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Le patrimoine au service du tourisme

Dalia Farouq, Mardi, 09 octobre 2018

Avec près de 250 missions opérant sur son sol et de multiples découvertes, l’Egypte est l’un des pays les plus prolifiques en matière d’antiquités. Une richesse exceptionnelle que le pays tente de préserver et de mettre à profit pour relancer son tourisme.

Le patrimoine au service du tourisme
Un atelier de momification découvert à Saqqara en juillet dernier. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

C’est une réalité. L’Egypte est l’un des pays les plus riches de la planète en monuments. La ville de Louqsor renferme à elle seule plus de la moitié des monuments du monde. Près de 250 missions archéologiques, égyptiennes et étrangères, opèrent sur le territoire égyptien. Et depuis quelque temps, les découvertes se succèdent. On en annonce une en moyenne toutes les deux semaines.

Selon Ayman Achmaoui, directeur du département des antiquités égyptiennes au ministère des Antiquités, le sol égyptien est riche en monuments encore ensevelis et il y a toujours eu des découvertes. Mais le secteur des antiquités a souffert en 2011 de difficultés financières à cause du manque de ressources dû à la chute du tourisme. Résultat : plusieurs missions ont arrêté leur fouille, et les travaux de restauration ont été suspendus de même que l’inauguration de nouveaux sites et musées. « Cependant, l’année dernière, le gouvernement a commencé à subventionner à nouveau les activités archéologiques, ce qui nous a aidés à reprendre le programme de fouille et de mettre au jour des centaines de découvertes spectaculaires », assure Achmaoui.

En 2017, le ministère des Antiquités a opéré sur 56 sites archéologiques dans les quatre coins de l’Egypte. Cette année, on en est arrivé à 70 sites, ce qui explique l’abondance des découvertes.

Bien que certaines découvertes n’aient pas de grande importance scientifique, le tapage médiatique autour d’elles est très grand. « Cela est fait exprès », avoue Achmaoui. Selon lui, il faut exploiter au maximum toutes ces découvertes dans la promotion du tourisme et donner une image positive de l’Egypte, un pays au patrimoine intarissable. « Ainsi, un touriste qui a visité Saqqara plusieurs fois il y a des années sera encouragé à y revenir pour voir les joyaux historiques récemment découverts », ajoute Achmaoui, affirmant que le ministère fait de son mieux pour préserver les monuments découverts.

Selon lui, les monuments découverts sont soumis à de longues études scientifiques, dévoilant les secrets de l’Egypte Ancienne, avant d’être restaurés. « Le ministère a mis en place une nouvelle stratégie visant à enrichir les musées égyptiens. En fait, il y a plus de 20 musées en cours de construction partout en Egypte, et ce sont les nouvelles découvertes qui feront les collections de ces musées », souligne Achmaoui, donnant l’exemple de la découverte de la statue du pharaon Psémmatique II découverte à Matariya au Caire, celle-ci a été déplacée de son chantier d’origine pour être déposée au Grand Musée Egyptien (GME).

D’autres monuments colossaux récemment découverts seront transportés aussi au GME pour l’enrichir de pièces de grande valeur. Une partie de ces monuments nouvellement découverts partiront après leur restauration en expositions temporaires à l’étranger. Une minorité est conservée dans des dépôts aménagés suivant les normes internationales.

Fouille, restauration et maintenance

Si les uns estiment que les nouvelles découvertes sont d’une grande importance pour l’Egypte, d’autres s’opposent au fait de mettre beaucoup d’argent dans les fouilles. « Avant de faire de nouvelles découvertes, il faut d’abord restaurer les richesses patrimoniales que possède le pays, surtout qu’elles ont beaucoup souffert au cours des dernières années », souligne Khaled Gharib, professeur d’archéologie à l’Université du Caire. Il estime que le ministère doit accorder plus d’importance à l’aménagement des sites historiques, afin de faciliter leur visite et promouvoir le tourisme.

