Le 22 septembre. Une rentrée scolaire pas comme les autres. Dans la matinée, les sonneries, qui retentissaient marquant les débuts des cours, donnaient également le coup d’envoi d’un nouveau système éducatif : « Education 0.2 ». « Il s’agit de la plus grande révolution éducative de l’histoire moderne de l’Egypte », s’est félicité Tareq Chawqi, ministre de l’Education.
Les écoles se sont préparées pour accueillir ce jour en grande pompe. Une ambiance festive règne dans la cour des maternelles, et ceci en réponse aux instructions gouvernementales de faire de la rentrée un jour spécial « pour sensibiliser les parents à l’importance de ce projet national » (voir reportage).
En fait, l’année scolaire a démarré en plein débat sur ce nouveau système. C’est pourquoi le ministre de l’Education a décidé de tenir une conférence de presse, chaque dimanche, au cours des 4 premières semaines de la rentrée « pour répondre à toutes les interrogations de l’opinion publique concernant le nouveau et l’ancien système éducatif », a précisé Chawqi. Selon Hassan Shehata, expert pédagogique et professeur des manuels à l’Université de Aïn-Chams, c’est le manque de confiance dans l’éducation en Egypte qui rend la vision aujourd’hui un peu floue. « Tant qu’on insiste toujours sur le fait d’établir la comparaison avec l’ancien système, on n’arrivera jamais à comprendre la philosophie du changement », dit Shehata. « Patientez un peu avant de critiquer … Aidez-nous à faire réussir ce système », des appels lancés par le président Abdel-Fattah Al-Sissi, lors de l’inauguration, à travers une vidéoconférence, des écoles japonaises, autre volet de la réforme éducative, et qui ont ouvert également leurs portes le 22 septembre (voir page 3). Le nouveau système vise à remplacer l’ancien graduellement. Les premiers fruits de ce système ne seront récoltés qu’après 12 ans, en 2030, avec la sortie de la première promotion.
D’un récepteur passif à un participant actif
Mais c’est quoi exactement ce système ? Selon Magda Nasr, membre de la commission parlementaire de l’éducation, la réforme s’active sur plusieurs niveaux : Un changement de fond en comble pour les deux années de la maternelle (petite section, grande section) et la première primaire, une modification partielle du bac et l’intégration des infrastructures technologiques dans les écoles. « Le livre n’est pas la seule source de connaissance, et le professeur n’est plus la seule autorité dans le processus éducatif », c’est la philosophie du changement comme l’explique Magda Nasr.
Selon Shehata, « ce système vise à éradiquer l’idée prédominante, non seulement en Egypte, mais aussi dans tout le monde arabe, qu’éduquer vise seulement à réussir aux examens et non pas à améliorer les compétences dans la vie ». C’est pour cette raison que « le point de lancement de ce changement commence dès la maternelle », à laquelle 2,5 millions d’enfants se sont inscrits cette année. « C’est la première fois que l’Etat déclare assumer la responsabilité de la maternelle. Ce cycle, connu pour être des années d’adaptation avant l’instruction obligatoire au primaire, fait désormais partie de l’échelon éducatif », dit Shehata, avant d’ajouter : « Il s’agit d’un changement total et radical pour ces trois premiers cycles : de nouveaux programmes scolaires, de nouvelles stratégies d’enseignement et d’autres méthodes de notation ».
Le « Manuel multidisciplinaire » ou le « bouquet » est formé de 4 matières qui devraient être étudiées obligatoirement dans toutes les écoles publiques, privées, expérimentales et azharies (voir fiche). « Ces livres sont enrichis par des activités interactives qui visent à améliorer les compétences de l’élève reliant les connaissances sans séparation », explique Nasr.
Ce système est basé sur quatre dimensions d’apprentissage : connaître, faire, être et vivre ensemble. Supprimer les notes est une autre nouveauté de ce système. « Réussir » ou « échouer » à l’école, on n’entendra plus ces termes, puisqu’il n’y aura pas d’examen jusqu’à la 3e primaire.
« Les notes chiffrées sont l’une des causes principales de la démotivation de beaucoup d’élèves. La Finlande, qui se trouve en tête du classement, a supprimé les notes au primaire », dit la députée. Les nouveautés de la rentrée ne résident pas seulement dans le changement du contenu des manuels mais aussi dans la forme des classes.
