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Pacte de Marrakech : Un nouveau regard sur le problème migratoire

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 18 décembre 2018

Adopté le 10 décembre à Marrakech, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières doit faire l'objet d'un vote final, ce mercredi, à l'Assemblée générale des Nations-Unies. Le pacte aborde la question migratoire sous un angle nouveau en la concevant comme un potentiel et non comme un péril.

Pacte de Marrakech : Un nouveau regard sur le problème migratoire
(Photo : AP)

« Nous avons appris que les migrations font partie intégrante de la mondialisation, reliant entre elles les sociétés d’une même région et d’une région à l’autre et faisant de nous tous des pays d’origine, de transit et de destination », « Aucun Etat ne peut seul gérer le défi des migrations », peut-on lire dans le préambule du nouveau Pacte mondial pour les migrations.

Adopté le 10 décembre à Marrakech par plus de 150 pays membres, lors d’une conférence intergouvernementale, sous l’égide des Nations-Unies, ce pacte porte aussi le nom de « Pacte de Marrakech ». C’est dans la capitale touristique du Maroc, où l’on a déroulé le tapis rouge pour accueillir la 17e édition du Festival international du film, que plus de 2 000 personnes ont assisté, en parallèle, à la Conférence intergouvernementale : des officiels, des chefs d’entreprises et des représentants de la société civile. Objectif : dessiner les contours d’une coopération internationale pour une « migration sûre, ordonnée et régulière ».

Selon les chiffres de l’Onu, il y avait, en 2017, 258 millions de migrants dans le monde, dont 25,4 millions de réfugiés, ce qui équivaut à 3,2 % de la population mondiale. Adoptée après proclamation orale, la Conférence de Marrakech est en réalité une phase formelle du processus, avant un ultime vote de ratification le 19 décembre à l’Assemblée générale de l’Onu. Toutefois, une quinzaine de pays, dont les Etats-Unis, Israël, l’Australie et 7 pays européens, ont annoncé leur retrait du pacte au nom de leur souveraineté (voir page 4). En fait, ce pacte, avant de trouver sa version finale, est passé par plusieurs étapes.

Il est le fruit d’un processus qui a débuté, il y a plus de deux ans, en septembre 2016, après que l’Onu eut adopté la Déclaration de New York sur les réfugiés et les migrants. Cette déclaration adoptée à l’unanimité soulignait l’importance « de renforcer et d’améliorer les mécanismes de protection des personnes qui se déplacent ». Suite à l’adoption de cette déclaration, l’Onu a entamé un processus de consultations avec les Etats membres, des experts, la société civile et même avec des réfugiés.

Et c’est finalement en juillet 2018 que le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR) a annoncé l’aboutissement à la version finale du « tout premier accord initiant une approche commune du problème de la migration internationale dans toutes ses dimensions ». Formé de 40 pages, ce document renferme dix lignes directrices et 23 objectifs. Ce pacte n’est pas contraignant du point de vue juridique, mais une fois ratifié, l’Onu va lancer « le Réseau des Nations-Unies pour les migrations » qui doit suivre et évaluer la mise en oeuvre du pacte tous les quatre ans.

Intégration économique et sociale

« Ce pacte offre un nouveau regard positif. Il reconnaît que les défis de la migration ne peuvent pas être abordés à travers une approche sécuritaire, mais il faut prendre également en considération les dimensions économiques et sociales, et faciliter l’intégration des migrants dans la société », explique Wafaa Samir, spécialiste de la migration au sein du Conseil national des recherches sociales et criminelles. Et d’ajouter que « ce pacte adopte un nouveau langage en mentionnant pour la première fois les droits des migrants sans faire la distinction entre ceux qui sont légaux et ceux qui ne le sont pas, et sans chercher les raisons de leur départ : les conflits internes, l’instabilité politique, sociale ou même le climat ». Selon l’avocat Achraf Hana, spécialiste des affaires de migration et ancien employé du HCR, ce pacte met fin à l’amalgame de certains termes utilisés pour décrire la migration comme « clandestine », « illégale » ou « irrégulière » afin de changer l’image négative des migrants qui domine dans les médias.

