Al-Ahram Hebdo : Quels sont les résultats de la première tournée du président iraqien, Barham Saleh, dans le Golfe ?
Dr Sameh Rashed : Jusqu’à présent, aucun résultat précis n’a été révélé bien que le président iraqien soit accompagné d’une délégation de haut niveau comprenant les ministres des Affaires étrangères et de l’Industrie et un certain nombre de gouverneurs. On ne s’attendait d’ailleurs pas à ce que cette tournée aboutisse à des accords économiques ou autres vu les prérogatives limitées du chef d’Etat. Cependant, ceci ne réduit en rien l’importance de cette tournée. Il est arrivé à un moment sensible pour l’Iraq et la région.
On peut dire que la tournée du président iraqien (Emirats arabes unis, Koweït, Jordanie, Iran et Arabie saoudite) était à la fois rassurante et exploratrice. Ces visites étaient porteuses d’un message rassurant aux pays voisins sur la politique iraqienne interne et régionale et avaient aussi pour objectif de découvrir les positions de ces pays envers le mouvement politique récemment survenu en Iraq.
— Pensez-vous donc qu’il s’agit d’une tentative de reformuler la politique régionale de l’Iraq ?
— Je ne pense pas que cette tournée révèle un changement radical de la politique iraqienne, en particulier la politique étrangère. Les liens pour ne pas dire les contraintes qui s’imposent à la politique iraqienne sont toujours solides. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que l’inertie soit le mot d’ordre. Non, les conjonctures régionales elles-mêmes sont instables. L’Iran demeure le centre de conflits régionaux. La politique iraqienne est intrinsèquement liée à la conjoncture régionale. Il était donc important pour l’Iraq de connaître la position des Etats arabes et de l’Iran et surtout de savoir ce que ces deux parties peuvent offrir à l’Iraq. C’est à partir de ces donnes que les Iraqiens pourront faire leurs calculs et tracer leurs politiques.
— L’Iraq est-il capable de rompre ses liens économiques et politiques avec l’Iran après le rétablissement des sanctions américaines contre ce pays ?
— Les liens entre l’Iraq et l’Iran ont de multiples facettes. Il s’agit maintenant de liens qu’on peut appeler « sociétaires », c’est-à-dire que l’économie et le commerce s’enchevêtrent avec les liens familiaux et ethniques. Ce réseau complexe d’infiltrations iraniennes dans la vie iraqienne est de plus couronné par la présence de hauts responsables politiques plus ou moins affiliés à l’Iran. Vu cet enchevêtrement, il est difficile que l’Iraq se débarrasse de ces liens avec Téhéran dans un avenir proche. Les sanctions américaines imposées contre l’Iran limiteront certes les ressources financières qu’il utilise pour soutenir ses alliés régionaux. Mais dans le cas de l’Iraq, la situation est différente. L’impact des sanctions sera fort limité, car les capitaux et les projets économiques et commerciaux iraniens en Iraq appartiennent au secteur privé. Ils sont la propriété d’individus ou d’entreprises qu’ils soient vraiment privés ou qu’ils représentent une couverture à des appareils officiels ou des services de renseignements comme la Garde révolutionnaire.
— Comment les pays arabes peuvent-ils tirer profit de ces changements et se présenter comme une alternative économique à l’Iraq ?
— Etant donné que l’influence iranienne en Iraq est intense et que les liens sont enchevêtrés, les mouvements arabes doivent avoir pour principal objectif d’égaliser ou au moins de réduire l’influence de l’Iran sur l’arène iraqienne. La phase actuelle représente une opportunité pour les Arabes vu que les pays arabes, notamment les pays du Golfe, disposent d’un important excédent financier qu’ils peuvent utiliser pour compenser toute baisse du soutien iranien apporté à l’Iraq. Bien plus, les pays arabes doivent entrer dans l’économie iraqienne via le secteur des infrastructures (électricité, eau, drainage) et du commerce des denrées alimentaires. Ils peuvent notamment investir dans les projets des services publics comme l’éducation et la santé en construisant des écoles et des hôpitaux dans les divers gouvernorats iraqiens, en particulier les plus démunis.
