La bonne nouvelle est tombée le 29 septembre dernier : «
L’autosuffisance en gaz naturel est atteinte en Egypte ». L’annonce est faite par le ministre du Pétrole, Tareq Al-Molla, qui a déclaré également «
la fin des importations de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) après l’arrivée de la dernière cargaison importée ». Cette autosuffisance en consommation de gaz, annoncée trois mois plus tôt de la date prévue, fin 2018, a été réalisée, comme l’a précisé le ministre, grâce au champ gazier Zohr, dont la production est multipliée par six depuis le début de l’année.
La production de ce champ découvert en 2015 est passée en 9 mois de 350 millions de pieds cubes à 2 milliards de pieds cubes. En effet, la production record de Zohr, combinée à celle des autres projets majeurs, comme les champs de Nooros, d’Atoll et du site de West Nile Delta, a permis à l’Egypte d’atteindre rapidement l’autosuffisance en gaz naturel (voir page 4). Aujourd’hui, la production totale du gaz en Egypte est estimée à 6,6 milliards de pieds cubes par jour, contre 5,1 milliards de pieds cubes par jour en 2017 et 4,4 milliards de pieds cubes en 2016.
Tourner le dos aux importations gazières devrait économiser un montant de 1,5 milliard de dollars déboursés chaque année pour satisfaire la consommation locale. Avant cette annonce, l’Egypte a importé 17 cargaisons de gaz naturel liquéfié au cours du premier trimestre de cette année fiscale. Le nombre des cargaisons importées était, en fait, en chute constante. Les importations de GNL entre les années fiscales 2016-2017 et 2017-2018 sont passées de 118 cargos à 76.
S’activer sur plusieurs fronts
La question qui s’impose donc est : « Quelle sera l’après-autosuffisance ? ». L’Egypte devrait redevenir « exportatrice de gaz en 2019 », comme l’a affirmé en août dernier Al-Molla. « L’Egypte possède tout le potentiel, que ce soit au niveau de la production ou des infrastructures, pour devenir un acteur majeur dans le commerce du GNL dans la région », explique Medhat Youssef, expert pétrolier et ancien vice-président de l’Organisme général du pétrole, avant d’ajouter : « Entre le passage d’un pays exportateur à un pays importateur, pour le redevenir à nouveau en 2019, l’Egypte a parcouru un long chemin pour accélérer son autosuffisance, afin de devenir un hub régional énergétique ».
L’Egypte a déjà été, plusieurs années durant, un pays exportateur de gaz, notamment entre 2005 et 2011. De 6,1 milliards de pieds cubes par jour en 2011, la production gazière a fortement chuté après la révolution de janvier, la même année, à cause de l’instabilité économique et politique qui régnait dans le pays, entraînant une fuite des investissements du secteur énergétique.
Le fossé entre la production et la consommation s’élargit. Le rythme de développement et d’exploration des champs de pétrole par des partenaires étrangers ralentit en raison de l’incapacité du gouvernement à payer les arriérés qui ont atteint plus de 6 milliards de dollars. En 2012, l’Egypte ferme les robinets d’exportation vers notamment la Jordanie et Israël pour devenir un importateur de gaz. Les roues des deux usines de liquéfaction de gaz d’Edkou et Damiette s’arrêtent. Et La première importation de gaz de l’étranger a eu lieu en octobre 2014. La production atteint son point le plus bas en 2016, avec environ 4,4 milliards de pieds cubes par jour.
Mais comment l’Egypte a-t-elle réussi son pari d’autosuffisance avant même la date prévue ? Selon Gamal Al-Qalyoubi, professeur de l’ingénierie de pétrole à l’Université américaine (AUC), l’Egypte s’est activée dans plusieurs sphères, et en parallèle, pour aboutir à l’autosuffisance, et ce, en s’appuyant sur une nouvelle stratégie gazière multidimensionnelle : économique, juridique, diplomatique et même militaire. Le point de départ de cette stratégie était à Charm Al-Cheikh, lors de la tenue de la conférence économique en 2015.
