Liban,
De notre correspondant —
Sans gouvernement depuis le 6 mai 2018, le Liban risque d’attendre encore pour voir l’équipe ministérielle de Saad Hariri formée. Les noeuds ne cessent de s’accumuler. L’obstacle « des sunnites indépendants » qui persiste encore est intervenu après une longue période de tractations et de contacts politiques pour le déblocage de deux autres obstacles : les druzes et les chrétiens maronites. La querelle inter-druze a éclaté suite à l’insistance du chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, à monopoliser les trois sièges druzes, le quota de cette confession dans le nouveau gouvernement. Ce fut une réaction contre la volonté de Hariri et de Michel Aoun, de nommer au cabinet son rival, le leader druze, le prince Tallal Arselan, le chef du Parti démocrate libanais. Joumblatt a non seulement refusé et a insisté sur l'obtention de son quota total sans faute, mais il a aussi menacé de se retirer du gouvernement qui connaît un accouchement difficile. Après de longues délibérations entre Hariri et Aoun ainsi que les autres acteurs politiques libanais, le problème druze fut résolu. Ils ont convenu d’accorder un portefeuille à une personne choisie par Arselan et non pas Arselan luimême afin de préserver l’unité druze à la montagne et dans les régions druzes. Alors que Hariri mettait les dernières retouches de son cabinet et s’apprêtait à annoncer les noms des ministres, un autre obstacle surgit : le noeud des chrétiens maronites.
Une lutte acharnée a opposé par la suite le courant national libre présidé par Gebran Bassil, ministre des Affaires étrangères, et le gendre du président de la République, Michel Aoun, contre les Forces libanaises présidées par Samir Geagea. Ce dernier a insisté sur la préservation des portefeuilles spécifiques, outre le poste de vice-premier ministre. Chose qui fut totalement refusée par le Courant national libre qui se considère comme le représentant le plus fort des chrétiens maronites au parlement en remportant la majorité et en occupant 29 sièges, alors que les députés des Forces libanaises de Samir Geagea occupent seulement 15 sièges sous la coupole.
Suite à des concertations marathoniennes auxquelles ont participé Aoun, Hariri et le président du Conseil des députés, Nabih Berry, un consensus a été atteint entre le courant national et Geagea avec la bénédiction du patriarche maronite, le cardinal Mar Bishara.
Les « sunnites du Hezbollah »
Après avoir surmonté ces deux obstacles, les médias et figures politiques s’attendaient à une formation proche du gouvernement. Cette atmosphère optimiste s’est vite dissipée après le refus, à la dernière minute, du Hezbollah d’envoyer la liste de ses potentiels candidats aux postes ministériels, avant d’accorder un portefeuille à l’un des députés sunnites indépendants. Le noeud de ces sunnites indépendants, nommés par Hariri « les sunnites du Hezbollah » ou « les sunnites du 8 mars », ne cesse de s’amplifier d’un jour à l’autre. Hariri a refusé même de recevoir ces parlementaires, y voyant une tentative du Hezbollah de créer un contrepoids à son leadership au sein de la communauté sunnite. Le complexe des sunnites indépendants a émergé suite aux résultats des législatives libanaises de mai 2018 où dix candidats sunnites ont remporté des sièges. Ces candidats ne faisaient pas partie du courant du Futur qui est le représentant des factions sunnites libanaises, mais ils étaient tous considérés comme affiliés et supporters du Hezbollah. Le complexe sunnite s’est enfin trouvé sur la table de discussion du président de la République, Michel Aoun, qui a appelé en réunion les députés pour leur dire qu’ils n’étaient pas un bloc législatif connu et important pour détenir le droit de représentation au sein du cabinet. Un peu plus tard, Saad Al-Hariri a annoncé à partir de la maison du centre, la résidence du courant le Futur à Beyrouth, qu’il était « le père des sunnites » au Liban et qu’il ne reconnaissait guère ce qu’il était convenu d’appeler les « sunnites indépendants », en menaçant de renoncer à cette mission : « S’il y a une insistance sur la nommination de l’un d’eux aux portefeuilles ministériels, vous pouvez désigner quelqu’un d’autre à la tête du cabinet ». Il a également tenu à exprimer son refus vis-à-vis des accusations de semer la sédition confessionnelle et ethnique qui lui étaient adressées par Hassan Nasrallah.
Face aux menaces de Hariri de renoncer à former le nouveau gouvernement et à l’insistance du Hezbollah sur le droit de la représentation des sunnites indépendants, quelle serait donc l’issue ? Pour l’heure, aucune solution ne se profile à l’horizon.
Le Liban risque d’entrer alors dans une nouvelle phase de panne institutionnelle.
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