Il donne l’exemple du site historique de Tanis dans le gouvernorat de Charqiya, où la statue de Ramsès II est dans un état déplorable, et le site lui-même n’est pas du tout aménagé malgré son ouverture à la visite. « Il n’y existe même pas de toilettes pour les touristes qui visitent la région. Il faut donc non seulement restaurer les monuments, mais aussi développer le site pour le rendre accessible aux visiteurs », reprend Gharib. Et d’ajouter que parfois, les découvertes annoncées par le ministère des Antiquités ne sont pas nouvelles. « Il y a une grande différence entre la découverte et la réouverture d’une tombe ou d’un site », dit-il. Il souligne que la dernière annonce par le ministère des Antiquités de la découverte de la tombe de Hetepet sur le Plateau des pyramides n’est pas vraie, car cette tombe a été découverte il y a quelques années par une équipe australienne de l’Université de Macquarie, qui a publié un article scientifique sur cette tombe et son contenu en 2013.

Magdi Chaker, grand archéologue au ministère des Antiquités, nie complètement le fait que le ministère annonce des découvertes anciennes. « L’Egypte est une terre fertile en antiquités. Nous avons des milliers de sites archéologiques. On peut faire une nouvelle découverte chaque jour », assure-t-il. Et d’ajouter : « Il arrive parfois qu’il y ait un malentendu, surtout que les fouilles continuent sur les mêmes sites pendant des années. Cela fait par exemple plusieurs années qu’on fouille dans la région de Deir Al-Chaghala à l’oasis de Dakhla, chaque saison, on annonce une nouvelle trouvaille. Les gens confondent et croient que c’est la même découverte », défend Chaker.

L’archéologue Ahmad Saleh partage la même opinion. Il estime qu’une partie du budget consacré aux fouilles doit être dirigée aux travaux de restauration et à l’aménagement des sites archéologiques. « Les touristes qui voyagent en Egypte seront plus satisfaits de visiter des sites bien aménagés munis de tous les services dont ils ont besoin », pense Saleh, qui donne l’exemple du site historique du temple d’Edfou où les touristes passent sur des échafaudages à cause d’un problème d’eaux souterraines.

L’archéologue Moustapha Ahmad, estime, lui, que les fouilles archéologiques doivent aller de pair avec la restauration et l’inauguration des musées, puisque c’est la mission principale du ministère des Antiquités. Sur les 250 missions de fouille qui opèrent en Egypte, seulement 12 sont égyptiennes. « Le ministère a ouvert plusieurs écoles de fouille, afin de former les archéologues aux techniques les plus modernes dans ce domaine. Le ministre oblige également chaque mission étrangère opérant en Egypte à former 2 ou 3 archéologues égyptiens », souligne Moustapha Ahmad, qui insiste sur l’importance que les Egyptiens aient leur chantier de fouille et d’étude et que le patrimoine égyptien ne soit pas monopolisé par des archéologues étrangers.

Une carte de fouille équilibrée

La plupart des missions étrangères opéraient encore en Haute-Egypte il y a peu de temps. Mais cette stratégie a changé, puisque le ministère a arrêté, depuis l’an 2000, de donner de nouvelles concessions de fouille en Haute-Egypte pour guider les missions selon les besoins et non au gré des missions étrangères. « Aujourd’hui, la carte géographique des fouilles en Egypte est équilibrée », souligne Magdi Chaker. Il affirme que les missions archéologiques sont répandues dans toute l’Egypte, en Haute-Egypte comme dans le Delta, et opèrent selon un programme de fouille déterminé qui s’étend sur 10 ans. « Nous avons des priorités dans le choix des chantiers de fouille. On travaille d’abord sur les régions menacées par les agglomérations urbaines, les régions agricoles ou celles où le gouvernement compte installer des méga-projets de développement. Ensuite vient le tour des sites déjà fouillés et dont les études témoignent de l’existence de monuments encore ensevelis, car on ne peut pas les laisser ouverts aux pilleurs des antiquités », explique Ahmad, assurant qu’il y a des découvertes d’une grande valeur scientifique qui se font surtout dans le Delta. « La dernière découverte d’un village préhistorique complet à Tel Samra, dans le gouvernorat de Daqahliya, était d’une importance archéologique majeure, puisqu’elle jette la lumière sur une période peu connue de l’histoire de l’Egypte. Mais puisque les objets découverts étaient de petits fragments d’outils en pierre et de résidus de faune et de flore et qu’il n’y avait ni statues colossales, ni sarcophages colorés, la découverte n’a pas suscité un grand intérêt », reprend-il.

Que ce soit en Haute-Egypte ou dans le Delta, qu’il s’agisse de statues colossales spectaculaires ou de fragments, le sol égyptien continue à délivrer chaque jour ses secrets.

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