« Le défi était comment regagner la confiance des compagnies pétrolières pour les inciter à pomper de nouveau leurs investissements dans le domaine de la prospection gazière, notamment dans la Méditerranée orientale, cette zone dont toutes les études indiquaient à l’époque qu’elle contiendrait d’importantes réserves prouvées », raconte Medhat. Une mission accomplie, puisqu’en marge de la conférence, les négociations menées par la tête de l’appareil exécutif avec les géants pétroliers ont abouti à la signature d’une série d’accords d’investissements dans le secteur énergétique avec les géants pétroliers, notamment l’Italien Eni et le Britannique BP.
En contrepartie, l’Egypte s’est engagée à régler les arriérés des compagnies étrangères et à modifier la tarification du gaz naturel découvert dans les eaux profondes. En 2015, la découverte historique du champ de Zohr par le groupe Eni a été annoncée en grande pompe. « Cette découverte a complètement changé la carte énergétique en Egypte et n’a cessé d’attirer jusqu’à nos jours les investissements pour l’exploration dans la Méditerranée orientale », explique Al-Qalyoubi. Depuis 2015, l’Egypte a conclu environ 80 accords dans le domaine de la recherche et de l’exploration de gaz naturel.
Diplomatie et législation adaptée
En parallèle, l’Egypte s’est activée sur un autre niveau diplomatique, qui a été « l’étape la plus difficile », comme l’explique Al-Qalyoubi. Il s’agit de la démarcation des frontières maritimes. « La diplomatie égyptienne a réussi à définir ses zones économiques exclusives, que ce soit en Méditerranée avec Chypre en 2013 ou en mer Rouge avec l’Arabie saoudite en 2017 », explique Al-Qalyoubi, avant d’ajouter : « Sans la démarcation des frontières maritimes, Zohr n’aurait jamais vu le jour ».
Pour sécuriser les travaux d’exploration et les intérêts vitaux de l’Egypte et encourager les investissements dans la Méditerranée, cette zone la plus tendue dans le monde, « l’Egypte a installé une base militaire navale sur la côte méditerranéenne, dotée des équipements les plus sophistiqués, comme le Mistral et le S 900 », explique Medhat.
Sur le plan législatif, une nouvelle loi concernant la « régulation du marché du gaz » a vu le jour en août 2017. « Cette loi est un axe principal de la stratégie de l’Egypte pour devenir un centre régional de l’énergie. Celle-ci vise à libérer le marché du gaz et réglementer le processus du transport, de la distribution, du stockage et de la transformation du gaz en GNL », explique Medhat. Fruits de cette loi, deux accords vont prochainement promouvoir le marché d’exportation du GNL dans la région et remettre en activité les deux usines de liquéfaction de Damiette et d’Edkou, à l’arrêt depuis 2012.
Le premier accord a été signé le 19 février 2018 entre le secteur privé égyptien et Israël. Celui-ci prévoit la fourniture de 64 milliards de m3 extraits des champs israéliens de Leviathan et de Tamar à partir de fin 2019 pour un montant de 15 milliards de dollars sur 10 ans. Parmi les avantages de cet accord, comme l’explique Medhat, c'est qu'il mettra fin aux arbitrages en cours entre le gouvernement égyptien et Israël. Le deuxième accord a été signé le 19 septembre entre l’Egypte et Chypre.
Celui-ci prévoit la construction du premier pipeline sous-marin de son genre, transportant le gaz naturel chypriote du champ d’Aphrodite, à travers la Méditerranée, vers l’Egypte, avant sa réexportation vers l’Europe sous forme de gaz naturel liquéfié. « L’Egypte est aujourd’hui prête pour entrer dans la cour des grands du marché du GNL. Nous sommes en train d’accomplir les procédures opérationnelles », conclut Medhat.
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