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Deux noms à retenir

Rasha Hanafy, Lundi, 21 janvier 2019

Pour son jubilé d’or, le Salon international du livre du Caire rend hommage à ses deux initiateurs, l’ancien ministre de la Culture, Sarwat Okacha, et l’académicienne Sahir Al-Qalamawi, présidente de l’Etablissement public de l'édition.

Deux noms

L’affiche du Salon international du livre du Caire porte les photos du ministre Sarwat Okacha et de l’aca­démicienne Sahir Al-Qalamawi, chargée par le premier de superviser la création du premier Salon du livre.

Cette dernière était la première femme en Egypte à s’inscrire à l’Université du Caire (à l’époque Université Fouad Ier). Formée dans une école anglaise, elle a choisi d’intégrer le département de langue arabe de la faculté des lettres, et d’être la seule femme parmi qua­torze étudiants. Ensuite, elle a été la première femme égyptienne à obte­nir un doctorat en littérature arabe, en 1941, la première professeure, puis présidente du département de langue arabe entre 1958 et 1967. Elle fut également la première femme à obtenir une licence de journalisme en Egypte.

Figure littéraire et culturelle égyptienne, Al-Qalamawi est égale­ment l’une des premières femmes égyptiennes à occuper un certain nombre de postes, notamment celui de présidente de l’Union des fémi­nistes égyptiennes et de présidente de l’Etablissement public de l’édi­tion— aujourd’hui le GEBO (l’Or­ganisme égyptien général pour le livre) — de 1967 à 1971. En 1958, elle entame une carrière politique en tant que députée au parlement jusqu’en 1964, puis y rentre de nouveau entre 1979 et 1984.

Née au Caire en 1911, elle grandit au sein d’une famille très attachée à l’instruction de ses membres fémi­nins. « Mon père était un médecin chirurgien qui travaillait entre Tanta, au Delta, et Le Caire. Ma mère, issue d’une famille aristocra­tique, parlait le français et l’italien. Je faisais mes études jusqu’au cycle secondaire dans un lycée américain pour filles », écrivait Al-Qalamawi dans ses mémoires. En 1928, après le rejet de son inscription à la faculté de médecine, à cause du certificat américain, elle se spécia­lise en lettres au département de langue arabe, dirigé par Taha Hussein, son professeur et père spi­rituel. En 1935, elle publie son pre­mier ouvrage, un recueil de nou­velles, Ahadis Jaddati (les contes de ma grand-mère). Elle y analyse le rôle social de la femme en tant que préservatrice de l’histoire de la communauté et s’y appuie sur la culture du récit oral. Cet ouvrage est également le premier recueil de nouvelles rédigé par une femme à être édité en Egypte.

Ses écrits comprennent deux volumes de nouvelles, dix études critiques et de nombreuses traduc­tions de la littérature mondiale. Al-Qalamawi est considérée comme une figure littéraire remar­quable du mouvement culturel contemporain en Egypte.

Elle a joué un rôle important dans la fondation de la première biblio­thèque au sein du théâtre Ezbékiyeh, visant à vendre les livres à moitié prix. Lorsqu’elle était chargée de créer le premier Salon du livre au Caire, elle y a consacré un coin pour les enfants. C’était le noyau d’un éventuel salon consacré aux livres pour enfants.

Al-Qalamawi a aussi donné la chance à quelques 60 romanciers afin de publier leurs romans et nou­velles, à travers la série Ouvrages nouveaux. C’est elle qui a permis, à titre d’exemple, au jeune poète, à l’époque, Ahmad Fouad Negm de publier son premier recueil Des Images de la vie et de la prison, qu’il a rédigé alors qu’il était détenu dans les années 1970.

Cette académicienne adulée par ses disciples a enseigné à plusieurs hommes de lettres, dont le poète Salah Abdel-Sabour, le critique et universitaire Abdel-Moneim Talima ainsi que l’ancien ministre de la Culture Gaber Asfour. Ce dernier a d’ailleurs publié, à plusieurs reprises, des articles rendant hom­mage à sa professeure et directrice de thèse. « Al-Qalamawi respectait la liberté d’expression et croyait en toutes sortes de libertés ainsi qu’au droit à la différence. Elle lassait à chacun de ses étudiants le choix de sa méthodologie, selon le courant intellectuel qu’il suit. C’était une militante libérale, très reconnais­sante vis-à-vis de son professeur, l’écrivain Taha Hussein », précise Asfour dans l’un de ses articles de presse.

