De la poignée de main historique entre l’ancien premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, et l’ancien leader et président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, sur le perron de la Maison Blanche, il ne reste que la mémoire.
En ce fameux 13 septembre 1993, on croyait pourtant que le miracle était en train de se produire, que le conflit du siècle touchait à sa fin. Yitzhak Rabin, le militaire connu pour ses mesures antipalestiniennes radicales, celui qui promettait de « briser les os » des Palestiniens lors de la première Intifada (1987-1991), et l’emblématique Yasser Arafat, leader des fedayins, fondateur de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), celui qui promettait de combattre Israël jusqu’au bout et de libérer la totalité des territoires de la Palestine historique, scellent la paix.
L’image fait la une des médias du monde entier. Celle de cette première poignée de main entre les deux hommes, avec, au centre, le président américain de l’époque Bill Clinton, symbole d’une Amérique qui se pose en médiateur de la paix. Celle de la signature des accords d’Oslo, censés poser les jalons de la paix.
L’objectif du texte est clair : mettre un terme à un conflit vieux de plusieurs décennies, conflit central du Proche-Orient, sur la base d’une reconnaissance mutuelle et de la solution à deux Etats, d’une période transitoire de cinq ans suite à laquelle une paix définitive et la création d’un Etat palestinien. La suite, on la connaît tous … L’image n’a certes pas perdu sa charge émotionnelle.
Mais depuis, l’élan d’espoir a laissé place à la désillusion. Rien ne s’est passé comme prévu. Rabin est assassiné par un extrémiste juif en novembre 1995, la droite gagne du terrain, la colonisation s’accélère (de 280 000 colons en 1993 à 600 000 aujourd’hui pour ne citer que ceux de Jérusalem-Est), plusieurs guerres sont déclenchées par les Israéliens à Gaza, un mur de séparation est construit le long de la Ligne verte, c’est-à-dire entre Israël et la Cisjordanie, une seconde Intifada est déclenchée en 2000, la confiance est rompue, les Palestiniens se divisent et le Hamas prend le contrôle de la bande de Gaza, suite aux élections de 2006 qu’il remporte.
Et plus que tout, le plus virulent des anti-Oslo, Benyamin Netanyahu, devient premier ministre, (d’abord entre 1996 et 1999 puis depuis 2009), et le plus imprévisible et pro-israélien des présidents américains, Donald Trump, arrive au pouvoir en janvier 2017. Des coups mortels qui, l’un après l’autre, signent l’arrêt de mort du processus de paix.
Un fiasco dès les premières années
Mais avant d’en venir à la situation actuelle, il convient d’abord de revenir aux raisons de l’échec d’Oslo, ou plus précisément de l’échec du processus de paix initié par l’accord de paix d’Oslo. D’abord, il convient de préciser qu’à la base, le processus repose sur une asymétrie des rapports de force. C’est-à-dire que c’est l’occupant, soutenu par les « parrains » de la paix, qui a imposé sa vision, son agenda et son calendrier.
Ce déséquilibre de base ne pouvait pas aboutir à une solution juste. Ensuite, les accords d’Oslo étaient un point de départ, pas un aboutissement. Et le point de départ était une reconnaissance des « droits légitimes et mutuels », selon les termes du texte, « une coexistence pacifique », censée aboutir à « un accord de paix juste, global et durable ».
Trop beau pour être vrai ? Malgré l’asymétrie entre les deux parties, à l’époque, Oslo était considéré comme une avancée considérable. L’accord a, en effet, permis la création d’une Autorité palestinienne reconnue par le monde entier et par Israël. Une première depuis la création d’Israël en 1848.
