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UE-Ligue arabe : Un dialogue nécessaire

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 19 février 2019

Le premier sommet Union européenne-Ligue arabe se tiendra à Charm Al-Cheikh ces 24 et 25 février. Au menu : le renforcement de la coopération arabo-européenne et la question de migration, mais aussi des dossiers politiques, tels le processus de paix, la Syrie ou la Libye. Dossier

UE-Ligue arabe : Un dialogue nécessaire
Le 4 février 2019, les ministres de l'Union européenne ont rencontré leurs homologues de la Ligue arabe à Bruxelles.

Le compte à rebours est lancé. La distribution des invitations destinées à 50 pays, 22 pays arabes et 28 pays européens, a débuté. Les préparatifs s’accélèrent dans la station balnéaire de Charm Al-Cheikh, pour accueillir le premier sommet Union Européenne (UE)-Ligue arabe les 24 et 25 février. Coprésidé par le président Abdel-Fattah Al-Sissi et le président de la Commission européenne, Donald Tusk, cet événement devra rassembler, pour la première fois, les chefs d’Etat ou de gouvernement des deux parties autour d’une table ronde. « Le voisinage arabo-européen est lié par une histoire millénaire. Le monde arabe est le premier partenaire de l’Europe. Ce qui nécessite de mener un dialogue plus approfondi non seulement sur le plan économique, mais de l’élargir à d’autres domaines d’intérêt commun », a dit le président Abdel-Fattah Al-Sissi lors de son discours prononcé le 16 février, devant la conférence pour la sécurité à Munich (voir page 6). Et d’ajouter : « La stabilité et la sécurité dans la région arabe sont intrinsèquement affectées par la stabilité et la sécurité en Europe et vice-versa. Le Sommet arabo-européen est une démarche essentielle qui sera suivie par beaucoup d’autres ».

Même son de cloche côté européen. A l’approche du sommet, les déclarations émises de l’autre côté de la Méditerranée ne manquent pas d’enthousiasme. « Tout ce qui se passe dans le monde arabe touche les Européens, et tout ce qui se passe en Europe touche le monde arabe. Il est de notre responsabilité d’unir nos forces pour trouver des solutions communes aux défis communs », a déclaré Federica Mogherini, haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, lors de la réunion ministérielle UE-Ligue arabe qui s’est tenue le 4 février pour la première fois à Bruxelles, en prélude au Sommet de Charm Al-Cheikh.

Plusieurs axes

Les consultations sont en cours sur des sujets qui peuvent être discutés lors de la rencontre, c’est ce qu’a dévoilé Hossam Zaki, secrétaire général adjoint de la Ligue arabe au cours d’une conférence de presse, en démentant des informations selon lesquelles ce sommet portera seulement sur la question migratoire. « Les dirigeants arabes et européens discuteront de toutes les questions et sujets d’intérêt commun. Il n’y a pas un seul sujet, et chaque partie a ses propres préoccupations », ajoute-t-il. Sur le site de l’UE, la Commission européenne a précisé les points essentiels de son agenda : « le multilatéralisme, le commerce et l’investissement, les migrations, la sécurité, la situation dans la région ».

La question qui se pose alors est de savoir si ce sommet donnera un nouveau souffle aux relations entre les deux rives de la Méditerranée. En fait, l’idée d’organiser une telle rencontre émergeait lors du Sommet arabe qui s’est tenu en 2017 à la mer Morte. « Cette proposition intervenait alors que les conflits faisaient rage dans la région. Et au moment où le vieux continent n’était pas du tout à l’abri de ces conséquences dramatiques », explique l’ambassadeur Hassan Rakha, membre dans le Conseil égyptien des affaires étrangères. Les attaques terroristes et les flux migratoires touchent de plein fouet certaines capitales européennes. Ce qui a provoqué un changement radical dans la carte des partis politiques européens, où la droite s’impose aujourd’hui avec force. « Deux ans après, le dialogue euro-arabe devient plus que jamais nécessaire. Cette rencontre élargie reflète une volonté collective de trouver un terrain d’entente autour de nombreuses questions », dit Rakha. En fait, les tentatives d’assurer un dialogue euro-arabe n’ont jamais été interrompues et ont pris plusieurs formes. On peut citer « le premier dialogue euro-arabe » lancé en 1973, « le Processus de Barcelone » en 1995, « la politique européenne de voisinage » en 2003, et enfin, « l’Union pour la Méditerranée » en 2008.