Partant de deux principes, à savoir que la migration est « un phénomène mondial inévitable » et que « créer des conditions favorables permet aux migrants d’enrichir les sociétés grâce à leurs capacités humaines, économiques et sociales », ce pacte confirme la nécessité de réguler la migration pour être bénéfique à la fois aux pays d’origine et ceux d’accueil. Beaucoup d’économistes parlent aujourd’hui des effets bénéfiques de la migration sur le plan économique. « Si toutes les procédures de la migration sont bien régulées, cela constitue un double intérêt d’une part, pour les pays d’accueil qui devraient bénéficier de leur expertise et de leurs compétences, et d’autre part, pour les pays d’origine qui bénéficieraient à leur tour des fonds envoyés par ces migrants », assure Wafaa Samir.

Selon la Banque Mondiale (BM), les fonds envoyés par les migrants économiques vers les pays à revenus faibles ou moyens ont augmenté de 11 % en 2017 pour atteindre 528 milliards de dollars l’année dernière, dépassant ainsi le volume des investissements étrangers dans ces pays. Le total de ces transferts a été multiplié par 6 depuis 2000. La BM signale également que plus de 700 millions de personnes dépendent directement des fonds envoyés par les migrants installés dans les pays développés.

Au cours de cette conférence, comme le dévoile le site Internet des Nations-Unies, le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, a essayé de s’attaquer à certaines « contre-vérités », comme le fait que les pays développés n’auraient pas besoin de migrations. « C’est faux », a martelé le secrétaire général, en s’appuyant sur un constat que « dans de nombreuses régions du monde où les taux de natalité sont en berne et l’espérance de vie en hausse, la croissance démographique — et partant, la croissance économique — est vouée à stagner en l’absence de migrations pour accroître et diversifier la main-d’oeuvre ».

Selon l’Organisation Internationale des Employeurs (OIE), d’ici à 2030, une pénurie estimée à 85 millions de personnes qualifiées pourrait coûter des milliards de dollars en termes d’opportunités économiques manquées.

« Empêcher les drames de la migration figure parmi les objectifs de ce pacte », souligne Wafaa Samir. La Méditerranée a été la route migratoire la plus meurtrière au monde en 2018, selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Plus de 600 000 migrants sont morts depuis 2000, alors que 2 331 migrants (y compris des réfugiés et des demandeurs d’asile) sont décédés seulement au cours de cette année.

Selon Wafaa Samir, « des migrants avec papiers pourraient réduire le recours aux routes migratoires dangereuses et aux bateaux de la mort et mettre également un terme au phénomène du trafic d’organes des migrants qui est actuellement un business en pleine expansion ».

Coopération Nord-Sud

Parmi les points les plus importants de ce pacte, comme l’explique Achraf Hana, c’est qu’il prône une coopération entre les pays plutôt que la fermeture des frontières. Il offre une plateforme vers plus de partenariats entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, notamment entre l’Europe et des pays de transit de la région de l’Afrique du Nord (l’Egypte, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la Libye).

« L’Europe a essayé d’exercer des pressions sur ces pays pour qu’ils installent des camps de migrants sur leurs territoires. Cette proposition a été définitivement rejetée pour des raisons sécuritaires, notamment par l’Egypte, qui s’est engagée à empêcher le départ des migrants vers l’Europe à travers ses frontières », raconte Hana, avant d’ajouter que « l’Egypte, pour mettre terme à ce phénomène, a adopté une stratégie à deux volets : l’un sécuritaire et l’autre portant sur le développement ». Le premier consiste à renforcer le contrôle des frontières terrestres et maritimes pour empêcher l’infiltration des migrants.

Une mission réussie. En décembre 2016, l’Egypte a déclaré avoir mis complètement un terme à la migration illégale à partir de son littoral. Quant au deuxième volet, il consiste à renforcer les partenariats économiques avec l’Union européenne pour affronter les défis des migrations. Le gouvernement vient d’approuver cette semaine un projet d’accord signé à Bruxelles en octobre dernier entre l’Egypte et l’Union européenne, pour financer quatre projets de développement pour « s’attaquer aux défis de la migration en Egypte », avec un coût total estimé à 63 millions d’euros. Lutter contre les défis des migrations irrégulières figure au centre de l’agenda de la visite du président en Autriche cette semaine.

Les défis de « l’après-pacte » sont pourtant nombreux, comme l’estime Ayman Abdel-Wahab, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques d’Al-Ahram (CEPS). « La ratification du Pacte de Marrakech ne marquera pas la fin des débats mais plutôt le point de départ en vue d’approfondir les recherches et de repenser les politiques migratoires, ce qui exige en premier lieu la présence d’une volonté politique internationale plus forte pour régler la question migratoire », conclut Abdel-Wahab.

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