L’affiche du Salon international du livre du Caire porte les photos du ministre Sarwat Okacha et de l’académicienne Sahir Al-Qalamawi, chargée par le premier de superviser la création du premier Salon du livre.
Cette dernière était la première femme en Egypte à s’inscrire à l’Université du Caire (à l’époque Université Fouad Ier). Formée dans une école anglaise, elle a choisi d’intégrer le département de langue arabe de la faculté des lettres, et d’être la seule femme parmi quatorze étudiants. Ensuite, elle a été la première femme égyptienne à obtenir un doctorat en littérature arabe, en 1941, la première professeure, puis présidente du département de langue arabe entre 1958 et 1967. Elle fut également la première femme à obtenir une licence de journalisme en Egypte.
Figure littéraire et culturelle égyptienne, Al-Qalamawi est également l’une des premières femmes égyptiennes à occuper un certain nombre de postes, notamment celui de présidente de l’Union des féministes égyptiennes et de présidente de l’Etablissement public de l’édition— aujourd’hui le GEBO (l’Organisme égyptien général pour le livre) — de 1967 à 1971. En 1958, elle entame une carrière politique en tant que députée au parlement jusqu’en 1964, puis y rentre de nouveau entre 1979 et 1984.
Née au Caire en 1911, elle grandit au sein d’une famille très attachée à l’instruction de ses membres féminins. « Mon père était un médecin chirurgien qui travaillait entre Tanta, au Delta, et Le Caire. Ma mère, issue d’une famille aristocratique, parlait le français et l’italien. Je faisais mes études jusqu’au cycle secondaire dans un lycée américain pour filles », écrivait Al-Qalamawi dans ses mémoires. En 1928, après le rejet de son inscription à la faculté de médecine, à cause du certificat américain, elle se spécialise en lettres au département de langue arabe, dirigé par Taha Hussein, son professeur et père spirituel. En 1935, elle publie son premier ouvrage, un recueil de nouvelles, Ahadis Jaddati (les contes de ma grand-mère). Elle y analyse le rôle social de la femme en tant que préservatrice de l’histoire de la communauté et s’y appuie sur la culture du récit oral. Cet ouvrage est également le premier recueil de nouvelles rédigé par une femme à être édité en Egypte.
Ses écrits comprennent deux volumes de nouvelles, dix études critiques et de nombreuses traductions de la littérature mondiale. Al-Qalamawi est considérée comme une figure littéraire remarquable du mouvement culturel contemporain en Egypte.
Elle a joué un rôle important dans la fondation de la première bibliothèque au sein du théâtre Ezbékiyeh, visant à vendre les livres à moitié prix. Lorsqu’elle était chargée de créer le premier Salon du livre au Caire, elle y a consacré un coin pour les enfants. C’était le noyau d’un éventuel salon consacré aux livres pour enfants.
Al-Qalamawi a aussi donné la chance à quelques 60 romanciers afin de publier leurs romans et nouvelles, à travers la série Ouvrages nouveaux. C’est elle qui a permis, à titre d’exemple, au jeune poète, à l’époque, Ahmad Fouad Negm de publier son premier recueil Des Images de la vie et de la prison, qu’il a rédigé alors qu’il était détenu dans les années 1970.
Cette académicienne adulée par ses disciples a enseigné à plusieurs hommes de lettres, dont le poète Salah Abdel-Sabour, le critique et universitaire Abdel-Moneim Talima ainsi que l’ancien ministre de la Culture Gaber Asfour. Ce dernier a d’ailleurs publié, à plusieurs reprises, des articles rendant hommage à sa professeure et directrice de thèse. « Al-Qalamawi respectait la liberté d’expression et croyait en toutes sortes de libertés ainsi qu’au droit à la différence. Elle lassait à chacun de ses étudiants le choix de sa méthodologie, selon le courant intellectuel qu’il suit. C’était une militante libérale, très reconnaissante vis-à-vis de son professeur, l’écrivain Taha Hussein », précise Asfour dans l’un de ses articles de presse.