Mais cette autorité, embryon d’un Etat palestinien, en est restée à ce stade. « Oslo est aujourd’hui dépassé, à la base, c’était un bon début, mais on n’a jamais réussi à passer à la vitesse supérieure. C’était la première et la dernière étape en quelque sorte. La raison, c’est la succession des gouvernements de droite extrémistes en Israël, qui n’étaient pas convaincus par la démarche. Le premier coup dur porté au processus de paix s’est produit à peine deux ans après la signature des accords d’Oslo, avec l’assassinat de Rabin. Depuis, aucune progression significative, voire c’est un blocage persistant depuis 20 ans », estime Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
En effet, mis à part les arrangements sécuritaires et les accords intérimaires sur l’autonomie de certaines enclaves palestiniennes, le processus n’est jamais arrivé à progresser sur les points les plus cruciaux et les plus sensibles qui divisent Israéliens et Palestiniens, à savoir les cinq questions-clés du statut final : le partage de Jérusalem, le retour de réfugiés palestiniens, les colonies israéliennes, les frontières définitives et la sécurité d’Israël. « L’approche progressive n’a pas porté ses fruits pendant plus de 20 ans, et c’est pour cette raison que les Palestiniens veulent aujourd’hui passer directement aux questions du statut final.
Or, qui dit statut final dit les questions les plus sensibles. C’est la quadrature du cercle ». Sameh Rached, spécialiste des affaires régionales et directeur de rédaction de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya (politique internationale), estime lui aussi que « la philosophie et les bases sur lesquelles les accords d’Oslo ont été bâtis étaient vouées à l’échec. Le mécanisme de l’approche progressive n’a pas marché parce que les questions les plus délicates n’ont jamais pu être résolues. Donc, même après 100 ans, Oslo n’aboutirait à rien, surtout que l’une des parties, à savoir Israël, ne cherche pas la paix, ne cherche pas de solution juste et ne reconnaît pas la légitimité même de la cause palestinienne, et que le médiateur américain n’est pas un vrai médiateur, mais totalement aligné sur Israël ».
Une épitaphe signée Trump
L’un des péchés originels du processus de paix est donc qu’il a été mis sous le seul parrainage des Etats-Unis. Et avec Trump, on atteint les sommets du cynisme. Depuis son élection, on assiste à un travail de sape, en règle, visant à liquider la question palestinienne. De la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et du transfert de l’ambassade américaine dans cette ville aux déclarations selon lesquelles les colonies ne « sont pas un obstacle à la paix » et l’option des deux Etats n’est pas la seule, en passant par la liquidation de la question des réfugiés à travers les décisions concernant Trump a évacué en un tour de main les principales questions du statut final.
En parallèle, il veut imposer son fameux « marché du siècle », employant la manière forte et usée d’un redoutable levier de pression : l’argent. « Mais ni les Palestiniens ni les pays arabes n’en veulent, dit Hicham Mourad. Trump propose simplement aux Palestiniens des aides financières, à travers des projets régionaux, en contrepartie d’un renoncement à leurs droits essentiels ».
Quelles options donc ? Quelles alternatives ? « On ne peut pas imaginer qu’un miracle se produise ni avec le gouvernement israélien actuel, le plus à droite de l’histoire d’Israël, ni avec l’Administration Trump, la plus pro-israélienne jamais connue », estime Hicham Mourad, qui craint que l’impasse actuelle ne mène à une explosion, à une troisième Intifada, que personne ne pourra alors contrôler.
« Avec un tel blocage, la résistance armée peut avoir la cote », pense-t-il. Sameh Rached partage le même avis. « Aujourd’hui, on est face à deux scénarios. Le premier est l’acceptation d’un arrangement imposé par les Américains, qui liquide la question, mais ne la résout pas, et ce, si le but est uniquement de parvenir à un accord, comme le veulent aujourd’hui les Américains.
Or, ce sera encore une fois une solution provisoire et non durable, tout comme Oslo. Ce sera pire encore, car il s’agit d’un accord qui sape le droit de retour, le droit sur Jérusalem, etc. Le deuxième scénario est de retourner à la résistance. Et là, je ne veux pas dire pas forcément la résistance armée, ne me faites pas dire ce que je ne dis pas, mais toutes sortes de pressions qui obligent Américains et Israéliens à négocier sérieusement. Rappelez-vous que la première Intifada, qui n’était qu’une guerre des pierres, a été l’un des facteurs qui ont mené à Oslo », conclut Rached.
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