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La diplomatie jeunesse de l’Egypte

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 30 octobre 2018

La ville de Charm Al-Cheikh accueille du 3 au 6 novembre le Forum Mondial de la Jeunesse (FMJ). Cette deuxième édition 2018 fait le plein de nouveautés.

La diplomatie jeunesse de l’Egypte
L'année dernière, 3 000 jeunes avaient participé au forum. Cette année, ils seront 5 000.

« Je suis à la fois fort étonnée et heureuse de ressentir toute cette interaction entre ces jeunes qui sont très enthousiastes de proposer des suggestions à des inconnus, sans se soucier de la race, de la nationalité, de la religion, ou d’autres statuts », a posté Raymoniya Lawrence-Zanahcavic, une jeune Jamaïcaine sur la page Facebook du Forum Mondial de la Jeunesse (FMJ). Cette dernière, portant le slogan « Participez, si vous voulez changer le monde », a été en effet témoin d’un dynamisme remarquable de la part de jeunes internautes du monde entier, depuis l’ouverture des inscriptions pour l’édition 2018 du FMJ. Alors que certains étaient en train d’échanger des félicitations d’avoir été choisis, tapant les émoticônes joyeux, d’autres ne pouvaient pas cacher leur impatience, en attendant leur mail d’admission. Raymoniya, qui attendait, elle aussi, son courriel, écrit : « Si je n’avais pas la chance d’être choisie, je pourrais quand même proclamer ma fierté d’avoir posé ma candidature. Cette plateforme nous a montré que la paix est vraiment possible et que, dans nos différences, on peut reconnaître nos similitudes ». Le 15 octobre, « l’inscription est close », et la page invite ses visiteurs à s’inscrire au « FMJ 2019 » et de suivre en direct les activités du forum. En fait, 122 000 jeunes, âgés entre 18 et 40 ans, ont été inscrits en ligne pour participer à ce forum. Le comité organisateur a choisi parmi eux 5 000 jeunes venus de 145 pays pour y participer, contre 3 000 jeunes venus de 64 pays l’année passée.

Du local à l’international

Selon Ekram Badr El-Dine, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, l’édition 2018 fait le plein de nouveautés. « L’augmentation remarquable du nombre des jeunes et des pays participants cette fois-ci est un indice clair de la réussite de la première édition. Elle indique en outre que la base sur laquelle l’Egypte se repose pour s’adresser au monde s’élargit de plus en plus, à travers ce qu’on appelle la diplomatie de jeunesse. Il s’agit d’une autre tribune que celle de l’Onu. Ce forum devient donc un des outils de soft power de l’Egypte », dit Badr El-Dine. Et d’ajouter : « Le fait d’organiser périodiquement ce forum et avec le même succès lui donne un caractère institutionnel ». En fait, la tenue de ce forum s’inscrit dans la continuité d’une série de conférences nationales de la jeunesse qui a commencé en octobre 2016 à Charm Al-Cheikh. « Ces conférences nationales ont réussi, sur le plan interne, d’établir un dialogue constructif entre les institutions de l’Etat et la jeunesse, et ont permis ce passage rapide de ces rencontres du local à l’international », ajoute le politologue.

La première sortie en public de « l’Académie nationale pour la formation des jeunes » figure aussi parmi les nouveautés du forum, comme l’explique Mostafa Kamal, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Cette fois-ci, le FMJ a été complètement organisé par les jeunes de cette académie. La création de cette dernière inspirée du modèle française Elina était en effet une des promesses concrétisées par le président lors de ses rencontres avec les jeunes Egyptiens. « Le forum va être donc une occasion pour annoncer le lancement de la première année expérimentale de cette académie », dit Kamal.