— Au niveau populaire, l’influence de l’Iran a-t-elle commencé à diminuer au sein de la communauté chiite iraqienne, comme en témoignent les manifestations à Bassora et dans le sud de l’Iraq après les coupures d’eau et d’électricité fournies par l’Iran à ces régions ?
— Oui, dans une certaine mesure, la crise de l’énergie et de l’eau a soulevé la rue iraqienne contre Téhéran. Dans ce contexte, il faut noter que Téhéran a commis une erreur catastrophique en croyant être capable de faire pression sur les forces politiques et les partis iraqiens en les embarrassant devant les électeurs. Cependant, les choses n’ont pas tourné en leur faveur, en particulier depuis que la majorité des hommes politiques iraqiens ont perdu la confiance des citoyens en raison de la corruption qui s’est répandue ces dernières années dans les divers secteurs. C’est donc le moment propice pour les pays arabes. Mais ils doivent agir intelligemment sans tomber dans les mêmes erreurs commises par l’Iran qui favorisait une partie du peuple aux dépens des autres. Les Arabes doivent donc éviter de se focaliser sur les régions sunnites ou les régions de l’ouest et du centre aux habitants d’origine arabe. Ils doivent accorder leur intérêt à chaque région selon ses besoins et non pas selon sa démographie ou sa confession.
— Le système de quotas confessionnels peut-il continuer à tracer le paysage politique de l’Iraq ? Peut-il être modifié dans un avenir proche ?
— Dans le cas iraqien, le système des quotas confessionnels n’était pas du tout le système idéal en raison de l’énorme écart numérique entre les composantes du peuple iraqien (chiites, sunnites, Kurdes, etc.). Ce qui a créé une grande disparité dans la répartition du pouvoir et du régime. Mais c’est l’occupation américaine qui a imposé ce système, dans le cadre d’un large accord concernant la forme de l’Iraq post-Saddam. En d’autres termes, le système des quotas a permis à l’Iraq de passer de la dictature de l’individu à la dictature de la secte. Il a également entraîné une ingérence croissante des forces étrangères qui parrainent des composants internes qui leur sont fidèles soit de bon gré à cause des mêmes appartenances confessionnelles, soit de mauvais gré en conséquence de la marginalisation interne.
Il ne serait pas réaliste de parler de la fin prochaine du système des quotas confessionnels. Passer à un régime national, fédéral ou à un tout autre régime non confessionnel nécessite une maturité politique interne, un sens national élevé et un rôle extérieur fort qui la guide. Ces conditions ne sont pas disponibles et le groupe dominant ne cédera pas volontairement ses gains et ne partagera pas le pouvoir.
— Comment les résultats des élections législatives ont-ils influencé la scène interne ainsi que les relations régionales de l’Iraq ?
— Les résultats des législatives ont été très importants pour l’avenir de l’Iraq, notamment en ce qui concerne ses relations régionales. Ils portaient des indices importants sur le changement des orientations et du peuple iraqien et un certain recul du facteur confessionnel. Cependant, tout le processus électoral a prouvé que la classe politique détient toujours les rênes du pouvoir. La preuve en est que les résultats des élections ont été soumis à un long contrôle juridictionnel et qu’un large débat a eu lieu sur l’intégrité des résultats. Bref, les élections ont révélé un changement relatif de l’opinion publique à l’égard de la scène politique. Mais elles ont également souligné que les rapports de force n’ont pas changé. Pourtant, elles ont dévoilé également qu’il existe une opportunité d’inciter les Iraqiens à exercer la pression pour modifier même d’une manière relative le système qui régit les relations extérieures de l’Iraq. En d’autres termes, ces élections ont révélé le malaise de la société iraqienne face à une situation qui perdure depuis 15 ans et la possibilité de repositionnement de l’Iraq dans son environnement arabe et régional.
Lien court: