« Nous poursuivrons la voie tracée par Gamal Abdel-Nasser qui voulait créer un immense château industriel en Egypte », avait lancé le président Mohamad Morsi le 1er mai dernier dans un discours prononcé devant des ouvriers de l’industrie sidérurgique au Caire. Lors de la fête du travail, il affirmait que « l’Egypte encourage le secteur privé, mais cela ne signifie pas que nous négligeons le secteur public (...). La production et l’exportation sont les véritables indicateurs du développement d’un pays ». Malgré ces paroles, 3 817 protestations ouvrières ont eu lieu depuis l’accession au pouvoir de Morsi.
Ces déclarations reviennent aujourd’hui sonner aux oreilles non seulement de la classe ouvrière, mais aussi de tous les Egyptiens qui voient leur pays classé parmi les pires au monde par l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Dans le cadre de la 102e conférence internationale du travail, l’Egypte a été placée sur la liste noire de l’OIT en raison de ses violations des droits des travailleurs et des conventions internationales sur le travail.
En tête de la délégation égyptienne qui a pris part à la conférence annuelle de l’OIT : le ministre de la Main-d’oeuvre, Khaled Al-Azhari. Il s’est rendu à Genève jeudi 16 juin pour assister à la réunion du comité des critères et des conventions internationales, où a été examinée la position de l’Egypte et où sont discutées les remarques rédigées par le comité.
Lors de cette visite, Al-Azhari a présenté un dossier rédigé par le gouvernement sur les réalisations touchant le domaine des législations des travailleurs. Le gouvernement Qandil cherchait à prouver à l’OIT sa volonté de rédiger une nouvelle loi sur les libertés syndicales. Mais rien n’y est fait : l’Egypte est de retour sur la liste noire.
« Un scandale pour un pays révolutionnaire »
Le 1er mai, le président Morsi promettait monts et merveilles aux ouvriers.
Pour l’activiste et défenseur de la lutte syndicale égyptienne, Kamal Abbas, directeur du Centre égyptien des services aux syndicats et aux travailleurs (CTWUS), « il faut préciser que l’Egypte n’est pas entrée sur la liste noire de l’OIT. Il s’agit d’un retour sur cette liste : en 2008 et 2010, elle s’y trouvait déjà. C’est un scandale et une humiliation pour un Etat qui vient de faire une révolution pour la justice sociale ».
Car depuis le 25 janvier, aucun progrès n’est à noter en ce qui concerne les conditions de travail des ouvriers ou leurs droits sociaux. Des sources au sein de l’OIT ont indiqué que le classement de l’Egypte était le résultat du non-respect des engagements liés à la promulgation de la loi sur les libertés syndicales et de la non-conformité des législations nationales avec la convention sur les droits et les libertés syndicales.
Parallèlement, les grèves ouvrières ne font qu’augmenter contre le régime aux quatre coins du pays. Le coordinateur général de la législation et des affaires juridiques de l’Union indépendante des ouvriers, Mohamed Abdine, souligne que la décision de l’OIT est basée non seulement sur la non-promulgation de la loi des libertés syndicales mais aussi en regard du nombre d’ouvriers emprisonnés et licenciés depuis l’arrivée au pouvoir, en juin dernier, de Mohamad Morsi.
Pour l’OIT, le retard de la promulgation de la loi des libertés syndicales reste inexplicable. Jusque-là, c’est la loi 35 de 1976 qui régit la formation des syndicats ouvriers. Elle est qualifiée de restrictive, malgré quelques modifications apportées depuis 1976.
Mise sous tutelle
La loi 35 impose la mise sous tutelle de l’activité des syndicats par le gouvernement et oblige les travailleurs à obtenir l’approbation de l’Etat pour former des syndicats. L’activiste Kamal Abbas regrette que « les intérêts des ouvriers arrivent en dernière place dans les priorités du régime. Même les tentatives du gouvernement transitoire de Essam Charaf sont restées suspendues alors qu’elles sont dans l’intérêt des ouvriers et répondent à la plupart de leurs revendications ».
En 2011, une nouvelle législation avait été élaborée par l’ancien ministre de la Main-d’oeuvre, Ahmad Al-Boraï. Elle autorisait, pour la première fois depuis les années 1950, le pluralisme syndical et donnait la possibilité aux ouvriers de former leurs propres associations et syndicats dans toute entreprise employant au moins 250 travailleurs. Mais cette législation n’a jamais vu le jour.
A peine élu, le Parti Liberté et justice, bras politique des Frères musulmans, avait présenté à l’Assemblée du peuple un projet de loi sur les syndicats ouvriers ignorant tous les progrès proposés dans le projet d’Al-Boraï. La nouvelle loi souhaitée par les Frères facilite la mainmise du régime sur les syndicats sans changer le fond de la loi 35. (voir page 5).
Si ces lois sont restrictives, elles sont aussi non conformes aux conventions internationales sur les droits et les libertés syndicales.
L’Egypte ne respecte, selon l’OIT, ni la convention 87 de l’année 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, ni celle 98 de l’année 1949 sur le droit d’organisation et de négociation collective.
Les lois restrictives ne sont pas la seule raison qui a amené l’OIT à déclasser l’Egypte. Les manifestations ouvrières ne cessent de s’intensifier depuis l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir.
Parallèlement, depuis la révolution, les exigences des ouvriers témoignent d’un développement important. Il n’est plus simplement question de revendications financières mais de revendications élargies avec des exigences portant sur les retraites, l’accès aux soins ou la sécurité de l’emploi.
Politique néolibérale et anti-ouvrière
Les Frères musulmans ont toujours affiché des positions libérales à l’encontre d’une quelconque culture syndicale qui a vu le jour à l’ombre des premiers mouvements communistes et socialistes.
Kamal Abbas rappelle qu’il a toujours existé un conflit entre le Frères et les ouvriers. En juin 1939, lorsque quelques cadres ouvriers entament la grève de la faim pour obliger le gouvernement à promulguer une loi syndicale, un cadre de la confrérie, Saleh Achmawi, n’hésite pas à envoyer une lettre aux ouvriers affirmant que faire grève est un péché.
Pour beaucoup, la ligne politique des Frères est anti-classe ouvrière et pro-impérialiste, comme cela était le cas sous Moubarak. Le programme présenté par Morsi lors de sa candidature à la présidentielle était, en effet, basé sur les grandes lignes du système néolibéral. Il y défendait la poursuite des politiques de privatisation dans les secteurs de l’éducation, de la santé, des transports et de l’énergie.
C’était également le seul programme à fortement encourager les investissements étrangers et la libéralisation centralisée des échanges commerciaux.
Aujourd’hui, pour tenter de sortir de la liste noire de l’OIT, le gouvernement cherche à promulguer une nouvelle loi au plus vite. Des tentatives qui ne semblent pas convaincre les membres de l’OIT, qui ont décidé de donner un délai de six mois à l’Egypte pour préparer un projet de loi respectant les normes internationales. L’OIT souhaite que le projet lui soit remis avant même sa présentation au Parlement. Des recommandations qui devront être respectées si l’Egypte ne veut pas être exposée à des sanctions internationales.
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