Ces dernières sont aménagées en forme de cercles. « La table ronde joue un rôle essentiel dans ce système. Il inaugure une nouvelle relation entre l’élève et le professeur, qui se met dans la même position autour de la table », explique Shehata.
Un bac nouvelle version
« L’ancien système éducatif est plein de failles, et le coût de sa réparation est cinq fois plus élevé que la mise en place d’un nouveau système », a déclaré le ministre de l’Education. Pour le moment, le changement est partiel pour le bac, indique Magda Nasr. Les programmes scolaires n’ont pas changé cette année, mais c’est la méthode d’évaluation qui est modifiée. Il s’agit d’un système cumulatif sur trois ans qui s’appliquera sur les trois années du secondaire.
Les élèves devront passer 12 examens au cours de ces trois années. La note finale sera basée sur les meilleures notes obtenues dans 6 des 12 épreuves passées. Il n’y aura plus un examen standard au niveau de la République ; les épreuves varieront d’un gouvernorat à l’autre. Et le système d’examen devient entièrement électronique. L’introduction de la tablette numérique dans le processus éducatif est une autre particularité de ce système.
708 000 tablettes devront être distribuées aux élèves de la première année secondaire avant le mois de novembre prochain et les examens numériques commenceront au mois de janvier prochain. « La tablette n’est qu’un outil d’évaluation et de mesure de l’apprentissage des études. Elle vise en outre à éviter la fuite des examens, ce phénomène qui a pris beaucoup d’ampleur au cours des dernières années et qui a coûté à l’Etat 3 millions de L.E. pour assurer la sécurisation des examens », explique Magda Nasr. Et d’ajouter : « Ce système éducatif devrait, comme produit final, réduire le décalage entre la formation et les exigences du marché de l’emploi ».
Plusieurs défis
Pourtant, selon Eid Abdel-Wahed, ancien président de l’Académie professionnelle des enseignants, les défis pour aboutir à « ce produit final » sont nombreux. Des interrogations s’imposent : Comment ce système pourrait-il fonctionner pleinement sans remédier aux défaillances structurelles dont il souffre, comme la faiblesse des budgets consacrés à l’éducation, les classes surchargées et l’incompétence des enseignants ? « Réduire le nombre d’élèves par classe pourrait-il faciliter l’apprentissage correct de ce système ? », s’interroge Abdel-Wahed. Selon des estimations, on a besoin de construire 17 000 écoles pour éliminer complètement le problème de la surcharge des classes.
Selon Magda Nasr, « personne ne peut nier que les problèmes structuraux persistent encore, mais nous ne pouvons pas attendre jusqu’à ce que nous mettions fin à tous ces problèmes qui nécessitent beaucoup de temps et un budget énorme. Nous étions obligés de commencer dans tous les cas. Et de commencer avec enthousiasme. Nous avons commencé l’étape la plus difficile qui apportera des résultats directs : le changement de la mentalité ». Et d’ajouter : « Même si le taux de succès de la première année de l’application de ce système sera de 50 %, on peut quand même se flatter d’avoir réalisé des progrès ».
Les enseignants devraient réfléchir de la même manière que le programme. C’est un autre enjeu de taille pour faire réussir ce système. « Il est crucial d’améliorer la formation des enseignants pour s’adapter à ce système », précise-t-elle. Environ 128 000 ont été formés jusqu’à présent sur les nouvelles méthodes technologiques et interactives de ce système. La formation des enseignants se poursuivra tout au long de l’année scolaire et se terminera le 30 novembre 2019. Chaque professeur dispose d’« Un guide d’enseignants », pour chaque livre scolaire. Pourtant, selon Abdel-Wahed, pour recevoir des résultats satisfaisants, il ne suffit pas d’améliorer « les compétences » de l’enseignant mais d’arranger en parallèle « son niveau de vie », pour mettre un terme aux phénomènes négatifs enracinés dans le processus éducatif, comme la dépendance excessive des élèves aux cours particuliers et aux livres parascolaires qui bloquent la réflexion en présentant des réponses exemplaires. « On compte 14 cycles scolaires. Le nouveau système s’applique seulement sur 4 parmi eux, alors que le reste fonctionnera selon l’ancien système. Cela veut dire que les cours privés seront toujours de mise. D’où l’importance d’améliorer le statut financier de l’enseignant pour éradiquer la marchandisation de l’éducation et restaurer la confiance dans le rôle du professeur en classe », conclut Abdel-Wahed.
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