Le général des lettres et des arts

Ancien militaire, ancien rédac­teur en chef, ancien attaché mili­taire, ancien ambassadeur, mais aussi et avant tout, ancien et pre­mier ministre de la Culture en la République arabe d’Egypte après 1952, Sarwat Okacha est le cheva­lier de la culture comme le surnom­ment de nombreux intellectuels. Ministre de la Culture sous Nasser, à trois reprises, entre 1958 et 1970, il a jeté les fondements de la scène culturelle en Egypte, à l’époque, et a réalisé plusieurs exploits dans les postes successifs qu’il a remplis : attaché militaire, rédacteur en chef, ambassadeur, etc.

Né en 1921, Okacha avait tou­jours eu un penchant pour les lettres et les arts. Il a commencé par faire des études de droit, pendant six mois, avant d’aller se joindre à l’école militaire comme son père.

Officier libre, ce fut un compa­gnon de Nasser qui, sachant ses penchants intellectuels, l’a choisi à la tête du ministère de la Culture.

Okacha a ainsi créé de nombreux organismes qui ont enrichi la vie culturelle à ce jour. Citons-en le Haut Conseil pour les arts et les lettres (aujourd’hui le Conseil suprême de la culture), l’Orga­nisme général du livre, les Archives nationales des documents, les Palais de la culture et l’Académie des arts ainsi que tous les instituts spécialisés qui en découlent. En outre, il a fondé les diverses troupes musicales de l’Opéra du Caire, comme l’Orchestre symphonique du Caire et l’Ensemble de la musique arabe.

Il était convaincu que « l’art est quasiment une nécessité de la vie, tout comme le pain », comme il l’a mentionné dans son livre paru en arabe L’Art et la vie. Un art qui doit être libre, selon lui, pour exprimer les préoccupations et les rêves des gens. Il a joué un rôle primordial dans la sauvegarde des anciens monuments égyptiens, en installant plusieurs musées et centres de recherche archéolo­gique, comme le Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak, basé à Louqsor et fondé en 1967 en coopération avec le ministre français de la Culture André Malraux. C’est à Okacha que l’on doit également les perfor­mances Son et lumière et les opéra­tions de sauvetage des temples de Philae et d’Abou-Simbel, qui allaient couler sous l’eau du Nil après la construction du Haut-Barrage à Assouan.

La culture pour tous

Sarwat Okacha a fondé la Bibliothèque culturelle, le noyau du projet Maktabet Al-Osra (bibliothèque de la famille), qui a offert plus tard des livres de valeur à de petits prix, accessibles à tous. En janvier 1969, il a donné son accord pour lancer le premier salon du livre, dont l’objectif était de donner aux universités et aux corps scientifiques la possibilité de se procurer des oeuvres de référence à tarifs réduits. De 1969 à 1983, le Salon du livre s’est tenu sur le ter­rain des expositions à Guézira, face à l’actuel siège de l’Opéra du Caire. De 1984 jusqu’en 2018, il a eu lieu sur le terrain des exposi­tions à Madinet Nasr. Et cette année, il a encore changé de locaux. « A chaque déplacement, il y a toujours un tollé. Je me rap­pelle que mon père était très mécontent lorsqu’il s’est tenu la première fois à Madinet Nasr, mais au fil des ans, cet emplacement était proche de la bouche du métro souterrain, donc assez pratique », lance Fouad, un cadre de la classe moyenne.

Okacha est reconnu comme un fin intellectuel. Il a traduit plusieurs ouvrages comme (Gibran, Ovide), une encyclopédie sur l’histoire de l’art en quatorze volumes, et un dictionnaire sur les termes cultu­rels. Il a continué à enrichir la bibliothèque arabe et a disparu en 2012. Le Salon lui rend hommage ainsi qu’à Sahir Al-Qalamawi, à travers plusieurs rencontres et publications.

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