Le général des lettres et des arts
Ancien militaire, ancien rédacteur en chef, ancien attaché militaire, ancien ambassadeur, mais aussi et avant tout, ancien et premier ministre de la Culture en la République arabe d’Egypte après 1952, Sarwat Okacha est le chevalier de la culture comme le surnomment de nombreux intellectuels. Ministre de la Culture sous Nasser, à trois reprises, entre 1958 et 1970, il a jeté les fondements de la scène culturelle en Egypte, à l’époque, et a réalisé plusieurs exploits dans les postes successifs qu’il a remplis : attaché militaire, rédacteur en chef, ambassadeur, etc.
Né en 1921, Okacha avait toujours eu un penchant pour les lettres et les arts. Il a commencé par faire des études de droit, pendant six mois, avant d’aller se joindre à l’école militaire comme son père.
Officier libre, ce fut un compagnon de Nasser qui, sachant ses penchants intellectuels, l’a choisi à la tête du ministère de la Culture.
Okacha a ainsi créé de nombreux organismes qui ont enrichi la vie culturelle à ce jour. Citons-en le Haut Conseil pour les arts et les lettres (aujourd’hui le Conseil suprême de la culture), l’Organisme général du livre, les Archives nationales des documents, les Palais de la culture et l’Académie des arts ainsi que tous les instituts spécialisés qui en découlent. En outre, il a fondé les diverses troupes musicales de l’Opéra du Caire, comme l’Orchestre symphonique du Caire et l’Ensemble de la musique arabe.
Il était convaincu que « l’art est quasiment une nécessité de la vie, tout comme le pain », comme il l’a mentionné dans son livre paru en arabe L’Art et la vie. Un art qui doit être libre, selon lui, pour exprimer les préoccupations et les rêves des gens. Il a joué un rôle primordial dans la sauvegarde des anciens monuments égyptiens, en installant plusieurs musées et centres de recherche archéologique, comme le Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak, basé à Louqsor et fondé en 1967 en coopération avec le ministre français de la Culture André Malraux. C’est à Okacha que l’on doit également les performances Son et lumière et les opérations de sauvetage des temples de Philae et d’Abou-Simbel, qui allaient couler sous l’eau du Nil après la construction du Haut-Barrage à Assouan.
La culture pour tous
Sarwat Okacha a fondé la Bibliothèque culturelle, le noyau du projet Maktabet Al-Osra (bibliothèque de la famille), qui a offert plus tard des livres de valeur à de petits prix, accessibles à tous. En janvier 1969, il a donné son accord pour lancer le premier salon du livre, dont l’objectif était de donner aux universités et aux corps scientifiques la possibilité de se procurer des oeuvres de référence à tarifs réduits. De 1969 à 1983, le Salon du livre s’est tenu sur le terrain des expositions à Guézira, face à l’actuel siège de l’Opéra du Caire. De 1984 jusqu’en 2018, il a eu lieu sur le terrain des expositions à Madinet Nasr. Et cette année, il a encore changé de locaux. « A chaque déplacement, il y a toujours un tollé. Je me rappelle que mon père était très mécontent lorsqu’il s’est tenu la première fois à Madinet Nasr, mais au fil des ans, cet emplacement était proche de la bouche du métro souterrain, donc assez pratique », lance Fouad, un cadre de la classe moyenne.
Okacha est reconnu comme un fin intellectuel. Il a traduit plusieurs ouvrages comme (Gibran, Ovide), une encyclopédie sur l’histoire de l’art en quatorze volumes, et un dictionnaire sur les termes culturels. Il a continué à enrichir la bibliothèque arabe et a disparu en 2012. Le Salon lui rend hommage ainsi qu’à Sahir Al-Qalamawi, à travers plusieurs rencontres et publications.
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