Le modèle égyptien face à de nombreux défis

Sur le plan thématique, le message de cette édition est inspiré du livre du penseur Milad Hanna (Les 7 piliers de la personnalité égyptienne) dans lequel il explique en détail la singularité de la personnalité égyptienne (voir page 4). Selon Malek Awny, directeur de rédaction de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya et un des interlocuteurs principaux dans la session de « Comment construire les sociétés après les conflits », le message de cette édition se focalise sur l’importance « de renaître la personnalité historique égyptienne distinguée par la diversité et la coexistence positive avec l’autre ». Pour Awny, ce modèle égyptien a été confronté à de nombreux défis, depuis la seconde moitié du XXe siècle, notamment avec l’apparition de la pensée fondamentaliste, propagée par les Frères musulmans. Et l’émergence du système bipolaire sur le plan international au cours de la Guerre Froide. A l’époque, une partie de l’esprit égyptien commence à s’enfermer sur lui-même tout en prenant des distances de la culture de l’autre. Ce qui se contredisait avec la nature de la personnalité historique de l’Egypte, ses origines, ses atouts et ses éléments de force. A ceux-ci s’ajoute un troisième défi : « La propagation du racisme et de l’extrémisme qui ravagent actuellement la région du Moyen-Orient », explique Awny, avant d’ajouter : « L’Egypte, en accueillant cette conférence, confirme que reproduire le modèle égyptien dans ce moment critique de l’histoire de la région est la solution exemplaire pour faire face à tous ces défis ».

Une campagne publicitaire sans précédent

Selon Kamal, d’un point de vue organisationnel, « il est très évident que beaucoup d’efforts ont été déployés pour faire sortir cette édition dans une image beaucoup plus brillante que celle de sa précédente ». Pour le chercheur, l’Egypte a gagné beaucoup d’expérience cette année, que ce soit au niveau du choix des thèmes, du processus organisationnel, de la campagne publicitaire ou même de la méthode de sélection des jeunes interlocuteurs.

La diplomatie jeunesse de l’Egypte

« La propagande qui a précédé la tenue de cette édition est beaucoup plus distinguée de l’année dernière, et ceci, pour trois raisons », précise Kamal. Premièrement, les ambassades égyptiennes à l’étranger ont joué un rôle remarquable dans la campagne de promotion pour le forum dans les quatre coins du monde. Egyptair, elle aussi, a lancé une campagne publicitaire sans précédent. 45 avions font aujourd’hui le tour du monde tout en portant le logo du forum. Le nombre de sponsors et de partenaires du forum a aussi augmenté. On compte 12 sponsors qui financent complètement ce forum, y compris des banques nationales comme les banques Al-Ahly et Misr ainsi que deux grandes institutions d’enseignement, les Universités Future et Octobre pour les sciences et la littérature moderne.

Des jeunes spécialistes de tous bords

La nouveauté réside également cette année dans le genre des jeunes sélectionnés. Ceux-ci devraient être distingués dans des différentes spécialités. L’invitation du forum a été adressée dès le départ aux jeunes, qui ont « une influence dans leurs communautés ou sont des spécialistes dans leurs domaines d’études », comme il a été précisé dans le formulaire d’inscription. Pour participer à un atelier ou être un interlocuteur dans une session, le comité organisateur a posé une condition déterminée pour être admis : présenter un papier de recherche de 5 pages, concernant le thème abordé dans cette session. Quant aux jeunes qui veulent participer au modèle de simulation du Sommet arabo-africain, ils doivent présenter eux aussi un rapport de recherche sur « Les perspectives de coopération et d’intégration entre les pays arabes et africains ».

Pour cette édition, les défis ne manquent pas. L’enjeu majeur, c’est de transformer les activités de ce forum en des « activités continuelles et non pas occasionnelles », dit Awny. Avis partagé par Kamal, qui estime qu’on n’a pas bien exploité la réussite de la première édition, et qu’on a vite baissé les rideaux après la déclaration des recommandations. « Il faut travailler à créer un mécanisme de coopération et de communication entre ces jeunes de différentes nationalités et leurs homologues égyptiens, qui permet d’étaler les activités de ce forum tout au long de l’année et d’un forum à l’autre sans interruption », conclut Kamal.

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