C’est un vrai ballet diplomatique qui a lieu cette semaine en Iraq. Plusieurs personnalités politiques s’y sont rendues. Des visites qui ne sont pas sans relation avec celle, surprise, du secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, dans le cadre de sa tournée régionale. C’était une station surprise initialement non prévue dans la tournée de Mike Pompeo. Le secrétaire d’Etat américain a pourtant fait de l’Iraq sa deuxième escale, mercredi 9 janvier.
Après lui, plusieurs personnalités se sont succédé à Bagdad: le roi Abdallah II de Jordanie lundi 14 janvier, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le même jour, et le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, la veille, soit le dimanche 13 janvier. Une coïncidence? Certainement pas. L’Iraq est au centre des intérêts. C’est un pays-clé dans la région ayant une longue frontière avec la Syrie (d’où les Américains s’apprêtent à se retirer), mais aussi avec l’Iran, avec lequel il a une relation privilégiée. Et l’Iran, ou plutôt la lutte contre l’influence iranienne dans la région, c’était le point central de la tournée de Pompeo.
Or, « l’Iraq est pris en tenailles entre Téhéran et Washington, ses deux partenaires stratégiques eux-mêmes ennemis », indique la politologue Mona Soliman, chercheuse dans les affaires internationales à la faculté de sciences politiques de l’Université du Caire. Il ne peut pas sacrifier l’un pour satisfaire l’autre. En effet, l’Iraq dépend en grande partie de l’Iran pour alimenter ses centrales électriques, qui ne fournissent toujours que quelques heures par jour de courant à près de 40 millions d’habitants. Et Bagdad a obtenu des Etats-Unis une exemption temporaire lors de l’entrée en vigueur du dernier train de sanctions américaines contre l’Iran.
Mais si M. Pompeo a appelé mercredi 9 janvier Bagdad à ne plus dépendre de l’Iran pour son énergie, cruciale dans un pays où la pénurie est chronique depuis des années, Bagdad et Téhéran ont plaidé dimanche 13 janvier pour davantage d’échanges. « Nous avons discuté des mesures économiques unilatérales américaines et travaillé avec notre voisin (iranien) sur ce sujet », a affirmé dimanche à Bagdad le ministre iraqien des Affaires étrangères, Mohammed Ali Al-Hakim, en recevant son homologue iranien, Javad Zarif, qui a participé à plusieurs forums économiques dans différentes villes d’Iraq, dont Souleimaniyeh au Kurdistan. Lors d’une conférence de presse conjointe, les deux hommes ont affirmé avoir discuté des relations « politiques et économiques » entre leurs pays. Jeudi 10 janvier déjà, le ministre iranien du Pétrole avait plaidé à Bagdad pour « renforcer la coopération avec l’Iraq », notamment dans les domaines du pétrole et de l’énergie.
Une position à double tranchant
Selon Fanar Haddad, un spécialiste de l’Iraq à l’Université de Singapour, cité par l’AFP, Bagdad, frontalier de la Syrie en guerre, de la Jordanie, grand allié des Etats-Unis, du Golfe et de l’Iran, jouit d’un « avantage majeur ». « Il entretient actuellement de bonnes relations avec tous les acteurs régionaux, il peut parler à tout le monde dans une région pourtant traversée par d’importantes fractures », explique-t-il. Mais la position de l’Iraq est à double tranchant, estime cet expert, car les puissances agissantes dans la région « peuvent saper la stabilité récente et encore précaire de l’Iraq ».
Le risque aujourd’hui est qu’une escalade entre l’Iran et les Etats-Unis se fasse au détriment de l’Iraq, alors que ce pays se remet à peine de sa victoire contre Daech, et où l’Iran, à travers les milices chiites qu’il armait, avait un rôle majeur. Mike Pompeo a d’ailleurs déclaré que ses réunions avec les leaders iraqiens avaient pour objectif de renforcer le gouvernement iraqien pour empêcher la résurgence de Daech. Cette question était aussi au centre des discussions entre le ministre français des Affaires étrangères et les responsables iraqiens. Avant Bagdad, Jean-Yves Le Drian était à Amman d’où il a déclaré que la guerre contre Daech « n’était pas finie ».
Pour les Iraqiens, l’inquiétude est également de mise. Daech « est défait militairement, mais la mission n’est pas accomplie. (...) Nous avons encore besoin du soutien américain », a ainsi déclaré le président iraqien, Barham Saleh. Les Iraqiens sont aussi inquiets du sort des troupes américaines qui devraient quitter la Syrie. Seront-elles rapatriées ou vont-elles être redéployées en Iraq qui renferme une quinzaine de bases militaires américaines ? « Selon les informations disponibles, les Américains élargissent déjà leur base à Erbil. Une partie des troupes sera transférée sur la base d’Ain Al-Assad située entre Bagdad et la frontière iraqo-syrienne. Ainsi, les Américains seront en mesure d’être très proches et au courant de la situation sur le terrain en Syrie », conclut la chercheuse.
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