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L'Iraq et l’impasse du confessionnalisme

Mona Soliman*, Mardi, 27 novembre 2018

Inscrit dans la Constitution peaufinée par les Américains en 2005, le système de quotas confessionnels est souvent considéré comme la cause de tous les maux de l’Iraq. Analyse.

La victoire du chef religieux chiite, Moqtada Al-Sadr, signifie un recul de l
La victoire du chef religieux chiite, Moqtada Al-Sadr, signifie un recul de l'influence iranienne en Iraq.

Au lieu de créer un équilibre poli­tique, le système de quotas confes­sionnels provoque bien des diffi­cultés dans la vie politique ira­qienne. La dernière en date est la formation du nouveau gouvernement, qui s'est faite six mois après les élections législatives de mai dernier. Des élections cruciales car c'étaient les pre­mières organisées après la défaite de Daech en Iraq.

Dès la déclaration des résultats des légis­latives le 14 mai et la victoire de la liste En marche (la coalition entre le courant Al-Sadri dirigé par le chef politique chiite Moqtada Al-Sadr et des partis civils socialistes commu­nistes), Al-Sadr a alors invité à la formation d’un gouvernement iraqien indépendant com­posé de technocrates loin du système des quo­tas confessionnels en vigueur depuis l’invasion américaine de l’Iraq en 2003 et ancrée par la Constitution de 2005. Ce système répartit les postes-clés entre les différentes confessions : un président du parlement arabe sunnite, un premier ministre arabe chiite, choisi du plus grand bloc parlementaire ayant emporté le plus grand nombre de sièges aux législatives, et un président de la République kurde sunnite.

C’était la première fois qu’un homme poli­tique iraqien vainqueur des élections réclame l’abolition du système de quotas confession­nels. En effet, ce système a privé l’Iraq de nombreuses compétences qui ne sont pas arri­vées à des postes-clés, car les conditions confessionnelles ne s’appliquaient pas à elles. Ce système a également renforcé les dissen­sions confessionnelles dans la société.

C'était le cas même pendant la lutte anti-Daech. Bien que le peuple iraqien fût uni dans cette guerre, des violations et des tensions ont eu lieu, chiites contre sunnites, kurdes contre turk­mènes et yézidis. Bien plus, ce système a per­mis au pouvoir iranien de s’infiltrer dans tout le pays, surtout après le retrait des forces amé­ricaines du pays en 2011. En effet, Téhéran exploite les chiites iraqiens pour protéger ses intérêts et créer son projet qu'il appelle le crois­sant chiite et qu’il utilise pour faire pression sur les grandes puissances pour traiter le sujet du dossier nucléaire iranien. Raison donc pour laquelle l’Iran soutient le système des quotas confessionnels dans les pays arabes.

Un cabinet incomplet

Les pourparlers politiques se sont prolongés sur quatre mois entre les blocs parlementaires iraqiens, afin de former le « grand bloc » par­lementaire, afin de choisir le président du par­lement, le président de la République et le premier ministre. Bien que la coalition En marche ait remporté le plus grand nombre de voix aux élections, elle n’a pas réussi à obtenir la majorité des sièges du parlement toute seule.

Le 2 septembre dernier, Al-Sadr et le président de la coalition Al-Nasr, Haïder Al-Abadi, avaient annoncé la formation du « grand bloc » du parlement iraqien, qui regroupe plus de 16 coalitions électorales, soit 177 membres du parlement, soit la moitié du nombre des dépu­tés du parlement. Ce « grand bloc » a, à son tour, nommé les 3 postes-clés après une série de pourparlers. Le 3 septembre, Mohamed Al-Halboussi (arabe sunnite) a été nommé président du parlement, Barham Saleh (kurde sunnite) président de la République, puis Adel Abdel-Mahdi (arabe chiite) premier ministre, mettant ainsi un terme aux espoirs de choisir ces postes-clés loin des quotas confessionnels pour que ce système continue à orienter la politique iraqienne à l’intérieur comme à l’ex­térieur, bien qu’il soit refusé par certains blocs politiques.

A son tour, Abdel-Mahdi a choisi une grande partie des ministres de son gouvernement, alors qu’il doit encore nommer 8 ministres avant la fin de novembre 2018. Même ce choix doit se conformer au principe des quotas confessionnels de sorte que les ministères des Finances et de l’Intérieur doivent être du lot des chiites, la Défense des sunnites et les Affaires étrangères des Kurdes.

D’innombrables défis

Le gouvernement iraqien, avec tous ses ministres, devra se réunir début décembre avant de commencer à affronter d’innombrables défis à tous les niveaux. Il s’agit en premier lieu de créer un équilibre dans la politique étrangère du pays. Dans ce contexte, le président iraqien, Borham Saleh, a effectué une tournée dans cer­tains pays arabes comme l’Arabie saoudite, la Jordanie et les Emirats arabes unis, ainsi qu’une visite en Iran, tout en niant son intention de jouer le rôle d’intermédiaire entre Riyad et Téhéran et sa volonté d’instaurer des relations étrangères équilibrées avec tous les pays arabes ainsi qu’avec l’Iran.

Cependant, ceci peut s’avérer difficile vu la violente concurrence régionale entre Riyad et Téhéran dont l’Iraq était l’une des scènes. De plus, il incombe à Bagdad de rompre toutes ses relations économiques avec Téhéran en exécution des sanctions économiques améri­caines. Mais est-ce possible pour Bagdad ? En effet, bien que Bagdad ait repris l’exportation du pétrole iraqien via Kirkouk après plus d’un an de suspension, l’Iraq a encore besoin du soutien économique iranien.

Par ailleurs, le nouveau gouvernement devra relever des défis sécuritaires. Bien qu’on ait officiellement annoncé l’extermination de Daech, ses poches continuent à imposer leur emprise sur les frontières iraqo-syriennes. De plus, les institutions sécuritaires iraqiennes, comme l’armée et la police, ont besoin d’une restructuration globale afin de construire une armée nationale indépendante non confession­nelle.

Enfin, un autre défi : la région du Kurdistan. Le Kurdistan traverse une double crise. Il s’agit en premier lieu de la division kurde-kurde apparue au lendemain du référen­dum sur le droit à l’autodétermination en sep­tembre 2017 entre les deux grands partis, le parti démocratique du Kurdistan kurde dirigé par l’ex-président du Kurdistan, Massoud Barzani, et l’Union patriotique du Kurdistan dirigée par la famille de l’ancien président iraqien Jalal Talbani.

L’autre crise est entre Bagdad et Arbil, car ce dernier s’oppose à sa part dans le budget iraqien de 2019. Arbil réclame que sa part passe de 12 à 17 % du PIB de l’Iraq. Il réclame également la résolution de tous les dossiers suspendus entre Bagdad et Arbil, comme le statut de Kirkouk, le nombre de ministres kurdes dans le nouveau gouvernement, les différends constitutionnels et la gestion des régions contestées.

Afin de résoudre ces questions, Al-Barzani a effectué, le 22 novembre 2018, une visite pour Bagdad qui est une première depuis deux ans et qui aura certes un impact important pour créer un rappro­chement entre les deux parties.

Bref, le nouveau gouvernement iraqien devra non seulement affronter tous ces défis, mais aussi repenser son système politique basé sur les quotas confessionnels. Et ce, afin de pouvoir instaurer une paix sociale, et offrir une vie décente à plus de 38 millions d’Iraqiens récla­mant un Etat qui prône la volonté des Iraqiens et non pas les intérêts régionaux.

*Chercheuse en relations régionales à Al-Ahram

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