Assemblée légis­lative, des notables, des représen­tants des minorités, le mufti et le patriarche copte.

Environ six mois plus tard, le 21 octobre 1922, le projet de Constitution fut soumis à Sarwat. Pendant ce temps, l’opposition et la presse examinaient à la loupe les dispositions du texte. Les avis étaient partagés entre ceux qui vou­laient un roi qui règne sans gouver­ner et ceux qui estimaient que la royauté protégerait le pays contre les excès, d’autant plus dans un contexte de polarisation entre Saad Zaghloul et Adli Yakan.

La Constitution de 1923, le chemin du libéralisme

Le président du comité réussit à faire la part des choses, bien qu’il ait eu tendance à vouloir satisfaire le penchant autoritaire du roi, de peur que celui-ci ne mette un terme à l’expérience constitutionnelle. Néanmoins, il insista sur le fait que la « nation est la source de tous les pouvoirs ». Dans tout cela, le prési­dent du comité eut le soutien de Sarwat.

Afin de renforcer cette politique, il fut convenu de créer le Parti libé­ral constitutionnel. Le projet de Constitution fut envoyé au Comité consultatif du gouvernement pour approbation. Comme prévu, le roi et son premier ministre tombèrent en désaccord, le premier ayant vu dans la Constitution une épée de Damoclès sur son devenir.

En ce qui concerne les Britanniques, Londres s’opposa à deux articles sur le Soudan, dont l’un gratifiait le roi du titre de « roi d’Egypte et du Soudan ». Londres argua que l’accord de 1899 ne pré­voyait pas l’instauration de Abbas Helmi II comme « khédive d’Egypte et du Soudan ». L’autre article concernait le régime de gouver­nance au Soudan. D’après Londres, ces deux articles étaient en contra­diction avec la Déclaration du 28 février.

Pour sa part, l’opposition cri­tiqua le projet de Constitution et réserva ses flèches les plus acé­rées à Sarwat. Le roi en profita pour se débarrasser de ce der­nier, et confia la formation d’un nouveau gouvernement à son chef de cabinet royal, Mohamad Tewfiq Nessim, le 30 novembre 1922. Nessim, qui entretenait de bonnes relations avec le roi, s’empressa de modifier le projet de Constitution pour sauvegar­der les pouvoirs royaux et les intérêts britanniques. Ses déci­sions remontèrent l’opposition et la presse.

Le gouvernement de Nessim ne vécut qu’une dizaine de semaines, celui-ci démissionna en raison des ingérences britan­niques dans la rédaction de la Constitution et suite à l’avertis­sement adressé par le consul britannique à l’intention du roi. Le 15 mars 1923, Yéhia Ibrahim, désigné par le roi, forma son gouvernement dans un climat politique tendu.

L’opposition qui, au départ, dénonça le projet de Constitution, en arriva à la défendre contre les modifica­tions introduites par Nessim. Face à cette situation difficile, et sous pression du premier ministre, le roi ratifia la Constitution qui fut promulguée par décret royal le 19 avril 1923.

Bien que la Constitution sti­pulât que la nation soit la source de tous les pouvoirs, elle posait des limites à certaines libertés sous prétexte de préserver l’ordre social. La peur du com­munisme et de ses « idées sub­versives » explique en partie cette peur des libertés.

La Constitution donnait égale­ment au roi de larges pouvoirs. Il avait le droit de dissoudre le parlement, d’accorder les titres et distinctions civils et mili­taires, de nommer et de limoger les officiers ainsi que de nom­mer le président du Sénat et un cinquième de ses membres. Le roi avait également une autorité sur les institutions religieuses, en particulier Al-Azhar. Dix jours après la promulgation de la Constitution, la loi électorale fut votée, le 30 avril 1923. Elle prévoyait la tenue d’élections libres et transparentes. C’est le Wafd qui les remporta, avec la bénédiction des Britanniques, qui y trouvèrent un interlocuteur moins impérieux que le roi. Celui-ci ne se sentait pas assez fort pour protester.

Il ne fait aucun doute que la Constitution a eu plusieurs aspects positifs. Elle traça le chemin du libéralisme écono­mique et politique qui allait façonner la société, ainsi que le chemin de la lutte politique, marquée par le conflit entre le Wafd et le Palais et jalonnée de coups constitutionnels. Grâce à la Constitution, la loi martiale fut abolie, les prisonniers poli­tiques furent libérés, les exilés purent rentrer en Egypte, y com­pris Saad Zaghloul, qui reprit son combat pour l’indépen­dance. Il est intéressant de noter qu’après s’être d’abord opposés à la Constitution, le Wafd et ses dirigeants, Saad Zaghloul et après lui Moustapha Al-Nahhas, s’en sont servis à maintes reprises face au roi. Il faudra attendre la Révolution du 23 Juillet 1952 pour que la Constitution de 1923 soit abolie pour se défaire des « temps révolus » .

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