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Sameh Rashed : Les contextes régional, international et interne ont favorisé le renversement du shah

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 05 février 2019

Sameh Rashed, spécialiste des affaires régionales à Al-Ahram, revient sur les facteurs historiques qui ont mené au déclenchement de la Révolution iranienne en 1979 et sur la politique iranienne au cours des ces 40 ans.

Al-Ahram Hebdo : Dans quel contexte la Révolution iranienne a-t-elle survenu ?

Sameh Rashed : Quand la Révolution iranienne a éclaté, les deux contextes régional et mondial étaient complètement différents par rapport à l’heure actuelle. Sur le plan régional, l’Egypte était isolée après la conclusion de la paix entre l’Egypte et Israël. Les pays du Golfe commençaient à peine à bénéficier de leurs richesses pétrolières. L’Iraq dominait la scène en l’absence de l’Egypte. Quant à Israël, vaincu dans la guerre de 1973, il souffrait encore de la défaite. Sur le niveau mondial, l’Administration démocrate de Carter a lâché le shah Reda Pahlavi, donnant le feu vert à la France de soutenir Khomeyni en tant que force islamique alternative. L’Occident a trouvé en l’Egypte sous la présidence d’Anouar Al-Sadate une alternative fiable au shah d’Iran. Quant au paysage interne iranien, celui-ci était gravement secoué par une crise économique et sociale généralisée et une répression sécuritaire sanglante sous le shah. . Bref, le contexte régional, international et interne a favorisé le renversement du shah et la montée du régime des mollahs à Téhéran.

— 40 ans après, quel bilan peut-on faire aujourd’hui de la Révolution iranienne ?

— Après une longue période de guerres et de crises successives, les Iraniens ont découvert qu’ils ne sont pas encore sortis de la pauvreté et qu’ils sont toujours soumis à un contrôle sécuritaire qui a changé seulement de nom et de prétextes pour justifier l’usage de la force. Les Gardiens de la révolution devient l’appareil sécuritaire terrifiant qui a pris la place du SAVAK, les services de renseignement sous le shah.

Le contexte social est aujourd’hui en pleine mutation en Iran. La société iranienne, grâce au développement des moyens de communication, est devenue plus ouverte, notamment après la signature de l’accord nucléaire en 2015. Les orientations et aspirations des nouvelles générations pour un mode de vie à l’occidentale, chinoise ou même russe ont changé l’équilibre sociopolitique iranien. Sur le plan économique, l’économie iranienne continue à subir les pertes de quatre décennies de sanctions qui n’ont été levées que temporairement après la signature de l’accord nucléaire avant d’être rétablies une autre fois, beaucoup plus dures, sous Trump.

— Comment la politique étrangère de l’Iran a-t-elle évolué depuis la Révolution ? Et Comment voyez-vous la dualité entre idéologie et pragmatisme de la stratégie iranienne ?

— Au cours de ces années, la politique étrangère de l’Iran s’est transformée d’une politique révolu tionnaire dans les années 1980, fondée sur des considérations idéologiques, en une politique pragmatique motivée par des visées hégémoniques et expansionnistes au Moyen-Orient. Cela s’est manifesté dans la tentative iranienne de renouer des relations avec les différents pays du monde quelles que soient leurs religions ou leurs orientations politiques. Téhéran a renforcé ses relations avec la Russie, l’ex-Union soviétique, la Chine et plus tard la Corée du Nord. Téhéran a accordé également un grand intérêt à l’Afrique en adoptant une politique d’influence à plusieurs facettes : culturelle, économique et commerciale. Au Moyen-Orient, la politique iranienne a beaucoup évolué. Après avoir adopté officiellement dans les années 1980 le principe de l’exportation de la révolution, l’Iran a fait semblant de changer de stratégie pour déclarer, dans les années 1990, une nouvelle politique de bon voisinage et de non-ingérence. Pourtant, sur le terrain, l’intervention iranienne était très visible et prenait même plusieurs formes. Au cours des deux dernières années, Téhéran a ouvertement déclaré à maintes reprises qu’elle avait la capacité d’influencer la politique de plusieurs pays arabes.

Cela veut dire que l’Iran, au cours de ces décennies, a abandonné le rôle de prédicateur religieux pour dévoiler certaines caractéristiques de la personnalité perse, à savoir l’impérialisme et la supériorité, en particulier sur les Arabes. Le monde n’est plus divisé comme l’a dit Khomeyni entre Dar Al-Salam (la maison de paix) et Dar Al-Harb (la maison de guerre).

— A votre avis, quelles sont les raisons de cette transformation fondamentale ?

— Les raisons sont multiples. La plus importante est notamment l’effondrement de l’Union soviétique qui a laissé la scène vide pour une domination américaine pendant plus de deux décennies. Téhéran se trouve donc obligé de s’entretenir avec le « Grand Satan », les Etats-Unis, d’une manière réaliste. Et de réduire par la suite les slogans religieux auxquels elle recourait auparavant pour consolider à l’intérieur la légitimité de la Révolution islamique. En parallèle, la Révolution islamique constituait une menace directe pour la région du Moyen-Orient, qu’il s’agisse des pays arabes ou d’Israël. Ainsi, lorsque Téhéran s’est retrouvé à la fois face à une confrontation directe avec Washington et avec ces pays, il a allégé la propagande promue par Khomeyni au cours des dix premières années de la révolution, à savoir que Téhéran va exporter sa Révolution islamique aux peuples vulnérables du monde, à commencer par les pays de la région.

— Les relations entre les Etats-Unis, anciens alliés du shah, et l’Iran ont été conflictuelles depuis l’instauration de la République islamique. Sont-ils vraiment des ennemis ?

— Depuis la Révolution islamique de 1979, les relations entre l’Iran et les Etats-Unis sont toujours complexes et multiformes. Washington aurait pu sauver le régime du shah et avorter la Révolution khomeyniste ; mais il ne l’a pas fait. Il a laissé le processus du renversement du shah s’accomplir jusqu’à la fin et s’est contenté d’imposer des sanctions au nouveau régime. A son tour, Téhéran a répondu à ces sanctions par des mesures de pure forme, en utilisant un discours anti-américain et soulevant des slogans comme « Mort à l’Amérique » ou en désignant Washington comme « le Grand Satan ». On peut donc là parler d’un double objectif : consolider le front interne du régime iranien dont la légitimité est fondée sur l’hostilité vis-à-vis du plus grand allié du shah et faire en sorte que la Révolution islamique gagne une popularité à l’étranger auprès des peuples « vulnérables », selon les termes de Khomeyni.

Mais la réalité des relations était autre. Il y a de nombreux exemples qui le prouvent. Comme l’acquisition d’armes américaines qu’Israël a transférées à l’Iran pendant la guerre contre l’Iraq, connue par le scandale de l’Iran Gate. Une autre preuve : le rôle joué par Téhéran pour faciliter l’invasion américaine de l’Iraq en 2003, Cette approche pragmatique a été confirmée par la réponse rapide de l’Iran à l’appel d’Obama de négocier autour du programme nucléaire iranien. A l’époque, le discours officiel a essayé de commercialiser cet accord comme étant une grande victoire pour l’Iran pour que l’affaire ne paraisse pas devant l’opinion publique comme étant une contradiction dans les positions iraniennes envers l’ennemi américain.

Avec l’arrivée de Trump au pouvoir, le retrait américain de l’accord nucléaire a de nouveau alimenté la rhétorique anti-américaine en Iran.

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