Par ailleurs, « le timing du sommet revêt une importance particulière. Ce sommet intervient à un moment décisif pour l’Europe, où plusieurs échéances essentielles surviendront dans les mois à venir et qui auront des impacts directs sur le monde arabe », explique Bahaa Mahmoud, spécialiste des affaires européennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, avant d’ajouter : « Les résultats des élections du parlement européen, qui devront avoir lieu après trois mois, pourraient reformuler la nature des relations de l’Europe non seulement avec les pays arabes, mais aussi avec le monde entier. Le Brexit est un autre défi. A presque un mois de la date prévue pour la sortie de l'Angleterre de l’UE, le 29 mars, des interrogations se posent déjà, notamment du côté arabe : quelle sera la nouvelle politique sécuritaire que l’UE adoptera après la sortie de la force militaire la plus puissante de l’organisation ? ».

Le choix de l’Egypte pour accueillir ce sommet n’est pas non plus fortuit. L’Europe mise sur l’Egypte pour régler plusieurs questions. Selon le rapport publié en décembre sur le partenariat entre l’UE et l’Egypte pour la période allant de juin 2017 à mai 2018, « l’Egypte a continué de s’engager en tant qu’acteur régional sur des questions régionales et internationales essentielles, notamment dans la perspective de sa présidence de l’Union africaine, comme le processus de paix au Moyen-Orient, la Syrie, la Libye, l’Afrique, la situation dans le Golfe et la coopération euro-méditerranéenne ».

Politique et économie

Renforcer la coopération économique entre l’UE et les pays de la Ligue arabe sera aussi l’un des enjeux de ce sommet. L’Europe est le premier partenaire commercial du Moyen-Orient. Le volume des échanges commerciaux entre l’Union européenne et les pays du Conseil de coopération du Golfe ont atteint 155 milliards de dollars en 2017. Quant aux pays du Maghreb, les échanges commerciaux avec l’Europe représentent entre 50 et 70 % du total de son commerce extérieur avec le reste du monde. L’UE constitue la principale source d’investissements directs étrangers pour l’Egypte à hauteur de 60 %.

Si les chiffres économiques indiquent que le partenariat arabo-européen est sur le bon chemin, « sur le plan politique, il est difficile de dire qu’il existe une stratégie européenne unifiée vis-à-vis des conflits du monde arabe », explique Mohamad Mabrouk, spécialiste des affaires régionales à Al-Ahram. « Ce sommet pourrait être une bonne occasion de tirer des engagements politiques du côté européen et de l’inciter à adopter une position commune autour des questions régionales lors du sommet », ajoute-t-il. Parmi les points de discorde à relever entre les deux parties, explique Mabrouk, figure « la question de la reconstruction de la Syrie ». Le parlement européen a confirmé, la semaine dernière, son refus de donner le feu vert au processus de la reconstruction tant que la transition politique du régime syrien reste en suspens.

Concernant « la question du transfert des ambassades à Jérusalem, les pays arabes craignent un effet domino après que certains pays européens ont déclaré leur intention de transférer leur ambassade à la ville sainte », précise Mabrouk. « Il est prévu que le communiqué final renfermerait un projet de résolution appelant les pays européens à adopter l’initiative arabe pour la paix et à exercer des pressions sur la communauté internationale pour déployer plus d’efforts, afin de régler la cause palestinienne conformément aux résolutions onusiennes basées sur la solution à deux Etats », ajoute-t-il. Redéfinir le concept du terrorisme et la source de financement, un autre point de discussion qui nécessite un consensus arabo-européen, comme l’explique Mabrouk. Donner également une définition claire du statut de réfugiés, soit dans un pays arabe ou européen, est un autre enjeu du sommet. Faut-il les intégrer dans la société, ou les placer dans de centres de débarquement, une solution préconisée par l’UE ?

Le duo sécuritémigration, priorité européenne

En fait, le duo sécuritémigration figurera au coeur de l’agenda européen. Pour l’Europe, l’Egypte est « un partenaire sérieux » et « joue un rôle modèle » dans la lutte contre les migrations irrégulières à destination de l’Europe. En septembre 2016, l’Egypte a déclaré avoir mis un terme à la migration illégale à partir de son littoral. La stratégie européenne concernant ce sujet s’articule autour de trois axes, comme l’explique Bahaa Mahmoud.

Le premier consiste à renforcer le partenariat économique avec des pays d’Afrique du Nord pour empêcher les traversées de la Méditerranée.

Le second consiste à augmenter l’efficacité de la coopération sécuritaire et des exercices conjoints dans la Méditerranée. Le dernier, qui a été accueilli par un refus par beaucoup de pays de l’Afrique du Nord, en tête l’Egypte, c’est de créer des centres de débarquement des migrants hors d’Europe. « Pour l’Egypte, il est hors de question d’accueillir de tels centres, qui pourraient représenter un fardeau supplémentaire pour elle, qui abrite déjà 5 millions de réfugiés et qui sont parfaitement intégrés dans la société et bénéficient des droits de base comme tout citoyen égyptien », dit Mahmoud, avant de conclure : « La solution préconisée par l’Egypte pour mettre fin à ce phénomène, c’est de s’attaquer premièrement aux causes profondes de la migration, à savoir la résolution des conflits et le développement de la région ».

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