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Rabha Allam : La lutte contre l’idéologie de Daech est la phase la plus difficile

Ola Hamdi, Mardi, 26 février 2019

Rabha Allam, chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, décrypte les enjeux du retour des combattants de Daech dans le monde arabe et en Europe.

Al-Ahram Hebdo : Après la défaite territoriale de Daech, quel sera l’impact du retour des combattants étrangers dans la région ? Et quels sont les pays arabes les plus affectés par ce phénomène ?

Rabha Allam : Les défis varient d’un pays à un autre. La plupart de ces combattants proviennent de Tunisie et d’Arabie saoudite. Cela fait déjà un an et demi que des combattants tunisiens capturés en Syrie sont expatriés vers la Tunisie. Ou bien ils sont détenus en prison ou bien ils suivent des programmes de réhabilitation. L’objectif étant de « déradicaliser » ces jeunes. Le ministère tunisien de l’Intérieur mène, en effet, une expérience similaire à l’expérience égyptienne des années 1990. Quant à l’Arabie saoudite, elle avait lancé en 2000 une initiative appelée « Al-Monassaha » (le conseil) destinée aux jeunes qui avaient succombé aux idées terroristes propagées par Al-Qaëda via Internet. Les érudits religieux et les chefs de familles de ces jeunes établissaient un dialogue pour les dissuader d’adopter la violence. Avec la possibilité, pour ces condamnés, de bénéficier d’une grâce, d’une opportunité de poursuivre leur vie normalement et d’être réintégrés dans la société. Mais, jusqu’à présent, l’Arabie saoudite n’a pas annoncé sa position envers les rapatriés en provenance de Daech.

— Compte tenu du chaos qui y règne, la Libye pourrait-elle devenir le nouveau refuge des groupes extrémistes ?

— Lorsque Daech a perdu son influence en Syrie et en Iraq, et plus particulièrement après la bataille de Raqqa, ses leaders et certains de ses membres ont quitté la ville pour s’installer dans les zones désertiques. Ils sont restés hors de vue pendant un moment. A cette période, plusieurs rapports des services de renseignements prévoyaient que ces éléments se dirigent vers d’autres endroits, à savoir la zone située entre le Pakistan et l’Ouzbékistan, mais surtout vers la Libye vu la faiblesse de son autorité centrale et le manque de sécurité. De plus, les groupes armés dans toute la Libye n’ont pas assez d’expérience de combat pour vaincre les éléments de Daech qui, par contre, ont une grande expérience acquise de leurs longs combats en Syrie et en Iraq.

— Quels défis soulève le retour des combattants étrangers en Europe ?

— La plupart des pays européens ont adopté de nouvelles lois concernant les rapatriés visant à réglementer leur situation et à leur garantir un procès équitable, surtout pour les familles, les femmes et les enfants. Au Royaume-Uni, on évoque la possibilité de déchoir les djihadistes de leur nationalité, et donc empêcher leur retour, une décision controversée et qui n’a pas été encore approuvée. Quant à la France et l’Allemagne, elles ont accepté d’accueillir leurs rapatriés. En Allemagne, ils seront jugés au cas par cas avant de suivre des programmes de réhabilitation dès qu’ils seront mis en détention.

— Mais il existe aussi la problématique des enfants …

— Au cas où on retirerait la nationalité de leurs parents, ils deviendraient des apatrides. Au cas où on les accueillerait, ils seraient retirés à leurs familles et confiés aux institutions publiques jusqu’à ce que de nouvelles familles les adoptent. Mais ces solutions ne sont pas effectivement mises en oeuvre, d’autant plus que la plupart des rapatriés jusqu’à présent n’avaient pas d’enfants. Les combattants qui ont des épouses et des enfants n’ont pas encore quitté la Syrie. Malheureusement, leur nombre est assez important, car Daech encourageait les jeunes combattants à se marier et à avoir des enfants en augmentant leurs salaires en fonction du nombre de leurs enfants.

— Dans les années 1990, l’Egypte avait eu une expérience pilote dans la lutte antiterroriste. Quels étaient les facteurs de cette réussite ? Et peut-on aujourd’hui appliquer la même politique ?

— L’Egypte fut l’un des premiers pays à affronter le radicalisme et le terrorisme. Dans cette guerre contre le terrorisme, on a découvert que les solutions sécuritaires étaient insuffisantes, car il s’est avéré que ce sont les idées religieuses erronées qui incitent ces jeunes à adopter la violence. C’est ainsi que l’on s’est adressé à Al-Azhar et ses oulémas qui avaient pour rôle de réfuter les idées extrémistes par des arguments du Coran et de la Sunna. Al- Azhar a alors publié un livre intitulé Bayan lel Nass (communiqué à la population) qui répondait à toutes les questions sujet de controverse. C’est grâce à cette initiative que les dirigeants de la Gamaa islamiya ont renoncé à la violence et aux idées radicales, ce qui a donné lieu à un débat entre ces dirigeants et les membres plus jeunes. Un débat qui aboutissait dans la plupart des cas au rejet de la violence. Ces dirigeants ont fait le tour des prisons où étaient détenus des membres de la Gamaa pour les convaincre eux aussi de rejeter la violence. De plus, l’Etat s’est donné pour mission de réintégrer les repentis dans la société après leur sortie de prison en leur présentant des offres d’emploi, tout en demeurant sous surveillance sécuritaire.

Il est vrai que l’Egypte possède une grande expérience en la matière. Mais cette fois-ci, les rapatriés ne sont pas seulement des combattants, mais aussi des femmes et des enfants. Des solutions sociales et éducatives sont donc à envisager.

— A votre avis comment « déconstruire » l’idéologie de Daech ?

— C’est en effet la phase la plus difficile. La confrontation devrait être donc au niveau intellectuel. Cette confrontation consiste, d’une part, à discuter, à réfuter et à contester les idées extrémistes. Et d’une autre part, il faut affronter le problème au niveau économique. Dans la plupart des cas, ce sont les jeunes marginalisés et en difficulté financière qui trouvent refuge en l’extrémisme.

Les pays européens ont mis en place des programmes pour la lutte contre l’extrémisme. Par exemple, en Angleterre, et particulièrement après les attentats de Londres commis par Al- Qaëda, les municipalités ont adopté des programmes d’alerte précoce pour surveiller les jeunes. De plus, une ligne rouge a été mise au service des familles, afin de protéger les enfants et surtout les adolescents de l’idéologie extrémiste.

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